La compulsion de répétition des narcissiques
31 oct. 2024
Sam Vaknin
Pourquoi les narcissiques ne parviennent-ils pas à rompre leur dépendance à la « mère symbolique » qui habite leur esprit ? Comment manifestent-ils leur conflit avec cette figure maternelle à travers leur compulsion de répétition ?
Cet article propose deux conférences données par le professeur Sam Vaknin, qui répond à ces questions et bien d’autres, avec des sous-titres ajoutés pour en faciliter la compréhension, ainsi que ma propre conclusion.
Ses enseignements vous permettront d’explorer la dynamique du narcissisme, la dépendance à la figure maternelle et les cycles relationnels destructeurs qui caractérisent les relations intimes des narcissiques.
Bien que la moitié des personnes narcissiques soient des femmes, le professeur Vaknin a choisi d’utiliser le masculin pour simplifier ses propos.
Le cycle de la relation avec un narcissique
Comme vous le savez, votre relation avec un narcissique suit un cycle prévisible : elle commence par une phase d’idéalisation mutuelle, durant laquelle le narcissique vous « bombarde d’amour ». Ensuite, une phase de lune de miel s’installe, marquée par un « double maternage » ou maternage mutuel.
Durant ces deux phases, le narcissique prend une « photo instantanée » de vous, qu’il introjecte pour en faire un « objet interne ».
Puis, inévitablement, il passe à la phase de dévaluation, suivie du rejet et du remplacement, en raison de sa compulsion de répétition. Lisez l’article intitulé Le fantasme partagé des narcissiques.
Ce sont les différentes étapes du cycle de la relation avec un narcissique, que le professeur explique en profondeur en analysant la psychologie sous-jacente de ce cycle implacable.
Pourquoi le narcissique répète-t-il ce cycle ?
Pourquoi trouve-t-il constamment de nouveaux partenaires intimes pour ensuite les idéaliser, les dévaloriser, puis les abandonner ? Quel en est l’intérêt ?
Je vous expliquerai que le narcissique est en fait incapable de s’en empêcher, d’où le terme compulsion de répétition.
Mais avant cela, je voudrais vous donner mon opinion sur le narcissisme pathologique. Le narcissisme est généralement considéré comme un « trouble de la personnalité ».
Je trouve le terme « personnalité » peu approprié dans ce contexte. La personnalité est une construction fictive sans fondement réel. Bien qu’on la considère souvent comme fixe, les individus sont en réalité en constante évolution. De même, le terme « trouble » n’est pas idéal ici.
En fait, le narcissisme — même sous sa forme légère — est davantage une réaction à un traumatisme complexe vécu durant l’enfance.
Le traumatisme complexe
Le traumatisme complexe survient durant les années formatrices de l’individu, entre six mois et six ans. Pendant cette période, son noyau identitaire, son identité de base et son ego se forment — des aspects cruciaux du psychisme de chacun.
Si, durant ces années, l’enfant est exposé à une « mère morte » — non pas physiquement, mais émotionnellement, une mère absente, dépressive, qui utilise l’enfant pour combler ses propres besoins — il ne peut pas devenir un individu autonome.
Cela est traumatisant, car il reste fusionné, attaché à cette figure maternelle, ce qui l’empêche de développer une identité propre.
Les narcissiques sont donc des enfants qui ont adopté des mécanismes défensifs pour gérer un environnement toxique, peu propice à leur développement.
Ils ont été victimes d’abus et, en réalité, n’ont jamais véritablement grandi. Nous nous concentrerons donc sur la notion de narcissisme pathologique.
Un deuil prolongé non résolu depuis l’enfance
Les narcissiques souffrent de ce qu’on appelle le « syndrome de deuil prolongé » — un deuil constant pour leur enfance perdue, pour ce qu’ils auraient pu devenir s’ils avaient eu la chance de grandir pleinement. L’histoire de fond de tout narcissique est tristement marquée par cette perte, qui les maintient dans un état d’anxiété permanent. Pour se calmer, ils recourent à des comportements d’auto-apaisement sous forme d’addictions : alcool, drogues, pornographie, travail, shopping, voyages, etc.
Leur compulsion de répétition
Un autre trait commun aux narcissiques est la compulsion de répétition. Dans leurs relations, par exemple, les narcissiques choisissent un(e) partenaire, puis reproduisent les mêmes schémas : idéalisation, dévalorisation, rejet, cruauté et abus sadique. Ils ne peuvent tout simplement pas s'en empêcher.
Leurs troubles d’attachement
Les narcissiques ont également des attachements dysfonctionnels, souvent de type évitant ou insécurisé, car ils sont incapables de s’investir véritablement dans quelqu’un. Ils ont aussi un accès limité aux émotions positives, ayant appris dans leur enfance que celles-ci, comme l’amour, entraînaient de la douleur.
L’instabilité relationnelle du narcissique
Un autre aspect fondamental du narcissique est son manque de continuité. Il n’a pas de noyau stable, pas de cohésion interne. Le narcissique se présente souvent sous différentes personnalités, n’ayant pas de souvenir clair de la majorité de sa vie. Il est un spectateur de sa propre existence, comme un acteur dans un film.
Sa création de récits et confabulations
Le narcissique ment, confabule et invente des récits crédibles mais fictifs, auxquels il finit par croire et qu'il défend avec acharnement.
Ces comportements sont souvent confondus avec du « gaslighting » — une forme de manipulation psychologique utilisée par les psychopathes.
Pourtant, chez le narcissique, il n’y a pas de préméditation malveillante comme dans le cas des psychopathes ; son seul but est de maintenir le flux de sa provision narcissique.
(Pour en savoir plus sur ce thème, consultez l’article intitulé La provision narcissique.)
Ses mécanismes infantiles
Le narcissique utilise des mécanismes de défense infantiles, comme le clivage, la séparation entre le bien et le mal, car il est psychologiquement figé dans un état de régression infantile.
Il présente également un « syndrome de Peter Pan » : il s’attend à ce que les autres satisfassent ses besoins, comme s’il était encore un enfant.
Sa distorsion cognitive
Le narcissique souffre aussi de distorsions cognitives, notamment de grandiosité. Il se perçoit comme parfait, omniscient, omnipotent — une vision totalement fausse, mais à laquelle il adhère fermement, s’éloignant ainsi de la réalité.
(Si vous souhaitez savoir comment ces distorsions cognitives se manifestent, lisez l'article intitulé Les narcissiques classiques.)
Leur rejet comme moyen de contrôle
Le narcissisme est également considéré comme une forme de psychose légère, une idée avancée par le psychanalyste autrichien Otto Kernberg dans les années 1970.
Pour gérer le chaos de leur environnement d’enfance, les narcissiques développent des stratégies de contrôle extrêmes, qu’ils exercent notamment en rejetant les autres.
Ils utilisent des mécanismes de défense « alloplastiques », blâmant autrui pour leurs échecs et se percevant comme des victimes de forces extérieures.
Ils déploient donc une activité de rejet : rejet des autres, de la réalité, et même d’eux-mêmes.
Leur honte toxique et leur haine de soi
Au fond, le narcissisme est une manifestation de « haine de soi » dissimulée derrière une façade d’arrogance et de supériorité.
Les narcissiques rejettent la réalité pour éviter de ressentir la honte internalisée dès l’enfance. Ils construisent ainsi un « faux self », une version idéalisée d’eux-mêmes, parfaite et omnipotente. Ce « faux moi » est à la fois un refuge et une prison, car il les éloigne d’une existence véritable.
Le narcissique est donc un enfant terrifié, incapable de comprendre le monde extérieur ou sa propre réalité intérieure.
Il vit dans un univers imaginaire, un « paracosme », où il s’évade dans un futur idéalisé, évitant ainsi le présent et les émotions douloureuses de son passé.
Une absence qui se prend pour une présence
Comprendre ces aspects du narcissisme est crucial pour ceux qui partagent leur vie avec un narcissique. Cela révèle les dangers de s’approcher trop près de cette « identité d’absence », qui se prétend « présence ». C’est un trou noir qui, une fois franchi, vous absorbe et ne vous libère jamais.
Le narcissisme n’est pas de l’amour de soi, mais son contraire : c’est un rejet de soi.
En effet, le narcissique ne possède qu’un « amour-propre », un attachement à une image idéalisée ou à un « faux self » construit pour obtenir validation et admiration externes.
Cet amour-propre l’empêche d’aimer qui que ce soit. Pour aimer autrui, il faut d’abord s’aimer soi-même.
Des relations sans profondeur ni authenticité
Incapables de véritable amour, les narcissiques se limitent à des interactions superficielles. Ils ne perçoivent pas autrui comme des individus à part entière, mais comme des objets à manipuler. Dépourvus d’un ego solide, ils sont incapables de s’aimer eux-mêmes. La relation narcissique devient ainsi une quête constante de « provision narcissique » dans un contexte vide d’authenticité.
En somme, vivre avec un narcissique, c’est vivre avec quelqu’un de fondamentalement absent, dont la psyché est fragmentée et qui rejoue sans cesse un drame intérieur pour combler un vide insatiable.
Son existence mécanisée et automatisée est marquée par le rejet, la dévalorisation et la douleur — pour lui-même autant que pour ses partenaires.
Sa projection d’un conflit interne sur vous
Le narcissique projette ses conflits internes sur ses relations intimes. En psychologie, on sait que lorsque les personnes ont des problèmes non résolus ou des conflits non apaisés, elles ont tendance à les recréer et à les répéter. C’est ce qu’on appelle la compulsion de répétition, un concept introduit par Sigmund Freud.
Cela signifie que toute relation avec un narcissique — votre relation avec lui — est destinée à recréer la dynamique du conflit qu’il a vécu avec sa mère durant ses premières années. Inconsciemment, il espère toujours que cette fois, avec une autre figure maternelle (c’est-à-dire vous), le résultat pourrait être différent.
Peut-être que, cette fois, l’équilibre des pouvoirs changera, permettant négociation, compromis et cohabitation.
Ainsi, il vous choisit en fonction de votre potentiel à devenir une figure maternelle, à le materner et à être une mère « suffisamment bonne », capable de lui offrir un amour inconditionnel.
Les tests pour guérir sa blessure archaïque
Pour évaluer si vous êtes une « bonne mère », le narcissique vous met à l’épreuve. Il vous soumet à des abus pour voir si vous continuerez à l’aimer malgré ses comportements destructeurs. Si vous y parvenez, alors, dans son esprit, vous êtes une mère suffisamment bonne, et vous méritez d’être son partenaire intime.
L’ironie, c’est qu’il espère inconsciemment guérir la blessure archaïque laissée par son conflit avec sa mère en rejouant ce scénario avec vous. Il cherche à vous transformer en une figure maternelle afin de revivre son enfance et de se donner une seconde chance d’être un enfant.
Les moyens de vous attirer dans son schéma
Comment parvient-il à vous faire jouer ce rôle de « mère » ? Il le fait en s’appuyant sur ce qu’on appelle le « fantasme partagé ».
Le narcissique crée un espace imaginaire, un reflet de son propre espace mental dans lequel il réside, et vous invite à le rejoindre au cours de la phase de bombardement affectif et de lune de miel. Cet univers est si séduisant que la plupart des partenaires y succombent.
Mais très tôt, il devient évident qu’il attend de vous bien plus qu’un simple partenaire intime ; il attend que vous remplissiez des fonctions maternelles. À ce stade, certains partenaires potentiels s’en vont, mais la majorité reste.
Pourquoi ? Pourquoi tant de personnes ignorent-elles leur instinct d’auto-préservation face au fantasme partagé d’un narcissique ? La réponse réside dans l’illusion d’une acceptation totale et d’une apparente forme d’amour de soi qu’il leur offre.
Son offre est contre-intuitive
Nous avons déjà vu que le narcissique est incapable d’aimer authentiquement, principalement parce qu’il n’a pas de véritable « Je suis ».
Ce qu’il vous offre, cependant, est une version de l’amour de soi par le biais de la stratégie du maternage mutuel.
Voici l’offre implicite qu’il vous fait si vous devenez son/sa partenaire intime : « Tu vas être ma mère, tu vas m’élever, et cette fois, tu me permettras de me séparer et de devenir un individu à part entière. »
Il vous avertit cependant qu’il devra, pour cela, vous dévaloriser et vous abandonner afin de compléter son processus de séparation-individuation.
C’est un marché déséquilibré dès le départ, car il laisse entendre très tôt que si vous ne vous conformez pas, il vous rejettera.
Ainsi, pour recréer la séparation-individuation, il se sent contraint de vous dévaloriser et de vous écarter. C’est une compulsion de répétition inévitable.
L’infidélité collusive comme outil de rejet
De nombreux narcissiques poussent leurs partenaires intimes à les trahir afin de réaliser un fantasme de trahison, enraciné dans leurs premières expériences d’enfance avec leur mère. Cette stratégie manipulatoire, qui consiste à pousser un(e) partenaire intime vers l’infidélité, s’appelle « infidélité collusive ».
La trahison permet au narcissique de se séparer du partenaire intime, qu’il a transformé en figure maternelle, et de ressentir la douleur de la trahison, qu’il considère comme rendant la séparation irréversible.
Le comportement autodestructeur du narcissique est une forme de désinvestissement émotionnel, qui lui permet de se détacher temporairement de son fantasme partagé et de passer à autre chose. Cependant, ce cycle se répète souvent avec de nouveaux partenaires, car le narcissique est incapable de se séparer et de s’individualiser pleinement.
Ses anxiolytiques : ses victimes et la trahison
Le narcissique considère la « provision narcissique », y compris le sexe, comme un moyen d’apaiser son anxiété.
En d’autres termes, ses sources d’approvisionnement narcissique et les comportements qu’il adopte envers elles lui servent à réduire son anxiété et à procurer un sentiment de bien-être en atténuant cette tension intérieure. Lisez l’article intitulé : La provision narcissique.
Mais il existe une autre source de soulagement pour le narcissique : « la trahison ».
S’étant senti trahi par sa mère dans son enfance, le narcissique cherche à recréer cette trahison tout au long de sa vie.
Dans sa quête d’être trahit par sa partenaire intime, il peut par exemple choisir des amis peu fiables qui pourront être ses adversaires potentiels, ou pousser lui-même sa partenaire intime à le trahir par ces comportements sadiques comme dans le cas des narcissiques classiques et des narcissiques cachés passifs-agressifs.
Lisez les article intitulés : Les narcissiques classiques et Les narcissiques cachés
Le fanstasme de trahison
Pour le narcissique, cette poursuite de la trahison est plutôt une fantasme de trahison. Pourquoi en a-t-il besoin ? Cela répond à une dynamique psychologique profonde où la trahison permet au narcissique de s’individualiser et de se séparer d’une figure maternelle remplaçante. La mère originale ne lui ayant jamais permis de se séparer psychologiquement d’elle, donc cette phase reste inachevée et le narcissique répète le processus à travers des partenaires successifs(ves).
La victimisation du narcissique
Dans cette quête de séparation, il transforme son partenaire intime en une figure maternelle pour ensuite orchestrer sa propre trahison en poussant le partenaire vers un autre homme. Cette trahison extrême, notamment l’infidélité, représente un rejet total et irréversible du narcissique, renforçant la séparation. En réalité, cette expérience douloureuse valide pour le narcissique l’idée qu’il est victime, un « pauvre enfant » trahi par une « mère infidèle » et manipulatrice.
En fin de compte, cette dynamique conduit le narcissique à s’enfermer dans une boucle perpétuelle de destruction de ses relations, toujours à la recherche d’un nouveau partenaire qu’il va élever à un statut idéalisé, avant de revivre inévitablement le cycle de la trahison et de la séparation.
L’infidélité comme mécanisme de régulation interne
Dans ce schéma répétitif, la trahison que recherche le narcissique n’est pas simplement un acte de douleur, mais un mécanisme complexe de régulation émotionnelle et psychologique.
La trahison collusive lui permet de se dissocier de son partenaire, qu’il considère comme une figure maternelle temporaire, et de renforcer son sentiment d’identité en tant qu’individu distinct, bien que d’une manière perturbée.
Cette séparation est essentielle pour lui, mais il ne parvient pas à la réaliser sans la charge émotionnelle intense de la trahison, qu’il perçoit comme une fin irréversible.
L’autosabotage relationnel
Pour atteindre cet état, le narcissique utilise ce que l’on pourrait appeler une forme d’autosabotage relationnel. Il incite son partenaire à le trahir de manière subtile mais persistante. Par exemple, il peut idéaliser un autre homme aux yeux de son partenaire, évoquer sans cesse ses qualités ou orchestrer des situations où son partenaire pourrait être attiré par cette personne.
Paradoxalement, ce n’est pas le plaisir de la souffrance qui motive le narcissique, mais bien l'assurance que la douleur intense causée par la trahison scellera la séparation.
Pour lui, une séparation simple et propre ne lui permettrait pas de rompre avec l’intensité nécessaire pour se détacher. Cette dynamique repose en partie sur ce que l’on appelle en psychologie l’« identification projective ».
En percevant son/sa partenaire intime comme une figure maternelle toute-puissante, capable de le trahir à tout moment, il projette sur elle ses propres blessures d’enfance et ses sentiments d’insécurité.
Il agit ainsi de façon à ce que le/la partenaire intime incarne la « mauvaise mère », la figure maternelle qui l’a autrefois trahi, ce qui facilite son propre détachement tout en le confortant dans son rôle de victime.
La confirmation de ses croyances infantiles
Une fois la trahison accomplie, le narcissique se voit confirmé dans sa croyance qu’il n’est pas digne d’amour et qu’il ne mérite pas le bonheur. Les voix internes qu’il associe à cette mère absente et sadique prennent le dessus, l’accablant de pensées destructrices comme : « Tu n’es pas aimable, tu mérites cette douleur ».
Le processus par lequel la mauvaise image de sa mère se confond avec celle de son/sa partenaire est appelé « fusion de l’introjection ». Autrement dit, l’introjection de sa mère, désormais fusionnée avec l’image de son/sa partenaire intime, lui fait ressentir que celle-ci est aussi mauvaise que sa mère. Cette fusion le conduit alors à s’évaluer lui-même comme un « mauvais objet », renforçant son sentiment de dévalorisation et le plongeant dans un état de souffrance extrême, pouvant même mener à des pensées suicidaires.
La phase d’isolement après la rupture
Après cette phase de trahison, le narcissique entre dans une période d’isolement et de dépression, marquée par une perte totale de libido et une dissociation émotionnelle. Cependant, pour atténuer cette douleur, il se tourne à nouveau vers une nouvelle partenaire, qu’il idéalise et transforme en figure maternelle. Ce cycle de destruction-reconstruction, appelé en psychanalyse « compulsion de répétition », le ramène inlassablement à revivre la trahison de son enfance dans une tentative désespérée de résoudre une blessure originelle non résolue.
L’emprisonnement dans le même scenario
Ainsi, le narcissique ne perçoit pas ses partenaires comme des individus distincts, mais comme des « objets internes » qu’il manipule pour rejouer un drame ancien.
Il idéalise temporairement sa nouvelle partenaire, puis la dévalue progressivement jusqu’à orchestrer sa trahison, tout cela pour revivre cette dynamique de séparation irréversible qu’il n’a jamais pu accomplir avec sa mère.
En somme, la trahison chez le narcissique est à la fois un mécanisme de survie et une prison émotionnelle. Ce schéma destructeur lui permet d’échapper à la vulnérabilité émotionnelle et de maintenir son contrôle, mais le rend également incapable de créer des relations authentiques et épanouissantes.
À chaque nouveau cycle, le narcissique répète le même schéma, piégé dans une quête incessante d’une séparation qui ne fait que renforcer son sentiment de vide intérieur.
L’instigation consciente de ses souffrances
Dans cette quête perpétuelle de trahison et de séparation, où le narcissique ne parvient jamais à satisfaire pleinement son besoin de clore son histoire avec la figure maternelle, il se retrouve piégé dans une boucle de réactivation.
Chaque nouvelle relation devient alors une tentative de rejouer ce drame intérieur pour enfin l’achever. Ce schéma fait du narcissique à la fois la victime de sa propre compulsion de répétition et l’instigateur conscient de ses propres souffrances, bien que souvent désespéré.
Sa vision infantile des sources d’approvisionnement
Ce processus, comme nous l’avons vu, commence généralement par une phase d'idéalisation, au cours de laquelle le narcissique projette des qualités idéalisées sur son partenaire, perçu comme une source potentielle de « provision narcissique ».
À ce stade, le partenaire est perçu comme parfait, souvent élevé au rang de figure maternelle rassurante et protectrice.
Cette prmière phase lui procure un sentiment de complétude temporaire, une sorte de « réparation » momentanée de la blessure intérieure. Mais cette plénitude est fragile, car elle repose entièrement sur une image interne idéalisée, déconnectée de la réalité du partenaire comme être humain indépendant.
La phase de la dévalorisation
Une fois que le narcissique ressent les premières fissures dans cette idéalisation (souvent à cause de la moindre imperfection ou désaccord de la part de son partenaire), il entre dans une phase de dévalorisation.
Il commence alors à trouver des défauts chez son partenaire, à minimiser ses qualités, et à se concentrer sur les aspects qui pourraient le trahir.
Cette dévalorisation crée une distance émotionnelle nécessaire pour renforcer son propre contrôle et préserver son indépendance, tout en préparant le terrain pour la phase finale de séparation.
C’est ici que la trahison joue un rôle crucial
En poussant son partenaire à l’infidélité ou à un acte de trahison, le narcissique orchestre un scénario où il peut se considérer comme la victime innocente, abandonnée par une figure maternelle symbolique, réaffirmant ainsi la trahison initiale de sa propre mère.
Sa partenaire devient donc le catalyseur de la rupture nécessaire à son sentiment d’individuation, même si cette rupture est fictive et auto-imposée.
La douleur de la trahison, même si c’est lui qui l’a provoquée, devient un instrument pour ancrer cette séparation, rendant l’éloignement émotionnel tangible et irrévocable.
L’illusion de séparation d’avec sa mère
Le paradoxe réside dans le fait que ce schéma autodestructeur semble donner au narcissique une forme de satisfaction temporaire : la douleur extrême de la trahison lui donne l’impression d’avoir enfin rompu avec cette figure maternelle qu’il ne pouvait quitter dans son enfance. Mais au fond, cette séparation est illusoire, car elle n’a pas vraiment permis de résoudre la blessure initiale ; elle ne fait que reproduire le trauma.
Le narcissique reste enfermé dans un cycle où chaque nouvelle trahison renforce le « mauvais objet » intérieur – l’image d’une mère absente, sadique et dévalorisante – qui continue de régner sur sa psyché.
Sa dépression et son désinvestissement affectif
À ce stade, une fois que le narcissique a consommé la rupture avec son partenaire, il tombe dans une profonde dépression. L’extinction de son désir et l’éloignement de tout attachement émotionnel marquent une phase de désinvestissement affectif. Cette détresse lui fait ressentir un besoin de renouveler l’expérience avec une autre personne pour réactiver cette illusion de contrôle et de séparation finale. Malheureusement, cette tentative de guérison par la répétition ne fait que perpétuer le cycle destructeur.
La récréation d’un scénario illusoire
En résumé, le narcissique recrée inlassablement un scénario où il tente de séparer de manière définitive une figure maternelle de substitution, un schéma qui découle d’une blessure d’enfance non résolue.
Chaque relation devient alors une répétition du drame intérieur, un jeu où il est à la fois metteur en scène et victime, cherchant désespérément une libération qui lui échappe continuellement.
Ce cycle est une prison psychologique, et tant qu’il n’aura pas affronté et intégré la souffrance originelle plutôt que de la projeter sur ses partenaires, il continuera à rejouer ce scénario de trahison et de séparation sans jamais parvenir à la guérison réelle ou à la paix intérieure.
Son vide intérieur après chaque rupture
Après chaque rupture provoquée, le narcissique entre dans une phase de dépression et d’isolement profond, marqué par un sentiment de vide écrasant.
Ce vide est en réalité le reflet de son incapacité à se sentir pleinement autonome, car le processus de séparation qu’il recrée sans cesse est fondamentalement défaillant.
Au lieu de se libérer de ses conflits intérieurs, chaque relation terminée par une trahison, ne fait que renforcer le pouvoir du « mauvais objet » maternel en lui, cette figure intérieure sadique et dévalorisante qui continue de hanter son esprit.
Le rôle du mauvais objet dans sa psyché
Ce « mauvais objet » — la représentation internalisée de la figure maternelle perçue comme sadique — exerce une emprise toxique sur le narcissique.
Cette voix intérieure critique, remplie de reproches et de jugements dévalorisants, influence ses pensées et ses comportements, renforçant constamment l’idée qu’il est indigne d’amour et de bonheur.
En projetant cette représentation sur ses partenaires, le narcissique cherche non seulement à recréer le traumatisme de l’enfance, mais aussi à maintenir la croyance qu’il est un enfant fondamentalement inadéquat et incapable de recevoir de l’amour véritable. En d’autres termes, chaque trahison nourrir cette conviction délétère.
L’instrumentalisation de ses partenaires intimes
Lorsque le narcissique incite activement son partenaire à le trahir, il cherche à valider cette voix intérieure critique, qui lui répète sans relâche qu’il est non seulement indigne, mais également condamné à être trahi.
Le scénario de trahison orchestré alimente cette dynamique interne en confirmant que, dans son esprit, tout le monde finit par le rejeter, le trahir ou l’abandonner.
Ce processus de renforcement du « mauvais objet » conduit à un autosabotage permanent, empêchant le narcissique de se lier authentiquement avec autrui.
Son dilemme tragique
Le narcissique est pris dans un dilemme tragique : d’une part, il désire inconsciemment se séparer du « mauvais objet », pour pouvoir accéder à une paix intérieure et à une forme d’autonomie émotionnelle. D’autre part, il est terrifié par l’idée de perdre cette figure maternelle, même dans sa forme dévalorisante et sadique.
En rejetant et en manipulant ses partenaires pour qu’ils trahissent, il se garantit de rester sous l’influence du « mauvais objet » tout en éprouvant un soulagement temporaire à travers la souffrance de la trahison.
Sa souffrance n’est jamais cathartique
Au lieu de permettre une guérison, la compulsion de répétition entraîne le narcissique dans une nouvelle descente en enfer émotionnelle. Après chaque séparation douloureuse, il se retrouve seul, rongé par des pensées autodestructrices et parfois suicidaires.
Cette période de vide extrême est marquée par une perte de libido, une absence d’énergie et une incapacité à se projeter dans l’avenir, car il est hanté par la fusion du « mauvais objet » maternel avec l’image du ou de la partenaire qui l’a trahi(e)
Le nouveau partenaire pour revivre le drame
Une fois qu’il a atteint ce point de rupture, le narcissique est incapable de supporter la souffrance et le vide laissés par cette dernière trahison. Sa seule solution perçue est de trouver un nouveau partenaire, de recréer une nouvelle relation pour relancer le cycle de valorisation, d’idéalisme, puis de trahison.
Ce besoin compulsif de revivre le drame de la séparation est ce que Freud appelait une compulsion de répétition, un schéma psychologique où l’individu rejoue sans cesse une expérience traumatique dans l’espoir, souvent inconscient, de pouvoir enfin la résoudre ou la transcender.
Une résolution inaccessible
Cependant, cette résolution reste toujours inaccessible au narcissique, car il ne parvient pas à faire face à la source véritable de sa douleur : la blessure initiale causée par sa relation infantile non résolue avec la figure maternelle.
Plutôt que de confronter et d’intégrer cette souffrance d’une manière constructive, le narcissique choisit de projeter son traumatisme dans ses relations amoureuses, sans jamais pouvoir le résoudre.
La fin tragique et sans fin du cycle narcissique
En fin de compte, le cycle du narcissique est une quête sans fin vers une séparation qui n’arrive jamais, un désir d’individuation jamais accompli. Ses relations ne sont que des jeux de miroirs où il recrée sans cesse son drame intérieur infantile, piégé dans une illusion de contrôle et de détachement.
Cette quête de trahison le condamne à une existence isolée, incapable de se lier authentiquement avec autrui, car il ne reconnaît en ses partenaires que des reflets de ses propres blessures.
Chaque tentative de relation est vouée à échouer
Ainsi, chaque tentative de relation est vouée à échouer, car elle ne peut satisfaire son besoin de reconnaissance ou d’authenticité. Pour que le narcissique rompe réellement ce cycle, il lui faudrait entreprendre un travail introspectif profond, confrontant la souffrance originelle et la dépendance psychologique envers ce « mauvais objet » intérieur. Cependant, cette démarche est souvent inaccessible au narcissique, car elle nécessiterait de reconnaître sa propre vulnérabilité et d’abandonner l’illusion de contrôle.
La possibilité d’une transformation intérieure
Ce cycle se terminera uniquement si le narcissique parvient à dissoudre l’emprise du « mauvais objet » et à se libérer de sa compulsion à recréer la trahison. Cela demanderait une transformation intérieure profonde, un chemin rarement emprunté car il impose une vulnérabilité que le narcissique fuit depuis toujours.
En conclusion, ce cycle ne peut être rompu que si le narcissique entreprend un travail introspectif profond et accepte d’affronter les racines de sa souffrance.
Ce chemin implique d’abandonner ses mécanismes de défense et de reconnaître sa vulnérabilité — un processus difficile pour un narcissique, mais possible avec un soutien thérapeutique adéquat et une prise de conscience authentique.
Ma conclusion
Après avoir étudié la description remarquable du professeur Sam Vaknin concernant la compulsion de répétition, je souhaiterais souligner que le trouble de stress post-traumatique laisse l’enfant psychiquement bloqué dans une « idée fixe de lui-même », liée à sa perception altérée d’être attaché à une mauvaise mère. Ce qui confirme sa honte toxique.
S’identifiant à son mental, le narcissique se dit inconsciemment : « Je ne suis qu’un enfant blessé à jamais, victime d’une mère malveillante. »
En réaction à cette fixation mentale, il tente de « devenir lui-même » en empruntant le chemin de l’inconscience : se débarrasser d’une mère imaginaire, qui n’existe plus que dans son esprit, tout en croyant être un enfant blessé.
En tenant ces croyances toxiques pour vraies, il est assoiffé d’existence, car elles sont mortifères et le poussent à rejeter cruellement ses partenaires intimes.
L’éminent docteur canadien Gabor Maté affirme : « Le traumatisme n’est pas ce qui nous est arrivé, mais ce qui s’est passé dans notre psychisme à la suite de ce qui nous est arrivé. »
La fixation mentale d’un narcissique, qu’il ne remet jamais en question, détermine sa compulsion de répétition. C’est ce que j’appelle une « hypnose identitaire ».
L’état hypnotique des narcissiques est très profond. Sam Vaknin a déclaré dernièrement : « L’objet « moi » du narcissique est en réalité son « faux self » ― un objet interne. Seul ce « faux self » peut croire qu’il établit des relations avec des objets externes, c’est-à-dire les autres, alors qu’il ne fait qu’interagir avec lui-même. »
Les narcissiques ont donc besoin d’entrer dans un processus de déshypnose identitaire. Pour en savoir plus, lisez l’article intitulé La déshypnose des objets internes.
Ils ignorent que « être à jamais un enfant blessé » n’est qu’une idée qui n’ajoute rien ni n’enlève rien à la conscience absolue, cette conscience qui fait respirer l’univers tout entier, y compris lui-même.
Prabhã Calderón