Les narcissiques classiques

10 sept. 2024

Qui sont les narcissiques pathologiques dits « manifestes » ou « classiques » ? Savez-vous exactement comment ils parviennent à vous contrôler, à vous manipuler, à vous hypnotiser et à détruire votre psychisme ? Quelles différences de comportement ont été observées entre les deux sous-types de narcissiques classiques : les cérébraux et les somatiques ?

Pour comprendre leur fonctionnement, il est essentiel de s’appuyer sur une expertise solide. Cet article s’appuie sur les enseignements du célèbre Israélien Sam Vaknin, professeur en psychologie clinique. Au cours des trente-cinq dernières années, il a mené des recherches approfondies sur le narcissisme pathologique et d’autres troubles de la personnalité. Il a écrit de nombreux ouvrages et a apporté au monde des concepts majeurs permettant de décrire et de percer les mystères de ce trouble identitaire, situé aux confins de la psychose.

Il a fourni des descriptions précises et détaillées des dynamiques internes propres aux narcissiques pathologiques, donnant ainsi aux victimes les moyens de se libérer des effets traumatiques de l’abus narcissique. Chaque vidéo qu’il publie sur YouTube est accompagnée d’une transcription, disponible sur son site web : vaknin-talks.com.

Vous trouverez les descriptions des narcissiques manifestes et des narcissiques cachés dans deux articles distincts. Cependant, la CIM-11 (Classification internationale des maladies, 11ᵉ révision), établie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), indique que tous les narcissiques peuvent adopter des comportements « manifestes » ou « cachés » à différents moments de leur vie, en réaction à diverses circonstances ou à des signaux environnementaux.

Note : Je suis profondément reconnaissante au professeur Sam Vaknin pour avoir transformé ma vie, ainsi que celle de milliers de personnes victimes d’abus narcissique. J’ai rédigé cet article en m’appuyant sur les résumés de nombreuses vidéos pédagogiques qu’il a publiées, que j’ai traduites et organisées par thèmes afin d’en offrir une meilleure compréhension en français. Il est important de préciser que la moitié des personnes présentant un trouble de la personnalité narcissique sont des femmes. Toutefois, afin de simplifier la lecture, j’utilise le pronom masculin.
Prabhã Calderón

Le narcissisme primaire comme processus d’individualisation

Le narcissisme se manifeste dès la petite enfance, entre huit mois et quatre ans. À ce stade, l’enfant traverse une phase de narcissisme primaire, essentielle à la construction de son identité. Cette période marque le début du processus de différenciation et d’individuation, au cours duquel il se détache progressivement de sa mère afin de se construire comme un être distinct, d’acquérir son autonomie et de développer sa confiance en lui-même ainsi que son estime personnelle.

S’il ne parvient pas à s’individualiser ni à se séparer psychiquement de sa mère, son narcissisme risque de se figer et de devenir pathologique : c’est le narcissisme secondaire. Il demeure alors bloqué à une étape pré-cognitive de son développement, située entre un et six ans, période durant laquelle l’enfant ne peut ni penser, ni raisonner, ni accéder pleinement à la cognition. Ce phénomène s’observe chez les enfants qui cherchent à se protéger d’un environnement insécurisant et anxiogène — engendré par la maltraitance, la négligence ou l’instrumentalisation excessive de parents immatures. Pour se protéger de leurs parents, ces enfants adoptent alors un faux moi, généralement appelé « faux self ».

Le faux self des narcissiques : un dieu protecteur

Le faux self des narcissiques pathologiques incarne l’idéal de tout ce qu’ils aimeraient être, mais ne sont pas. Il émerge comme un rituel religieux intérieur.

Initialement, ce faux self prend la forme d’un « dieu protecteur » et invulnérable : une entité imaginée par l’enfant pour survivre dans un contexte familial dysfonctionnel, marqué par l’insécurité constante. Il renonce alors à son être authentique. Il sacrifie son vrai « Je suis » — son être essentiel — sur l’autel de ce dieu imaginaire, lui offrant le cœur de son identité naissante, puis se fondant en lui. Mais ce dieu n’est autre que le faux self : une enveloppe vide, façonnée pour contenir la peur et donner l’illusion d’un moi invulnérable.

Dès lors, l’enfant est absorbé par ce dieu, qui deviendra, à l’âge adulte, son identité d’absence. Ce faux self ne se réduit pas à un simple masque que l’on pourrait ôter : c’est un échafaudage psychique défensif, profondément enraciné. En ce sens, le narcissique ne joue pas à « être son faux self » : il est devenu son faux self.

Pour cette raison, il ne perçoit pas de différence entre son monde intérieur et le monde extérieur. Là où la plupart des individus remarquent une dissonance entre leurs ressentis et les exigences de la réalité, le narcissique, lui, ne connaît pas ce fossé : il prend ses fantasmes pour la réalité, qui devient la seule vérité possible.

Le faux self des narcissiques pathologiques n’existe que par le biais des fantasmes. Figés dans l’enfance, ils évoluent dans un univers fantasmatique où la frontière entre réalité et fiction se dissout. Ils habitent un monde tissé de leurs propres fabulations — des réalités alternatives, apparemment cohérentes, plausibles, parfois même démontrables — qu’ils prennent pour des vérités absolues. Ils s’y agrippent, inconscients du caractère illusoire de leurs récits.

Toute tentative d’introduire une perspective extérieure se heurte à leur déni : pour eux, leurs illusions ne sont pas des leurres, mais l’unique réalité admissible, car leur monde fictif est la seule manière de protéger leur faux self. Ainsi, leurs fantasmes de grandeur renforcent une image de soi perçue comme indiscutablement réelle.

Si l’on parvient à démontrer à un narcissique que son image est illusoire il peut s’effondrer, car en dehors de son faux self, il ne possède ni structure psycho-émotionnelle stable, ni ego solide. Nous verrons cela plus loin.

Qu’est-ce que le narcissisme sain ?

Le narcissisme sain constitue le socle de l’amour de soi, de l’estime de soi et de la confiance en soi. Cette expérience affective est fondamentale : elle permet à chacun d’évoluer en permanence et d’accéder pleinement à la présence et à l’authenticité de l’être, ici et maintenant.

L’amour de son véritable « Je suis » — sans définitions ajoutées — est la condition essentielle pour pouvoir aimer les autres et établir une communication authentique avec eux, dans le respect de leur altérité — ce qui correspond, au fond, à la définition même de l’empathie.

Soutenu par notre cathexis — notre énergie émotionnelle — l’amour de Soi nous permet de nous investir en nous-mêmes autant que dans nos relations intimes et sociales, avec authenticité et intégrité. C’est ainsi que peuvent se développer des relations matures et équilibrées, fondées sur l’ARA : l’Amour, le Respect et les Attentions partagées.

Cet échange humain devient possible grâce à la présence des fonctions essentielles de l’ego, telles que la capacité à discerner le réel de l’illusoire, à réguler les émotions, à contrôler les pulsions, à mobiliser les fonctions cognitives et le jugement, ainsi qu’à mettre en place des défenses saines et des limites structurantes. Pour en savoir davantage, lisez cet article : Les fonctions cruciales de l’ego.

Qu’est-ce que le narcissisme sous-clinique ?

Il s’agit d’un style ou d’une configuration narcissique que l’on retrouve chez des individus pleinement autonomes et fonctionnels. On observe chez eux les comportements suivants :

  • Ils peuvent se montrer arrogants, odieux ou manipulateurs, jusqu’à en devenir repoussants. C’est notamment le cas de certains individus machiavéliques, qui recourent à la ruse et à la manipulation pour atteindre leurs objectifs, par exemple dans le domaine politique.

  • Ils peuvent également se révéler charmants et irrésistiblement attirants, sans pour autant être obsédés par la recherche d’attention, de validation ou d’admiration — à la différence des narcissiques pathologiques.

  • Bien qu’ils manifestent certains mécanismes narcissiques, ceux-ci n’entraînent ni souffrances émotionnelles majeures chez autrui, ni comportements véritablement destructeurs dans leur environnement personnel ou professionnel.

  • Ils ne provoquent ni détresse significative, ni altérations profondes du comportement dans les relations intimes, au point d’affecter de manière irréversible leurs proches — contrairement à ce que l’on observe chez les personnes en lien avec des narcissiques pathologiques.

Maintenant, découvrons le narcissisme pathologique, classifié dans tous les ouvrages de psychiatrie comme un trouble de la personnalité, et non comme une perversion.

Le narcissisme pathologique : un trouble de stress post-traumatique

Le narcissisme pathologique résulte d’un trouble de stress post-traumatique, possiblement lié à un dysfonctionnement neuronal, et aux effets d’une société de plus en plus narcissique et dystopique.

Définition et cadre théorique : le narcissisme pathologique est un trouble de l’identité situé à la frontière de la psychose. Le célèbre psychanalyste Otto Kernberg a d’ailleurs souligné les similitudes du narcissisme pathologique avec le trouble de la personnalité borderline, ainsi qu’avec certains aspects de la schizophrénie.

Leur altération psychotique : les recherches prouvent que les narcissiques pathologiques souffrent d’une altération de leur perception — de soi et du monde — renforcée par une déconnexion du réel qui engendre des distorsions cognitives majeures. C’est le résultat d’un trouble de stress post-traumatique car, dans leur enfance, ils ont été gravement victimisés.

Leur identité : celle-ci demeure diffuse, fragmentée et désamorcée, parce qu’elle est fondée sur un noyau schizoïde vide, une pulsion de mort et une insécurité ontologique terrifiante. (Le mot ontologique provient du grec ontos qui signifie « être ».)

Leur quête d’existence : dès l’enfance, les narcissiques ont adopté un faux self, un dieu imaginaire censé les protéger de leurs traumatismes et de leur insécurité ontologique. Ce dieu, devenu leur faux self, n’est qu’un totem creux. Exister, pour eux, revient à s’ériger en êtres uniques, spéciaux, supérieurs, omniscients, tout‑puissants et moralement irréprochables — un délire de grandeur qui les tient à distance du réel.

La gestion de leur image : devenus leur faux self, les narcissiques ne s’intéressent pas à ce qui est authentique ou substantiel, mais à ce qui ressemble au réel : la simulation, l’imitation, la mimique. Autrement dit, ils imitent les êtres humains sans pour autant éprouver les sentiments qui caractérisent un adulte autonome, tels que la compassion, l’empathie affective ou l’amour véritable. Ils ressemblent à des androïdes programmés, capables d’exprimer des émotions positives, mais incapables de les ressentir.

La focalisation de leur attention : à l’image de Narcisse dans la mythologie grecque, les narcissiques pathologiques ne se focalisent que sur leur image — l’admiration de soi, l’excès d’intérêt personnel, l’autogratification, l’autojustification de leurs droits sur autrui, l’auto-adulation, la vanité, l’autovictimisation et l’autoduperie.

Leur discontinuité identitaire : privés d’un véritable Soi — d’une identité intégrée — ils demeurent incapables de s’appuyer sur un sentiment interne de continuité et de stabilité. Ils présentent des trous de mémoire et une discontinuité dans leurs souvenirs, ce qui les empêche de maintenir une identité de base et une mémoire cohérente de leur continuité. De plus, ils demeurent incapables de percevoir la dynamique interne héritée de leur enfance.

Leurs mécanismes de défense : leur principal refuge est le fantasme. Englués dans un scénario figé dont ils ne peuvent s’extraire, la réalité leur est insupportable. Ils errent alors tels des acteurs perdus dans une pièce théâtrale, évoluant dans un espace mental clos et n’interagissant qu’avec des « objets internes » — des avatars façonnés à partir des autres, mais issus de leur propre esprit.

Leur instabilité : leurs distorsions cognitives, de nature délirante, les rendent irrationnels : aucune preuve objective ne peut ébranler leurs certitudes. Même s’ils peuvent adapter leur comportement aux circonstances extérieures — par imitation ou camouflage social — sur le plan psycho-émotionnel, ils restent instables, chaotiques et profondément carencés en estime de soi comme en confiance en eux.

Leur affectivité : celle-ci est dominée par des émotions négatives : honte, rage narcissique, paranoïa, envie corrosive et haine de soi. Manquant d’empathie psychoaffective — qui suppose la reconnaissance de l’autre comme sujet distinct, porteur de ses propres limites et de son altérité — ils peinent à reconnaître autrui comme un être à part entière, doté d’une conscience et d’une individualité.

Leur provision narcissique : les narcissiques pathologiques cherchent compulsivement l’attention d’autrui pour se sentir exister, même si ces sources externes sont insignifiantes à leurs yeux. C’est pourquoi, ils transforment les autres en sources d’approvisionnement narcissique. À l’extérieur, ils recherchent une provision narcissique valorisante, tandis qu’au sein du couple, ils obtiennent une provision narcissique sadique. Pour approfondir ce sujet, voir cet article : La provision narcissique.

L’exploitation d’autrui : les autres ne sont, pour eux, que les symboles de leur drame intérieur. Incapables de concevoir une existence séparée de la leur, ils ne discernent pas où ils s’achèvent et où les autres commencent. Ainsi, ils consomment, exploitent, épuisent et détruisent psychiquement autrui, en projetant sur lui leur rage narcissique.

Leur fantasme partagé : il s’agit d’un récit illusoire que les narcissiques imposent à leurs proches — dans le but inconscient de les utiliser, afin de s’individualiser, de se séparer de leur mère et d’évoluer vers leur autonomie et souveraineté. Ce qui est impossible. Ils transforment ses personnes en objets internes — des pâles avatars issu de leur imagination. Le fantasme partagé se déploie en sept phases prévisibles, magistralement décrites par Sam Vaknin. Vous pouvez les étudier dans cet article : Le fantasme partagé des narcissiques.

Leur espace psychotique : ils enferment leur partenaire intime et leurs enfants dans un espace psychotique — une véritable secte, où ils deviennent une sorte de gourou imposant un culte. Dans cet espace théâtral, ils réactivent sans cesse leur blessure archaïque et le conflit originel avec leur mère, tout en transmettant à leur famille leur trauma complexe.

Leurs stratégies de manipulation : inconsciemment, ils recourent à divers jeux de pouvoir et à des stratégies de contrôle et de manipulation, afin de pousser leur partenaire intime et leur famille à ressentir et penser ce qu’ils veulent, à leur insu ou contre leur gré.
Entre autres, ils recourent au gaslighting — une hypnose redoutable. Il s’agit d’une pression psychologique exercée par des discours répétitifs et écœurants, fondés uniquement sur leurs fantasmes. Ils brouillent ainsi la perception de leurs victimes et instaurent une complicité circulaire, où les réactions de ces dernières servent à renforcer leur pouvoir.

Leur inconscience : bien qu’ils soient partiellement conscients de leurs actes, ils demeurent incapables d’en assumer la responsabilité — et encore moins d’en comprendre les motivations profondes ou la dynamique psychique sous-jacente.

L’esquisse que vous venez de lire n’est pas une description complète. Si une personne ne présente pas la dynamique psychologique, les mécanismes défensifs, les récits illusoires, les fantasmes et les comportements décrits dans cet article, elle ne peut être considérée comme souffrant de narcissisme pathologique.

Les narcissiques pathologiques, sont-ils pervers ?

Non, dans les manuels de diagnostic de la communauté scientifique anglo-saxonne — tels que le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), ainsi que dans la CIM (Classification internationale des maladies) — le narcissisme pathologique est désigné comme un trouble de la personnalité, sans le confondre avec des troubles de type pervers.

Le terme « pervers narcissique » n’apparaît dans aucun manuel diagnostique officiel. Il s’agit d’un concept religieux, popularisé dans les milieux médiatiques, mais il ne correspond pas à une entité clinique validée.

En revanche, en France, le terme « pervers narcissique » (PN) est utilisé pour décrire le narcissisme pathologique de manière agressive, péjorative, stéréotypée ou confuse. Cela a de graves conséquences sur sa compréhension au sein du grand public. Dans aucun autre pays au monde ce terme n’est employé par les psychiatres ou les psychologues.

Le mot « pervers » vient du latin pervertere, qui signifie « renverser », « détourner » ou « corrompre ». Le psychiatre et psychanalyste français Paul‑Claude Racamier l’a repris pour désigner la manière dont les narcissiques pathologiques manipulent les paroles et les situations, les retournant contre autrui et à leur propre avantage.

Par la suite, la psychanalyste, victimologue et psychiatre Marie‑France Hirigoyen a publié « Le harcèlement moral », un livre qui a eu un immense retentissement en France en 1998. Elle y décrit les mécanismes de manipulation et de domination psychologique, en reprenant et vulgarisant la notion de « pervers narcissique » pour le grand public.

Cependant, chez les narcissiques, ces comportements ne procèdent ni d’une volonté délibérée, ni d’une cruauté préméditée, ni d’un penchant criminel, ni d’une perversion sexuelle.

Le véritable narcissisme pathologique se manifeste par la création de fantasmes, délires, récits illusoires et fabulations, que les narcissiques prennent pour la réalité. Près de 80 % de leur activité psychique est fondée sur des fantasmes, qui façonnent leur perception du monde et d’eux-mêmes. C’est par cette activité fantasmatique que les narcissiques s’isolent de leur environnement et se protègent des souffrances psychiques issues de l’enfance.

Leurs comportements ne sont pas guidés par une fourberie intentionnelle, contrairement aux psychopathes. Pour mieux comprendre ces distinctions, vous pouvez consulter l’article : Psychopathes vs narcissiques – leurs différences.

Dans l’une de ses vidéos pédagogiques, intitulée Perversity of Narcissistic Perversion (traduit par La perversité de la perversion narcissique), le professeur Sam Vaknin déclare :
« Le mot « pervers » dénature la véritable signification du narcissisme pathologique. La seule perversion de la prétendue perversion narcissique, c’est le mot « pervers » lui-même. »

Cela dit, les narcissiques pathologiques détruisent inconsciemment l’intégrité psychique des autres, générant ce que l’on désigne comme un abus narcissique. Ils les victimisent en leur transmettant leurs traumatismes complexes ainsi que les souffrances issues de leur enfance.

L’abus narcissique et la sous-estimation de sa gravité

De nombreuses victimes de narcissiques pathologiques ont tendance à minimiser la gravité de l’abus narcissique qu’elles subissent. Cette attitude s’explique en partie par l’emprise psychologique exercée par le narcissique pathologique avec qui elles vivent ou travaillent. Mais elle est également renforcée par la méconnaissance du narcissisme pathologique au sein de leur entourage — y compris de la part de leur psychiatre, psychanalyste, thérapeute, psychologue ou coach — ainsi que par le manque d’outils thérapeutiques adaptés pour surmonter les traumatismes liés à ce type d’abus.

Sam Vaknin a inventé la notion d’abus narcissique en 1995. Voici sa description :
L’abus narcissique se manifeste sous diverses formes de maltraitance — verbale, physique, sexuelle, psychologique, émotionnelle, familiale, domestique, professionnelle, éducative, sociale, juridique et financière. Il s’agit de la seule forme d’abus qui touche simultanément toutes ces dimensions, affectant toutes les strates de la conscience.

Le but inconscient du narcissique pathologique est d’anéantir psychiquement la victime en tant qu’individu autonome et interdépendant, afin de la modeler et de la recréer comme son extension — un objet interne ou une introjection entièrement contrôlable et manipulable. L’élimination de l’individualité de la victime, de son existence distincte, constitue donc le noyau de l’abus narcissique. Et cela ne se produit dans aucune autre forme d’abus.

L’abus narcissique est pernicieux, néfaste et omniprésent, touchant de multiples domaines de la vie. Il englobe une multitude de comportements, manipulations et techniques coercitives. Ce type d’abus se distingue des autres par son ampleur, sa sophistication, sa durée et sa polyvalence.

Il résulte d’une dynamique inconsciente, sans intention préméditée de nuire. Pourtant, il porte gravement atteinte à l’autonomie, à la volonté propre, à l’auto-efficacité et, en fin de compte, au bien-être de la victime. Il peut se manifester de manière subreptice, souvent imperceptible, ou de façon ouverte et flagrante.

Se reproduisant dans un espace psychotique connu sous le nom de fantasme partagé, tout est utilisé contre la victime : son lieu de travail, ses centres d’intérêt, ses loisirs, ses peurs, ses espoirs, ses priorités, ainsi que les informations confidentielles partagées dans les moments d’intimité. L’abus narcissique constitue ainsi l’une des expériences les plus sombres et destructrices qu’un être humain puisse traverser.

Le fantasme partagé : un espace psychotique de destruction psychique

Le narcissisme pathologique, indissociable des relations intimes, conduit ceux qui en sont atteints à imposer à leur entourage — conjoint, partenaires, collaborateurs, proches — un fantasme partagé inconscient, structuré par des automatismes mentaux qui se déploient inexorablement en neuf phases. Cette mécanique relationnelle, à la fois prévisible et contraignante, échappe à leur propre volonté.

Les neuf phases du fantasme partagé sont les suivantes : repérage audition idéalisation bombardement d’amour maternage mutuel dévalorisation de l’objet interne dévalorisation de l’objet externe rejet cruel peut-être une relance narcissique.

Au fil de ces phases de la relation, décrites magistralement par Sam Vaknin, le narcissique pulvérise votre intégrité psychique : il vous contraint à cesser d’exister en tant que vous-même, pour ne vivre qu’en tant que « l’objet interne » qu’il fait de vous. Ces phases, vous pouvez les découvrir dans l’article : Le fantasme partagé des narcissiques.

Pour un narcissique, aucune réalité n’existe en dehors de son univers illusoire. Il vous entraîne à vous immerger dans cet univers — fascinante, hypnotique — où son fantasme partagé s’impose à vous deux. C’est une pièce, un récit, une fiction, une légende qui s’ouvre sur une promesse implicite, irrésistiblement séduisante :

« Mon bébé, la réalité est horrible, n’est-ce pas ? Tu n’aimes pas ta vie, tu n’aimes pas la réalité. J’ai pour toi une alternative envoûtante, extraordinaire, addictive : elle accomplira tous tes rêves, et rien de mauvais ne pourra jamais advenir. Dans mon royaume, je te protégerai, je te sauverai, je te délivrerai ; je serai ton roc, ton gardien éternel. Je régulerai tes émotions, je gérerais ton équilibre, j’apaiserai tes humeurs. Tu n’auras plus jamais rien à décider : je déciderai pour toi, et si quelque chose tourne mal, ce sera ma responsabilité. »

Bref, les narcissiques nous invitent à redevenir l’enfant comblé que peut-être on n’a jamais cessé de rêver d’être — promesse enivrante pour ceux que la dépendance affective enchaîne. Pourtant, même dans ce cas, des signaux brûlants avertissent qu’on s’approche trop près du feu. Au-delà des limites imposées par une perception troublée, demeure l’énigme : pourquoi tant de personnes s’abandonnent à l’ivresse d’une étreinte qui n’est qu’illusion ?

L’illusion née du double visage des narcissiques

Le narcissisme pathologique est, en profondeur, un trouble dissociatif. C’est pourquoi les narcissiques évoluent dans un dédoublement permanent de leur identité : ils sont à la fois lucides et perdus, rationnels et fantasmatiques, adultes et enfants blessés.

Deux identités coexistent en eux :

  • L’une est analytique, lucide, perspicace, intuitive, capable d’anticiper, de lire entre les lignes et de détecter les trahisons.

  • L’autre est un enfant extrêmement dépendant, prisonnier d’un fantasme partagé, incapable de confronter la réalité autrement qu’à travers des récits illusoires pour se protéger de la douleur.

La première identité interagit avec le monde extérieur, tandis que la seconde captive le partenaire intime pour l’entraîner dans ce fantasme partagé.

Cette dualité engendre un profond malaise chez l’entourage. Parfois, on a l’impression de parler à un enfant abandonné et profondément blessé. Puis, soudainement, on se retrouve face à une intelligence froide et critique, qui nous lit à livre ouvert. C’est comme si l’on se trouvait devant un juge qui ne tolère ni mensonges ni approximations, et qui perçoit la vérité nue de nos intentions. Voilà la dualité des narcissiques pathologiques.

Dans leur facette d’enfants blessés, ils sont traversés par des émotions intenses qu’ils ne savent pas comprendre, car leur réalité leur échappe. Et, dans l’autre facette de leur visage, surgit une intelligence froide et critique, qui analyse, compare et dissèque. Leur introspection n’est qu’un raisonnement déductif, imperméable aux élans du cœur.

Ils se demandent : « Que suis-je en train de ressentir ? »
Puis concluent : « Cela doit être de l’amour. »

Ils fonctionnent par déduction, sur la base d’observations, de théories, de stéréotypes : « Les gens qui aiment veulent être proches. Je veux être proche de cette personne. Donc j’aime. »

Mais ce n’est pas vraiment de l’amour. Ce sont des signaux — désir, dépendance, excitation, idéalisation de soi face à l’autre — qu’ils traduisent à partir de modèles appris, presque mécaniques. Ils ne ressentent pas de l’amour : ils l’interprètent.

Ils ne sont pas totalement inconscients de ce que l’amour représente pour les autres. Mais en ce qui concerne leurs propres sentiments, ils confondent intensité et authenticité, manque d’amour et attachement, besoin d’amour et désir. Autrement dit, ce qu’ils prennent pour un sentiment profond n’est souvent que le reflet de leur ardent désir d’être aimés.
Tout ce qu’ils ressentent n’est que de l’amour-propre, l’amour pour leur image.

En réalité, leur « amour » ne se porte pas sur l’autre, mais sur le rôle que l’autre joue dans leur fantasme partagé.  Ce fantasme inconscient est le cœur même de la « relation » : une bulle imaginaire où l’autre n’existe que comme reflet magnifié de leur propre image.
Leur amour-propre est donc fragile, car ils sont incapables de supporter l’altérité, la contradiction ou la réalité. Dès que cette bulle éclate dans la dynamique avec quelqu’un, ils jettent et remplacent. Et c’est par le langage qu’ils accomplissent tout cela

Le langage comme instrument de manipulation chez le narcissique

Le narcissique pathologique n’utilise pas le langage pour échanger. Il s’en sert pour esquiver un conflit, pour impressionner, manipuler, contrôler ou détruire votre structure psychique. C’est pourquoi il est indispensable de scruter la manière dont il utilise le langage.

Il n’y a jamais de véritable dialogue avec lui. Il utilise la parole pour faire des discours pompeux. Il donne des leçons. Il intimide verbalement. Il divague par des digressions.
Il élabore des fabulations. Il provoque la pitié par sa victimisation. Il utilise un double langage, mêlant des messages au sens caché à des messages apparemment transparents.
Pour survivre, il construit des phrases stratégiques destinées à entraîner les autres dans son fantasme partagé.

Ainsi, il parle toujours avec un objectif précis : provoquer un comportement déterminé chez les autres. Son discours est stratégique et manipulateur, un moyen d’obtenir des résultats favorables pour lui-même et de maintenir son sentiment de contrôle et d’efficacité personnelle. C’est aussi un moyen de modifier votre perception de la réalité et votre vision du monde — afin qu’elle corresponde à la sienne.
Voyons maintenant l’origine de tous ces comportements…

Le noyau schizoïde : un trou noir hurlant dans son propre abyme

En raison d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) — survenu à l’étape narcissique du développement de l’enfant, entre 8 mois et 4 ans — les narcissiques pathologiques ne possèdent qu’un noyau schizoïde, autour duquel leur « faux self » se construit.

Leur noyau schizoïde est dissocié du reste de leur psyché : celle-ci est réduite aux fantasmes, mais jamais intégrée à une construction significative de leur identité. Il se manifeste comme un vide intérieur — un néant, un trou noir : un espace infini et informe, surgissant comme une absence de limite, menaçant la dissolution même de leur être.

Les narcissiques sont donc dépourvus d’un noyau identitaire solide — indispensable à la formation d’une identité stable, d’un ego fonctionnel, et d’une structure psycho-émotionnelle équilibrée. Puisque leurs repères psychoaffectifs et leurs frontières du « moi » ont volé en éclats, leur identité est brisée, diffuse et désamorcée.

Les conséquences sont les suivantes :

  • Il souffre d’une insécurité ontologique profonde (du grec ontos, « être ») ; celle-ci provoque une rupture de la continuité de son sens d’identité — un état dissociatif — entraînant une perte de mémoire dans sa vie quotidienne.

  • Il oublie près de 80 % de son vécu et ne ressent pas la continuité de son être à travers le temps, jour après jour ;

  • Il manque de fonctions cruciales de l’ego et d’une structure psychique stable ;

  • Entre autres, il manque des fonctions cognitives et psycho-émotionnels, nécessaires pour comprendre ce qui se passe à l’intérieur de lui. C’est pourquoi, son empathie est froide — purement intuitive et cognitive, mais déficiente, altérée, insuffisante ;

  • Il lui est impossible de se percevoir comme un individu entier, doté d’une véritable place dans le monde.

  • Il demeure donc absent à lui-même comme aux autres — il ne peut offrir aux autres que son absence de présence psycho-émotionnelle.

  • Il présente une pulsion de mort qui génère son affectivité négative.

Qu’est-ce que la pulsion de mort ?

Sigmund Freud a expliqué la pulsion de mort ainsi :
« La pulsion de mort est une force de destruction qui habite l’intérieur d’un individu. L’agressivité exprimée n’en représente qu’une fraction, qui peut être défléchie vers l’extérieur. »

C’est le cas des narcissiques pathologiques : ils cultivent la mort plutôt que la vie. Leur identité est une absence. Puisqu’ils sont vides intérieurement, ils ne connaissent ni la présence d’être ni la puissance d’être. Par conséquent, ils ne ressentent ni la joie d’exister, ni l’élan naturel du partage, ni le désir de cultiver des échanges humains fondés sur l’égalité et le bien-être de tous, car ils n’ont pas accès aux émotions positives.

Leur pulsion de mort se manifeste par un état paranoïaque, une rage narcissique et une envie corrosive qu’ils projettent et déversent sur les autres. Ils ont tendance à penser que les autres parlent d’eux, se moquent d’eux ou colportent des ragots à leur sujet, alimentant ainsi leur méfiance. Leur paranoïa est un délire de persécution caractérisé par le sentiment d’être un mauvais objet, par l’anxiété, le catastrophisme, la suspicion, l’hypervigilance et les fantasmes de grandeur. Pour plus d’information, cliquez ici : La paranoïa des narcissiques.

Pour se protéger de leur propre paranoïa, ils adoptent leur propre « religion ». Ayant sacrifié leur être authentique à un « faux self », devenu leur dieu, ils prétendent atteindre la perfection divine en adorant leur propre image. Cependant, cette image ne leur procure ni la joie d’être ni celle d’exister, ce qui alimente en eux une immense colère, car ils dépendent des autres pour se sentir exister. Ils sont donc agressifs, violents et destructeurs.

Ils sont agressifs, violents et destructeurs, car ils reproduisent chez les autres leurs propres émotions, générées par leur trouble de stress post‑traumatique. Par conséquent, ils refusent aux autres l’ARA : Amour, Respect, Attention. Inconsciemment, ils cherchent à les imprégner de leur pulsion de mort, les réduisant à de simples « objets internes ».

Pour la partenaire intime, le destin est encore plus cruel : elle doit être transformée en « objet inerte », dépouillée de volonté et d’autonomie, reléguée dans le cimetière de leur psychisme. Ainsi, les narcissiques imposent un contrôle absolu sur autrui, les modelant comme des statues à leur image et ressemblance. Leur besoin de les réduire en victimes s’enracine dans l’expérience d’avoir été, jadis, les victimes de leurs propres parents.

Leur ego : une structure psychique défaillante

Les gens pensent souvent que les narcissiques possèdent un ego surdimensionné, qu’ils nourrissent en contrôlant et en manipulant les autres. En réalité, l’ego — au sens psychanalytique du terme — est quasi inexistant chez eux.

L’ego est une structure psychologique organisée, qui se développe progressivement durant l’enfance et nous guide dans notre évolution vers l’autonomie.
À l’exception de certaines capacités cognitives nécessaires à leur travail, toutes les fonctions de l’ego font défaut chez les narcissiques pathologiques.
Cela signifie qu’ils manquent de discernement pour distinguer le vrai du faux, l’essentiel de l’inessentiel, les priorités du superflu. S’ils croient à la réalité de leurs propres fabulations et promesses, c’est qu’ils sont dépourvus d’un ego fonctionnel. Pour en savoir plus, lisez l’article : Les fonctions cruciales de l’ego.

Les fonctions suivantes leur font défaut : la capacité de différencier leurs « objets internes », purement mentaux, des « objets externes » — c’est-à-dire les personnes présentes dans la réalité ; l’épreuve et l’évaluation de la réalité ; la capacité à réguler leurs émotions et à contrôler leurs pulsions ; les fonctions cognitives ; l’ancrage de défenses saines et de limites structurantes ; et un jugement approprié, qui, s’ils en disposaient, leur permettrait d’élaborer des récits réalistes et de mener une réflexion synthétique dans leurs relations avec autrui.

Par conséquent, ils ne peuvent pas réguler leur équilibre interne sans instrumentaliser les autres. Leur psyché est marquée par le chaos, l’imprévisibilité et l’instabilité : aujourd’hui, ils croient en une chose, le lendemain en une autre. Un jour, ils défendent certaines valeurs avec ferveur, et le jour suivant, ils en épousent de nouvelles, parfois opposées. De même, ils idéalisent une personne avant de la dévaloriser, puis de la rejeter avec une cruauté désaffectée.

C’est pourquoi ils ne respectent ni l’altérité ni les limites des autres, en particulier celles de leurs proches. Ils ignorent leurs besoins légitimes, invalident leurs émotions et nient leur existence. En revanche, ils projettent leurs traumatismes sur eux.

L’origine de ce manque d’ego réside, entre autres facteurs, dans leur syndrome dissociatif.

Leur syndrome dissociatif : la dépersonnalisation et la déréalisation

En raison du chaos émotionnel vécu durant l’enfance et de leur noyau schizoïde, les narcissiques souffrent d’un syndrome dissociatif qui se manifeste par la dépersonnalisation et la déréalisation. Pour en savoir plus, consultez l’article : La dépersonnalisation et la déréalisation.

La dépersonnalisation se traduit par un sentiment subjectif d’éloignement, de détachement ou de déconnexion vis-à-vis d’eux-mêmes et de leur vécu. La perception d’eux-mêmes, altérée par le fait d’être devenus leur faux self, les empêche d’intégrer une véritable identité.

La déréalisation se traduit par un sentiment de détachement vis-à-vis de l’environnement, perçu comme irréel, comme si un voile les séparait du monde extérieur. Cette perception altérée les empêche de relier la réalité extérieure à leur expérience interne.

C’est pourquoi ils sont incapables de distinguer leurs fantasmes et rêveries de la réalité et adhèrent fermement à la véracité de leurs propres fabulations, récits et fictions mentales alambiquées. Ainsi, lorsqu’ils croient aimer quelqu’un, ils ne mentent pas — mais se trompent —, car inconsciemment, ils confondent l’amour avec l’abus.

Le narcissique pathologique vit dans un présent illusoire

En corrélation avec son syndrome dissociatif, le principal dilemme d’un narcissique pathologique — et sa plus grande faiblesse —, c’est qu’il ne peut jamais être certain de son passé, puisqu’il l’oublie. Il a des trous de mémoire, une discontinuité dans ses souvenirs.
Et pour cette raison, il est incapable de maintenir une identité de base, un mémoire de la continuité de son identité. Il ne peut maintenir une narrative cohérente de sa vie. Il est donc prisonnier d’un présent brouillé et imprécis, ce qui engendre un problème majeur pour lui.

Le problème est le suivant : le fait de ne pas avoir accès à son passé et à sa continuité dans le temps remet en cause sa grandiosité. Ses prétentions à une histoire personnelle glorieuse et ses ambitions pour l’avenir restent inaccessibles. Il ne peut donc pas revendiquer sa supériorité, son omniscience et sa nature divine, du moins pas dans le sens qu’il l’imagine.

  • D’un côté, il a besoin d’élaborer une mythologie personnelle, fondée tant bien que mal sur quelques lambeaux de souvenirs, des fragments épars d’une mémoire brisée.

  • De l’autre, il veut revendiquer un pouvoir quasi divin sur le passé, le présent et l’avenir. Ce qui lui est impossible.

La solution trouvée par le narcissique réside dans ses fantasmes.
Sa capacité à fantasmer lui permet de combler les lacunes mnésiques. Le fantasme lui offre une continuité narrative qui valorise son faux self, grâce à des fabulations et des récits illusoires. Dans cette construction imaginaire, la provision narcissique joue le rôle de ciment, maintenant le délire de grandeur du narcissique ainsi que ses fantasmes.

Distorsions cognitives : une vision délirante d’eux-mêmes

Les narcissiques sont délirants. Un délire n’est pas une simple illusion : il s’agit d’une distorsion cognitive à propos de soi, maintenue envers et contre toute preuve de sa fausseté. Ces distorsions résultent de l’impossibilité, pour les narcissiques, de percevoir leur dynamique interne telle qu’elle est réellement. Chez eux, cette distorsion cognitive se déploie en fantasmes grandioses — leur unique moyen de se reconnaître en tant qu’individus autonomes.

À travers ces scénarios intérieurs, ils se dissocient de la douleur née de leur vide abyssal — un état psychique dévastateur dont ils refusent de prendre conscience. Dans leurs fictions, ils se perçoivent comme beaux, physiquement parfaits, intelligents, omniscients, moralement irréprochables et surpuissants, à l’image de divinités. Leurs comportements découlent directement de ces distorsions cognitives.

Ainsi, lorsqu’un narcissique se croit génie exceptionnel, il lui est impossible de reconnaître sa propre stupidité. Confronté à cette vérité, il se sent humilié, car son narcissisme n’est en réalité qu’un mécanisme de défense contre une insécurité ontologique terrifiante, une honte toxique insoutenable et une haine de soi profondément enracinée.

En fait, la totalité de la dynamique narcissique n’est pas simplement une exagération de traits ou une fragilité de leur « moi », mais elle s’enracine dans un état psychotique, un espace délirant où leur perception de soi est radicalement déformée.

Leur sentiment d’être uniques et d’être le centre de l’univers

Ayant une structure psychique stable et une autonomie d’adulte, nous ressentons que nous faisons Un avec l’ensemble de l’humanité, tout en reconnaissant l’unicité de chaque individu.
Les narcissiques pathologiques, en revanche, privés d’accès à leur être authentique, rejettent cette unicité. Ils éprouvent un besoin compulsif de se sentir différents, uniques et spéciaux.

La seule façon d’y parvenir est de se démarquer des autres par leur délire de grandeur. Par conséquent, ils perçoivent autrui comme insignifiant, tandis qu’eux-mêmes se perçoivent comme supérieurs, différents et déconnectés du reste de l’humanité. En raison de ce besoin compulsif de se sentir exceptionnels, ils croient ne pouvoir être compris que par des individus qu’ils considèrent comme spéciaux ou de haut statut.

Comme des enfants, ils croient que tout — les choses, les événements et les personnes — tourne autour d’eux, et qu’une désintégration cosmique s’ensuivrait s’ils venaient à disparaître de la planète. Leurs créations — qu’il s’agisse de livres, d’articles, de musique ou d’œuvres d’art, quel qu’en soit le thème — sont perçues comme des extensions de leur présence divine. Ainsi, dans ce cadre limité, ils pensent exister partout.

Ils sont convaincus que, même en leur absence, ils demeurent le principal sujet de discussion. Ils sont donc surpris, voire vexés, d’apprendre qu’ils n’ont même pas été mentionnés. En psychologie, on parle de locus de grandeur ou locus de grandiosité.

Le locus de grandeur : l’espace où les narcissiques élaborent un récit illusoire

Le narcissique pathologique — manifeste ou caché — érige, sur son noyau schizoïde vide, un faux self tout aussi vide. Pour donner une apparence de réalité à cette façade, il transforme ses projets, son métier, sa carrière et les rôles sociaux qu’il endosse en locus de grandeur.
Il s’agit d’un espace psychotique, un scénario halluciné, une scène intérieure où il compose des récits grandioses. Là, il se perçoit comme unique, spécial, omniscient, tout-puissant et supérieur. Les erreurs ne l’atteignent pas, les faillites ne l’ébranlent pas, et les échecs répétés ne l’entament pas : sa conviction d’être exceptionnel demeure.

Supérieur dans le succès, singulier dans l’échec, exceptionnel en toute situation : sa perception grandiose reste justifiable, car il y croit sincèrement. Ce n’est pas la cohérence de ses récits qui importe, mais la fonction vitale qu’ils remplissent : lui donner le sentiment d’exister. Tout récit ou fantasme émanant de son locus de grandeur le distingue comme unique.

Le narcissique se dit : « Je suis unique et spécial. Les autres me sont inférieurs ; ils forment une multitude vulgaire et répétitive, qui fait toujours la même chose au même moment. »
Remettre en question ce fantasme de grandeur revient à ébranler son concept de soi, sa perception intime. C’est une atteinte directe à l’intégrité de son image de soi. Confronté à cela, il peut devenir violent et agressif, mû par un instinct de défense viscéral.

S’il s’agit d’un narcissique malicieux, il peut glisser vers la cruauté. Dans ce cas, il se montre rigide et obstiné, animé par la volonté d’établir l’infériorité de l’autre — comme si sa propre grandeur dépendait de l’humiliation infligée. En affirmant son exceptionnalité et sa supériorité, il se ferme à la réalité psychique d’autrui et adopte une posture prédatrice, bombardant l’autre de sa haine, jusqu’à vouloir l’anéantir.

L’obstination et la rigidité versus l’hyper flexibilité des narcissiques

Le narcissique manifeste est très compétitif. Il a besoin de toujours avoir le dessus comme principe organisateur. Il ne peut pas se permettre d’être contredit ou prouvé faux. Son concept de soi est grandiose, gonflé à l’extrême, quasi divin. Un élément clé de ce concept est l’omniscience : il doit tout savoir, tout comprendre, être la source ultime de la vérité.

Admettre une ignorance signifierait perdre ce statut. Reconnaître une erreur, c’est avouer ne pas être omniscient, donc ni tout-puissant, ni divin. Ce déni est vital, car toute remise en question menace l’édifice fragile qu’est sa personnalité. Ainsi, même lorsque son entêtement est contre-productif ou autodestructeur, le narcissique persiste jusqu’au bout.

Il refuse obstinément de considérer des points de vue différents ou d’accepter des informations nouvelles. Pour lui, les opinions des autres sont inférieures et potentiellement humiliantes, car elles mettent en cause son omnipotence. Le changement, qui survient souvent par l’interaction sociale, est perçu comme une menace insupportable.

Être ouvert d’esprit reviendrait à reconnaître que d’autres théories ou hypothèses pourraient être plus valides, ce que le narcissique ne peut tolérer. Son entêtement est une défense contre l’humiliation et l’atteinte à son image toute-puissante. Cette obstination, loin d’être un simple trait de caractère, est un mécanisme de défense protégeant son moi fragile, grandiose mais profondément blessé.

C’est pourquoi les narcissiques ont souvent été décrits comme psychorigides par de nombreux psychologues et psychiatres. Mais est-ce vraiment exact ? En réalité, les narcissiques présentent une structure hyper‑flexible née de leur noyau schizoïde et de leur identité diffuse, fragmentée, désamorcée. Cela se manifeste par tout ce que nous avons déjà étudié :

  • Ils compensent leur trouble d’identité par des distorsions cognitives.

  • Ils souffrent d’un syndrome dissociatif — dépersonnalisation et déréalisation.

  • Ils présentent d’importantes lacunes de mémoire, ce qui rend leur identité discontinue et fragmentée.

  • Ils développent une tendance à inventer des réalités alternatives et des fabulations.

  • Leur seuil de frustration étant bas, ils réagissent de façon explosive.

  • Privés des fonctions cruciales de l’ego, ils extériorisent leur régulation interne.

Le locus de contrôle externe : un équilibre qui dépend des autres

Lorsque nous ne sommes pas les maîtres de notre propre vie, c’est que nous entretenons inconsciemment la croyance qu’elle doit être gouvernée et manipulée par des personnes qui décident de notre destin. Dans ce cas, nous vivons dans un état régressif et développons ce que la psychologie appelle un locus de contrôle externe.

C’est le cas des narcissiques pathologiques : comme des toxicomanes, ils s’abreuvent de l’attention des autres pour combler leur vide intérieur. Leur survie psycho-émotionnelle dépend de cette provision narcissique qui les maintient debout.

Mais lorsque le flux de provision narcissique se tarit, ils s’érigent en victimes. Ils attribuent aux autres la responsabilité de leurs échecs, de leurs difficultés et de la tournure de leurs relations. Ce sont là leurs défenses alloplastiques, qui alimentent également leurs idées paranoïaques — la conviction que les autres ont des intentions cachées ou conspirent contre eux. Ainsi, ils ne se sentent jamais responsables de rien et s’auto‑victimisent.

Qu’est-ce que la provision narcissique ?

La provision narcissique désigne l’attention que les autres offrent au narcissique, validant implicitement ou explicitement ses fantasmes grandioses. Pour comprendre les divers types d’attention qui renforcent sa provision narcissique, ainsi que la dynamique que celle-ci génère, lisez cet article : La provision narcissique.

La provision narcissique agit comme un biais de confirmation : elle permet au sujet de récolter des validations qui renforcent son auto-illusion, lui donnant l’impression d’être un être divin, spécial et unique. Ils lui confirment que ses illusions ne sont ni délirantes, ni illusoires, mais bel et bien réelles. Cette validation externe apaise son angoisse et entretient l’illusion d’une continuité — la croyance erronée qu’il possède un passé cohérent avec l’émergence de son faux self et de son image grandiose.

La provision narcissique s’aligne sur ce faux self et se déploie sous forme de récit, d’histoire, d’un film intérieur qui lui procure une égosyntonie : le plaisir de percevoir la continuité de sa perfection divine. Autrement dit, sa narration lui donne l’illusion d’une cohérence dans son monde fait de fantasmes, d’illusions et de distorsions cognitives.

La provision narcissique permet au narcissique manifeste de s’assurer une autorégulation interne à partir de sources externes. Cette régulation intérieure ou « économie interne », est le moteur de son équilibre psychique et de son sentiment d’exister. Plus il attire l’attention d’autrui — qu’elle soit positive ou négative — plus il se sent parfait, vertueux, omniscient, spécial, tout-puissant, invincible et équilibré, comme une divinité. Ces distorsions cognitives lui procurent le sentiment d’être unique. Pourquoi agit-il ainsi ?
La réponse est son locus de contrôle externe — un équilibre précaire qui dépend des autres.

Ces dieux dépendent des insignifiants

Un paradoxe surprenant est que les narcissiques manifestes cherchent à être admirés, reconnus, idolâtrés ou craints par des personnes qu’ils jugent insignifiantes, alors qu’ils se perçoivent eux-mêmes comme des dieux. Grâce à leurs sources d’approvisionnement, ils obtiennent la provision narcissique dont ils ont besoin pour se sentir exister.

Pour résoudre cette dissonance cognitive anxiogène, c’est-à-dire devoir dépendre des insignifiants pour obtenir leur provision narcissique, ils en idéalisent certains d’entre eux.
Pendant un certain temps, ils considèrent les personnes choisies comme des objets intéressants, bien que, selon eux, elles ne soient jamais vraiment à leur hauteur.
Ainsi, ils en font des avatars uniques, à travers lesquels ils s’idéalisent.
Plus tard, ces mêmes personnes sont dévalorisées, puis rejetées cruellement. Cette dynamique constitue la base du fantasme partagé, à travers lequel ils croient pouvoir évoluer.

Ils retirent ainsi deux types de provisions narcissiques : la valorisante et la sadique.

La provision valorisante leur permet de renforcer leur vision d’eux-mêmes en tant que dieux. Si vous donnez à un narcissique une attention qui lui rappelle qu’il n’est pas Dieu, vous devenez instantanément son ennemi, un objet persécuteur et hostile. C’est l’une des manifestations de son antagonisme.

La provision narcissique sadique est compulsive et agressive.
Les narcissique pathologiques l’obtiennent par la souffrance qu’ils infligent à autrui, par exemple en faisant souffrir leur partenaire intime. La raison en est qu’ils cherchent la compagnie d’une personne victimisée, autant qu’eux-mêmes l’ont été dans leur enfance. Tant que la partenaire intime n’est pas victimisée, elle leur demeure étrangère. Ils veulent se sentir chez eux ; ils veulent vivre parmi des victimes comme eux — c’est leur zone de confort.

La provision narcissique est soutirée de façon sadique au sein de la famille.
Dans Festen (La fête de famille, 1998), Thomas Vinterberg dévoile une fresque implacable : une grande famille rassemblée autour d’un pianiste glorieux, devenu patriarche sans scrupules. Incapable d’entendre les besoins affectifs de ses proches, il laisse éclater au grand jour son contrôle destructif : climat psychotique, fuite de la réalité, fantasme partagé, affectivité négative, absence de présence, négation de l’altérité, rage narcissique, mépris corrosif, paranoïa et auto‑victimisation. Bref, un scorpion qui ne peut s’empêcher de piquer et de détruire les siens, comme son propre père l’a inoculé son venin.

Le narcissique manifeste est un acteur perpétuel du tragique. Il méprise, qu’ils obéissent ou qu’ils se révoltent ; qu’ils ils agissent selon ses demandes ou s’abstiennent d’agir. Rien n’apaise son exigence, rien n’échappe à son théâtre. Dans le secret de sa voix intérieure, il décrète : « Pour modeler ma famille, je dois brandir un amour dur, des conduites implacables et extrêmes, aussi tranchantes que la lame qui blesse pour mieux guérir. Un jour, ils me remercieront… »

Cet individu parfait, quasi divin, façonne les autres à son image. Il croit leur offrir un don colossal : les élever à son niveau. Mais en investissant son énergie divine dans des insignifiants, il ne récolte que des visages malheureux, trop aveugles ou trop stupides pour reconnaître le privilège qui leur a été accordé. Il s’emporte devant leur ingratitude. Dans son théâtre intérieur, ses proches n’ont que deux visages : retardés ou ingrats.

Le degré de victimisation d’autrui dépend, entre autres, des cycles de son cathexis — de son investissement émotionnel.

La cathexis : lénergie émotionnelle investie en eux-mêmes

La cathexis représente l’énergie psycho-émotionnelle que les narcissiques investissent exclusivement en eux-mêmes — en leur faux self. C’est pourquoi ils sont autoérotiques : ils privilégient l’autosatisfaction aux relations adultes multidimensionnelles, matures, interactives et empreintes d’émotions en réalité, ils n’ont pas d’accès aux émotions positives. Ils passent par différents cycles de cathexis : l’hyper-cathexis, l’hypo-cathexis et la décathexis.

L’hyper-cathexis : lorsque leur cathexis est dirigée vers l’obtention de sources de provision narcissique — c’est-à-dire des personnes qui leur accordent de l’attention — ils entrent en phase d’hyper-cathexis. Ils deviennent alors hyperémotifs et intensément investis dans l’objet interne ou l’avatar qu’ils créent à partir de la personne qu’ils cherchent à séduire et à idéaliser, afin de se sentir idéalisés eux-mêmes.

L’hypo-cathexis : dans la phase de dévalorisation, ils présentent une « hypo-cathexis ». Ils deviennent émotionnellement distants, dévalorisent l’objet interne ou l’avatar, ainsi que la personne qu’ils avaient initialement idéalisée, et se montrent d’une froideur très cruelle.
C’est là que le narcissique essaye de « modeler » la personne considérée comme stupide.

La décathexis : lorsqu’ils atteignent le stade de « décathexis », ils ne ressentent plus aucun attachement. Ils deviennent totalement absents et rejettent la personne qu’ils avaient autrefois idéalisée.

Ainsi, leurs sources de provision narcissique — collègues de travail, partenaire intime, famille — sont soumises à la fois à leurs cycles de cathexis et à leur dynamique d’auto‑victimisation. 
Mais cela comporte un problème majeur : leur validation n’est jamais garantie, surtout lorsque ces personnes prennent conscience de leur manipulation. Pire encore, ce qui autrefois constituait une validation certaine, peut se transformer en agressions, critiques jugements et humiliations, fragilisant leur construction psychique jusqu’à provoquer une mortification.

La blessure narcissique et la mortification narcissique 

La blessure narcissique apparaît lorsqu’un narcissique pathologique confronté à sa perception de supériorité et son délire de grandeur. Elle correspond à une menace ponctuelle — réelle ou imaginaire — qui met en péril la vision grandiose qu’il entretient de lui-même. Son faux self, qui se vit comme omnipotent, omniscient et digne d’un traitement spécial, se trouve alors fragilisé, indépendamment de ses accomplissements réels.

Lorsque ces menaces se répètent, elles s’accumulent et produisent ce que l’on appelle une atteinte narcissique — une fissure durable dans la construction défensive de son identité.

En raison de ses défenses primitives, le narcissique manifeste projette sur la personne perçue comme menaçante sa frustration et sa honte toxique, sous la forme d’une agression virulente visant à restaurer son équilibre psychique. Il cherchera alors à intimider, dévaloriser ou dénigrer cette personne et, dans le cas du narcissique antagoniste, pourra même recourir à une agression physique.

La mortification narcissique est infiniment plus dévastatrice. Elle survient lorsqu’un narcissique est publiquement attaqué ou humilié — de manière imprévisible — devant une foule ou dans un milieu où il est reconnu : son environnement professionnel, devant des clients, des patients, des collègues, des amis, sa famille ou des personnes qu’il admire. L’impact est brutal, car c’est son image même qui est touchée.

Lorsqu’il est exposé pour ce qu’il est — un prétentieux, un fraudeur, un imposteur — et que ses comportements comme ses manquements (absence d’amour, de solidarité, d’empathie, d’authenticité, d’intégrité, d’honnêteté, de justice ou de responsabilité) sont mis en lumière, son locus de grandeur vacille et la narration grandiose qu’il entretient sur lui-même se fissure.

Dans ce cas, la honte et l’humiliation atteignent une intensité telle, qu’il peut régresser jusqu’à la phase borderline de son enfance. Autrement dit, il régresse psychiquement, se percevant comme un enfant terrifié à l’idée d’être abandonné. Incapable de réguler ses affects négatifs et de contenir ses impulsions, il se trouve submergé par une honte toxique et une humiliation insurmontable. Il peut alors sombrer dans la dépression, l’anxiété et des pulsions suicidaires.

Il souhaite mourir, car il perçoit un écart intolérable entre le « mauvais objet » qu’il pense être et l’idéal qu’il croit devoir incarner pour mériter l’attention et la reconnaissance des autres. Cet écart de grandeur devient pour lui insupportable. C’est un état particulièrement dangereux, car son image de grandeur s’effondre

Il ne peut plus se percevoir comme supérieur, parfait, exceptionnel, invincible ou divin. C’est une humiliation majeure. Lorsqu’il est confronté à lui-même, à la suite de l’effondrement de ses défenses, l’écart entre son inadéquation ou son imperfection et l’idéal qu’il croit devoir incarner devient insupportable. Incapable de tolérer cet écart de grandeur, il éprouve une honte profonde de lui-même.

En réalité, le sujet narcissique vit dans une honte constante dont il demeure inconscient. Lorsqu’il est exposé, devant une foule, de façon inattendue, ses mécanismes défensifs se désactivent et la honte, amplifiée par l’humiliation et le dénigrement, devient insupportable, car elle contredit ses prétentions et l’existence même de son faux self grandiose. Toutefois, il peut rapidement mobiliser des stratégies défensives pour restaurer son équilibre intérieur.

Au départ, il peut se construire un récit dirigé contre lui-même : il se persuade d’avoir provoqué l’agression subie. Ainsi, il se positionne comme quelqu’un en charge, maître du contrôle. Mais ce faisant, il confirme son identification au « mauvais objet ».

Aussitôt, les défenses alloplastiques se déploient : l’autre devient conspirateur, ennemi. Lorsque la paranoïa l’envahit, la vengeance s’impose. Punir, détruire, anéantir — tôt ou tard. Car, à ses yeux, il s’agit d’une action éthique et justicière : l’autre est diabolique, et sa destruction devient devoir. La mortification narcissique peut être si dévastatrice, qu’elle entraîne un effondrement total du narcissique — qu’il soit un homme ou une femme.

L’effondrement total : la désactivation du faux self

L’effondrement total correspond à la désactivation du faux self des narcissiques.
Lorsque leur faux self se désactive, les narcissiques sont incapables de fonctionner :

  • Ils ne ressentent plus ni amour-propre ni amour pour leur image.

  • Leur capacité à réagir aux stimuli externes se bloque, et ils deviennent indifférents.

  • Ils souffrent alors d’une inhibition de l’action, se sentent anéantis et perdent tout contact avec leurs objectifs.

  • Ils perdent également leur cathexis, c’est-à-dire leur capacité à s’investir émotionnellement dans quoi que ce soit, car leur énergie libidinale n’est plus dirigée vers eux-mêmes.

  • Les autres ne signifient donc plus rien pour eux. Lorsqu’ils sont agressés, ils ne se défendent pas et n’imposent aucune limite, sombrant ainsi dans le néant.  

  • S’ils se sentent mortifiés, humiliés et accablés de honte, ils peuvent en venir au suicide, précisément parce qu’ils portent en eux cette pulsion de mort.

  • Si leur effondrement n’est que partiel, leurs symptômes seront atténués et temporaires.

Pour toutes ces raisons, les narcissiques pathologiques deviennent des véritables victimes. Leur narcissisme s’inscrit dans une dynamique victimaire.

Le narcissisme pathologique comme mouvement victimaire

Les individus qui en sont atteints se considèrent comme des victimes — souvent sans en avoir conscience. Ils s’estiment pleinement légitimes à adopter des comportements dits moraux — même lorsque ceux-ci s’avèrent injustes, abusifs, voire criminels —, dans leur quête de justice. Mais quelle justice ? Celle qu’ils rendent eux-mêmes.

Leur mégalomanie et leur tendance à l’auto-victimisation se renforcent mutuellement. En se percevant comme des êtres parfaits, voire divins, ils se présentent comme les victimes de la malveillance d’autrui. Ce double discours leur permet de préserver une image idéalisée d’eux-mêmes. En se posant en justiciers, ils éludent toute responsabilité quant à leurs actes.

Leurs punitions ou leur vengeance prennent la forme d’une demande de compensation. Dès qu’ils se sentent victimisés ou lésés, ils se placent au-dessus de tout reproche. Tout ce qu’ils infligent aux autres devient moralement justifié au nom de leur propre justice et de leur propre équilibre. Leur posture de victime devient alors un bouclier, une protection, une défense contre les répercussions de leurs propres actes.

Leur statut de victime leur permet de justifier moralement le recours à la tromperie, à l’intimidation, aux brimades, voire à la violence — verbale ou physique — contre des agresseurs, auteurs ou oppresseurs présumés. Ils s’arrogent le droit d’agir comme bon leur semble. Ils ne se contentent pas de contourner les lois : ils s’érigent en loi. C’est sur cette loi que repose également leur fantasme partagé — utilisé, entre autres — pour faire payer à leur partenaire intime les comptes non réglés avec leur mère. Et lorsque celle-ci finit par se lasser, ils se sentent à nouveau victimes et légitimes à la punir.

L’étiopathogénie : une perturbation dans la construction du « moi »

La transmissibilité du narcissisme pathologique demeure une question controversée : certains chercheurs évoquent une composante génétique ou des anomalies cérébrales, tandis que d’autres privilégient des facteurs environnementaux. Sam Vaknin, pour sa part, admet la possibilité d’un facteur héréditaire, mais souligne l’absence d’études longitudinales robustes capables de valider cette hypothèse.

En revanche, de nombreuses preuves accumulées depuis plus de 150 ans montrent que, dans l’histoire des personnes souffrant de narcissisme pathologique, on retrouve systématiquement des parents dysfonctionnels. Il s’agirait donc d’une réaction aux traumatismes vécus durant la petite enfance. Un article éclairant développe cette perspective et mérite d’être lu : Le syndrome de l’otage chez les enfants.

Lorsqu’un enfant est confronté à des situations de maltraitance sous différentes formes, y compris l’abus sexuel, il en ressortira très traumatisé. De même, lorsqu’il n’est pas vu ni reconnu pour ce qu’il est réellement, cela entraînera stress post-traumatique complexe.

Par ailleurs, lorsque les parents semblent aimer leur enfant mais, en réalité, l’idolâtrent, l’instrumentalisent, le placent sur un piédestal, le traitent comme un enfant roi ou le parentifient en le considérant comme un petit adulte, les effets traumatiques sont comparables à ceux causés par des maltraitances sévères.

Dans tous ces cas, l’enfant qui deviendra narcissique a vécu une interruption brutale de son processus d’individuation et de séparation d’avec ses parents, car il a été exposé à des expériences pénibles, déroutantes ou profondément confusionnelles.

Ainsi, lorsqu’il traverse la phase cruciale de formation de son « moi » – étape essentielle pour l’acquisition d’un noyau identitaire, d’une perception de soi et d’une conscience stable de son existence – les traumatismes vécus viennent entraver ce processus. Cela l’empêche de se structurer de manière saine et de cheminer vers son autonomie.

Pour se protéger, il en vient à sacrifier son être authentique à un ami imaginaire – un dieu qui devient son protecteur, mais aussi son faux self : une identité psychique, vide par définition, façonnée pour survivre, mais incapable d’exister pleinement. Pour cette raison, les narcissiques pathologiques sont en perpétuelle faim d’existence et tentent de se sentir vivants à travers leurs sources d’approvisionnement narcissique.

Une mère morte en tant que telle : la personne perturbatrice

La mère joue un rôle crucial au cours des 18 premiers mois de la vie, tandis que le père occupe un rôle plus limité à cette étape. La structure psycho-émotionnelle de l’enfant se construit principalement à travers l’identification à sa mère.

La mère remplit de fonctions essentielles :
Grâce à sa présence et à ses interactions, l’enfant parvient à traverser le processus de séparation d’avec elle, qui est traumatisant, et découvre progressivement ses propres besoins, ses limites et son individualité unique. C’est ainsi que se développe son sens du « moi ».

Si la mère échoue à un moment quelconque de ce processus particulièrement sensible, la formation du « moi » de l’enfant sera gravement perturbée. L’enfant risque alors de développer de graves problèmes d’attachement, une désorganisation émotionnelle ainsi que des distorsions cognitives, entre autres troubles de sa dynamique interne.

Sur la base de recherches dans ce domaine, le psychanalyste français André Green a introduit la notion de « mère morte ». Elle désigne une mère qui, en raison de son ignorance, de ses propres problèmes d’attachement, de sa régression infantile, de ses propres problèmes psycho émotionnels ou d’une psychopathologie, empêche son enfant de se séparer d’elle, de s’individualiser et de se différencier. Ainsi, elle entrave le processus de développement de son enfant vers l’autonomie.

Par exemple, une mère narcissique fait de l’un de ses enfants son « objet persécuteur ». Ainsi, cet enfant devient le souffre-douleur, le bouc émissaire sur lequel elle projette et décharge sa rage narcissique, son agressivité passive et sa jalousie destructrice, à travers l’intimidation, le harcèlement, les reproches, la culpabilisation, le blâme, les insultes, les critiques, les jugements acerbes, les contraintes, les humiliations, etc.

En fonction de ses propres besoins psycho-émotionnels, un autre de ses enfants est instrumentalisé, traité comme un enfant roi, un compagnon de substitution ou encore un sauveur. En somme, elle traite ses enfants comme extensions d’elle-même, tout en faisant d’eux les sources de sa provision narcissique.

Confrontés à ces rôles fondés sur une transaction affective qu’ils ne peuvent assumer, les enfants ressentent une profonde anxiété, car leur survie psychologique dépend de cette mère pathologique. En raison de ses comportements, elle suscite chez ses enfants quatre sensations et émotions principales :

  1. La honte toxique : ils se sentent dévalorisés, abandonnés, rejetés, humiliés, trahis ou traités injustement, ce qui alimente une honte profonde et persistante.

  2. L’insécurité ontologique : sous l’influence hypnotique d’une mère morte, ils vivent dans un état d’insécurité ontologique (du grec ontos, « être »). Cette insécurité produit une interruption brutale dans leur processus d’individuation, de séparation et dévolution vers leur autonomie psycho-affective.

  3. Un sentiment terrifiant de vide : selon le psychanalyste Otto Kernberg, ce vide émane d’un noyau schizoïde (expliqué précédemment), entraînant un isolement intérieur et une difficulté fondamentale à s’aimer soi‑même ou à aimer autrui.

  4. La terreur de manquer d’existence : celle-ci découle du fait que les narcissiques pathologiques n’ont pas accès à leur véritable « Je suis », libre de toute définition ajoutée, ni à un Soi authentique. Tout ce qu’ils possèdent est un faux self, vide par définition — le fantasme d’un dieu créé pour se protéger.

Les enfants d’une « mère morte » souffriront certainement d’un stress post-traumatique complexe et développeront un narcissisme pathologique. Possédés par l’image maternelle introjectée, incorporée et intériorisée, ils se perçoivent comme seuls, incomplets, incompétents, insignifiants, voire inexistants. Pour plus d’information, cliquez sur le titre de cet article : Le syndrome de l’otage chez les enfants.

Le contrôle imaginaire de l’enfant : un attachement extrême

Naturellement identifié à sa mère abusive — une mère qui l’empêche de s’individualiser et d’être lui-même — l’enfant introjecte son image, c’est-à-dire qu’il « l’avale » psychiquement. Il incorpore également les messages toxiques qu’elle lui renvoie, et les intériorise, comme s’il les « consommait » et les « digérait », au point de faire d’elle un véritable objet persécuteur à l’intérieur de son propre psychisme. Ce faisant, il tente inconsciemment de la contrôler en s’attachant à elle de manière totale et absolue.

Ce type d’attachement se retourne contre lui, car non seulement son évolution vers l’autonomie est brutalement interrompue, mais en plus, il sacrifie son être authentique pour une mère absente, une mère abusive qu’il portera dans son esprit pour le reste de sa vie.

Ainsi, le narcissisme secondaire s’installe en lui : son énergie psycho‑émotionnelle s’investit dans la création d’une image et le maintien d’un faux self, car la réalité extérieure a été blessante, douloureuse, destructrice, insupportable, voire meurtrière.
Pourtant, dans sa vie d’adulte, il continue de porter en lui les messages toxiques de cette mère morte, à travers les voix qui hantent l’esprit du narcissique.

Les messages de la mère morte : des voix intérieures

Les messages implicites et explicites d’une mère morte ou d’un père mort en tant que tel, deviennent des voix intérieures que l’enfant prend pour réelles. Elles lui répètent qu’il est un mauvais objet : incorrect, incapable, nul, inadéquat, inexistant, incomplet, insuffisant, impuissant ou indigne d’être aimé. Pour cette raison, il se sent honteux d’être « lui-même ».

L’enfant sombre alors dans une insécurité si profonde qu’il est contraint d’adopter un faux self ou faux moi, qui, tel un dieu, le protège. À partir du moment où il sacrifie son être authentique, son Soi, son véritable « Je suis » libre de toute définition extérieure, il ne pourra aimer que ce faux self.

En raison de leur vécu, à l’âge adulte, les narcissiques pathologiques vivent dans un état régressif, marqué par le maintien de défenses primitives et l’entretien d’un univers infantile alternatif appelé paracosme. Il s’agit d’un espace psychotique, composé à 80 % de fabulations et à 20 % de réalité.

En s’appuyant sur cet univers imaginaire, ils se sur-idéalisent, se surestiment et s’abandonnent à des rêveries grandioses. Le narcissisme pathologique est donc une forme de compensation, fondée sur d’innombrables mécanismes défensifs, à commencer par le clivage et l’identification projective.

Le clivage : une vision primitive du bon et de mauvais

Le clivage est un mécanisme de défense archaïque : il sépare, scinde, oppose. L’enfant, pour préserver l’image idéalisée de ses parents, peut penser : « S’ils me maltraitent, c’est pour mon bien, car ils sont bons. Moi, je suis mauvais. »

Devenu narcissique pathologique, cette logique binaire persiste. Tantôt « mauvais objet », tantôt « bon objet », cet « adulte » oscille entre dévalorisation et surévaluation de soi. Se percevoir comme un « mauvais objet » revient à se sentir incorrect, imparfait, nul, incapable, inadéquat, incomplet, impuissant, indigne d’amour… Il extériorise alors sa propre honte toxique en regardant les autres comme des « mauvais objets », souvent persécuteurs.

Dans le fantasme partagé, l’autre personne devient la mère de substitution : d’abord idéalisée, elle est un « objet parfait » ; ensuite dévalorisée et rejetée, elle devient un « mauvais objet ». Cette oscillation révèle son impossibilité d’intégrer les contraires dans une image unifiée.

L’identification projective : attribuer aux autres ses propres affects négatifs 

Le déséquilibre psychique des narcissiques pathologiques, appelé égodystonie, les empêche d’accéder à des affects positifs tels que l’amour, la joie ou la paix intérieure. En revanche, ils ressassent des affects négatifs : envie destructrice, jalousie, animosité et haine viscérale envers ceux qui ressentent des émotions positives. Submergés par leurs affects négatifs, ils recourent à un mécanisme de défense primitif connu sous le nom d’identification projective.

Celle-ci consiste à attribuer aux autres toutes leurs définitions à propos de soi, ainsi que les émotions qu’ils ne peuvent ni reconnaître ni intégrer : complexe d’infériorité, honte toxique, insécurité ontologique, peur de l’échec, paranoïa, dévalorisation, etc. Le narcissique compense alors ses définitions négatives de soi par son délire de grandeur et le mépris des autres, tout en leur attribuant ses propres insuffisances et affects négatifs. Ce mécanisme s’étend jusqu’à l’attribution à autrui de sa propre pulsion de mort.

Par exemple, si un narcissique se sent faible, il affirmera que l’autre est faible ; s’il est avare, il imputera cette avarice à son interlocuteur tout en revendiquant sa propre générosité ; s’il doute de ses capacités intellectuelles, il qualifiera l’autre d’incapable ou d’idiot. Curieusement, cela révèle qu’inconsciemment, il perçoit les autres comme supérieurs à lui.

Souvent, ce sont les traits de caractère des autres, leurs comportements, leurs expressions faciales, leurs choix de vie, leurs relations personnelles ou des éléments de leur histoire personnelle, qui le percutent de plein fouet et le font se sentir inférieur. Qu’il s’agisse de ses amis ou des membres de sa famille, ils réveillent chez lui des aspects enfouis, douloureux ou inacceptables de son propre psychisme. Il se perçoit alors comme un « mauvais objet », inférieur à eux.

C’est précisément dans ces moments que l’agressivité passive du narcissique caché devient virulente. Confronté à sa propre frustration et à son conflit interne, le narcissique manifeste perd alors tout contrôle. Il externalise sa tension intérieure sous la forme d’une rage intense, inattendue et disproportionnée, aussi effrayante que dévastatrice.

On assiste alors à un processus appelé déplacement : ses contenus intrapsychiques sont transférés vers une cible extérieure — l’autre.

La rage narcissique née donc du mauvais objet introjecté

La rage narcissique surgit en réponse au « mauvais objet » introjecté.
Une voix interne l’envoie deux messages contradictoires.
D’un côté, elle dénigre le narcissique :
« Tu es un raté, indigne, inadéquat, tu mérites d’être puni. »
De l’autre, elle le glorifie :
« Tu es divin, puissant, maître de tout, ta rage est la colère de Dieu. »

Ces messages incompatibles créent une dissonance cognitive anxiogène, déclenchant un cycle incessant de rage. Le narcissique tente désespérément de résoudre cette tension via le regard des autres, cherchant à ce qu’ils confirment son omniscience et sa divinité. Ainsi, sa rage vise à contraindre l’entourage à valider son récit grandiose. Cependant, cette tentative échoue toujours, car le « mauvais objet » intérieur demeure actif et continue de dénigrer le narcissique, créant une tension constante entre sa grandiosité fantasmatique et son indignité perçue.

Une des principales conséquences de sa rage narcissique, c’est qu’elle nie l’intimité. L’affectivité négative, vociférante, ostentatoire et exhibitionniste du narcissique manifeste, rend difficile tout lien affectif ou amoureux. Sa rage le conduit ainsi à l’auto-privation du bonheur et de l’amour, détruisant toutes les situations, relations et perspectives qui pourraient apporter satisfaction et lien, pour trois raisons possibles :

La première raison est autopunitive : la rage narcissique est destructrice et auto-défaitiste. Cependant, le psychiatre américain Hervey Cleckley a observé que, paradoxalement, elle est perçue comme « juste » par les narcissiques, par cause du « mauvais objet » qu’ils croient incarner. C’est donc une punition qu’ils s’imposent au nom d’une exigence de justice.

La deuxième raison la légitime : selon le psychanalyste Otto Kernberg (années 1970), le soi grandiose n’est pas seulement compensatoire : il constitue un rempart contre l’autodestruction, protégeant le narcissique des impulsions psychotiques et de la dysrégulation de type borderline. Dans ce cadre, la rage narcissique apparaît comme une forme de dysrégulation émotionnelle, proche de la rage borderline, mais reformulée par le narcissique dans un scénario fantasmatique qui le valorise et légitime ses explosions de rage.

La troisième raison : le professeur Sam Vaknin affirme que narcissique utilise la rage pour faire taire le « mauvais objet » interne, produisant un bruit extérieur destiné à étouffer le bruit intérieur — la voix dévalorisante de son esprit. Ainsi, la rage devient une stratégie interne, visant à composer avec le « mauvais objet » : l’apaiser, le neutraliser ou reformuler son récit.

En ce sens, la rage narcissique est à la fois autodestructrice, réactive et auto-valorisante. Elle joue un rôle central dans le maintien du concept grandiose de soi tout en reproduisant un cycle permanent de conflit interne. Elle est aussi une compensation de sa propre honte toxique.

Les narcissiques projettent leur honte toxique sur autrui

Le narcissique pathologique rejette sa honte parce qu’à ses yeux, elle représente un véritable danger existentiel. Lorsqu’il entre en contact avec sa honte, il ressent une mortification psychique, si intense qu’elle équivaut, symboliquement, à une menace de mort. C’est pourquoi il l’évite à tout prix : il la contourne, la fuit, la nie ou la projette sur autrui.

La honte est insupportable pour les narcissiques, parce qu’elle démantèle l’image de toute-puissance sur laquelle repose leur faux self. Rien n’est plus terrifiant que l’humiliation et la honte. Elles brisent l’illusion de toute-puissance à laquelle ils s’accrochent pour exister. Cependant, en rejetant la honte, les narcissiques restent bloqués dans l’impuissance de leur enfance, dans leur blessure narcissique, leur abus et leur humiliation.

En effet, lorsque nous ressentons de la honte, nous reprenons une forme de contrôle sur la situation : nous assumons la responsabilité de nos actes.  Or, les narcissiques ne prennent aucune responsabilité pour leurs choix ni pour leurs actions. Remarquez que leur mépris, leur dégoût des autres et leur dédain ne sont rien d’autre que l’expression d’une honte toxique et de l’impuissance qu’ils projettent sur autrui sur la forme d’une rage narcissique.

La rage narcissique n’est pas la même chose que la colère

Voyons les caractéristiques distinctives de la rage chez les narcissiques manifestes :

  • Elle est explosive et abrupte : elle survient sans signes avant-coureurs ni avertissements, comme un volcan en éruption ou une avalanche dévastatrice.

  • Elle est toujours soudaine, furieuse, incontrôlable, imprévisible et effrayante, même en l’absence de toute provocation apparente.

  • Elle est disproportionnée et non discriminatoire : elle s’exprime contre toutes les personnes présentes, et ce qui l’a déclenchée a peu à voir avec la « raison » apparente de sa manifestation.

  • Elle est endogène : elle reflète la dynamique interne du narcissique, son agitation et son chaos, même si elle est provoquée par votre comportement ou par des événements extérieurs qu’il a interprété à sa manière. En réalité, elle est nourrie par sa pulsion de mort et sa paranoïa.

Chez les narcissiques cachés, la rage se manifester de façon passive. Ils mijotent intérieurement dans un chaudron d’envie, de rejet, de ressentiment et de haine – un chaudron dissimulé dans les replis de leur subconscient. Pour en savoir davantage, vous pouvez lire l’article qui leur est consacré en cliquant sur ce titre : Les narcissiques cachés.

Quand le narcissique classique vous en veut-il ?

Voyons les circonstances dans lesquelles votre narcissique projette sur vous sa rage :

1. Vous remettez en question son image grandiose :
Il ne supporte pas que son omnipotence, son omniscience, son originalité de génie ou son sentiment d’être unique soient ébranlés. Le simple fait que vous soyez vulnérable peut lui rappeler, inconsciemment, sa propre fragilité et son « mauvais objet ». Cela le remplit de colère contre lui-même, mais au lieu de l’assumer, il la redirige contre vous.

2. Vous sapez son besoin de valorisation :
Le narcissique construit une image idéalisée et délirante de lui-même. Si vous osez fissurer cette illusion, même avec des critiques constructives ou de simples observations, il réagira violemment, incapable de tolérer la moindre remise en cause de sa perception de lui-même.

3. Vous dégonflez ses illusions et ses distorsions cognitives :
Il refuse toute critique ou contradiction, car elles menacent son monde intérieur. Il veut entretenir ses fabulations et préserver ses illusions. Mais si vous osez pénétrer son espace psychique – qu’il considère comme sacré – il explosera de rage, voyant cela comme une intrusion insupportable.

4. Vous le confrontez et le mettez face à sa propre peur :
Lorsqu’il se sent menacé, sa peur se transforme instantanément en agressivité. Si vous avez le pouvoir de le mortifier, en lui faisant honte, en l’humiliant, en le démasquant ou en vous moquant de lui, il réagira par une attaque brutale.

5. Vous frustrez ses désirs et ses attentes :
Si vous affirmez votre indépendance, votre autonomie personnelle et votre libre arbitre – en prenant vos propres décisions, en choisissant vos amis, en voyageant seul(e), par exemple – vous lui rappelez qu’il ne peut pas vous manipuler comme un simple objet interne. Incapable de le supporter, il finit par exploser.

6. Vous le comparez défavorablement à d’autres :
Si vous lui faites remarquer qu’il est inférieur à quelqu’un – moins beau, moins accompli, moins instruit, ou simplement moins que ce qu’il prétend être – il explosera de rage. Car sa stabilité psychique repose sur l’illusion de sa propre supériorité et de sa suprématie.

7. Vous l’humiliez ou l’exposez en public :
Être humilié publiquement est une blessure insupportable pour le narcissique. Cela déclenche en lui une mortification narcissique, entraînant une réaction en chaîne de fureur et de rage qui peut devenir interminable.

8. Vous agissez de manière indépendante ou inattendue :
Tout changement imprévu est perçu comme une menace. Par exemple, si un jour vous introduisez un changement soudain dans sa vie et lui prouvez que ses théories sur les autres, son esprit ou ses modèles de fonctionnement sont erronés, cela déclenchera sa rage narcissique. Même une belle surprise peut être vue comme un affront, une insulte, voire un défi, simplement parce qu’elle échappe à son contrôle.

9. Vous réussissez ou accomplissez vos projets :
Votre réussite le confronte à son propre sentiment d’infériorité. Il ne la perçoit pas comme une victoire pour vous, mais comme une humiliation pour lui. Il veut vous maintenir dans un état d’échec constant : malade, vulnérable, dépendant(e) et soumis(e), afin d’éviter toute menace à son illusion de supériorité.

10. Vous lui donnez des conseils non sollicités :
Lorsqu’il ne demande pas d’aide, toute suggestion est interprétée comme une attaque. Par exemple, si vous lui proposez votre aide, il l’interprète comme si vous lui disiez : « Je peux te donner quelque chose que tu ne possèdes pas. Je suis supérieur(e) à toi. » Cette perception déclenche immédiatement sa rage narcissique. Se croyant omniscient, il estime n’avoir rien à apprendre de vous. Qui êtes-vous pour lui donner des leçons et conseils ?

L’agression grandiose : un moyen de se sentir entiers

Comme nous l’avons vu, le narcissisme pathologique constitue une réaction compensatoire à une perturbation dans le développement d’un « moi » fonctionnel.
Les narcissiques croient que leur faux self est opérationnel. Ils ne perçoivent pas qu’il est en réalité fracturé, dysfonctionnel, incohérent, chaotique, instable et dépourvu de toute cohésion.

Pour cette raison, leur agression prend une dimension grandiose: elle joue un rôle central dans la formation et le maintien de leur faux self. Elle agit comme une « colle » leur permettant de tenter de maintenir une apparence de cohésion interne et d’équilibre. Autrement dit, leur « moi fragmenté » cherche à se reconstruire à travers l’agression, qui devient alors un substitut de leur « moi » délabré.

L’agression confirme l’image grandiose des narcissiques : elle leur permet de construire un récit autour de leur dominance au sein de l’échelle hiérarchique. Elle devient un instrument destiné à anéantir les personnes perçues comme des sources de tourment – qu’il soit imaginaire ou réel. Elle constitue également une tentative de réparation, fondée sur un fantasme délirant de surpuissance et d’omniscience.

Paradoxalement, l’agression est aussi autodestructrice : elle agit à la fois comme un mécanisme de survie pour se maintenir « entiers » et comme une réaction qui mène à leur propre destruction, notamment à travers celle de leurs proches.

Approfondissons la compréhension de l’importance des émotions négatives chez les narcissiques manifestes.

La paranoïa, la rage et l’envie corrosive : trois forces de motivation

Les narcissiques manifestes peuvent se montrer très amicaux, superficiellement charmants, bavards, compatissants, serviables, compréhensifs, attentionnés, sociables et communautaires, feignant la compassion et l’empathie… Et, la minute suivante, ils sont envahis par la rage qui se révèle d’une cruauté extrême, car ils manquent d’empathie.

Ces fluctuations s’expliquent par la nature contextuelle de leurs émotions négatives : elles sont déclenchées par des facteurs externes, autant que par leurs interprétations, ce qui les rend particulièrement instables. Ainsi, leur affectivité négative domine, reléguant l’amour, la solidarité humaine et l’amitié au second plan. L’amour, lui, suppose une certaine stabilité — or les narcissiques n’aiment personne : ils n’aiment que leur propre image.

En psychologie, l’affectivité négative désigne un ensemble d’émotions récurrentes chez les narcissiques pathologiques. Leurs états émotionnels fluctuent constamment, en raison de ce qu’on appelle une identité diffuse. C’est-à dire que leur construction psychique repose sur un socle instable d’affects négatifs. Cette instabilité les rend versatiles, arbitraires, imprévisibles, capricieux et parfois dangereux.

La première émotion est la paranoïa

Il s’agit d’un délire de persécution : anticipation de complots, sentiment d’être la cible de moqueries, de ragots ou d’intentions malveillantes.
Ce vécu s’accompagne d’une hypervigilance constante, car la paranoïa est profondément anxiogène et le narcissique doit impérativement réduire cette anxiété. La séquence est la suivante : paranoïa → anxiété → besoin de réduire l’anxiété → besoin de changement.

Ainsi, la paranoïa devient un agent de changement, une force de transformation interne. Elle incite le narcissique manifeste à se conformer davantage aux normes sociales, à devenir moins conflictuel, moins abrasif, moins antagoniste. Elle pousse le narcissique — manifeste ou caché — à devenir prosocial. Ce mouvement n’est pas motivé par un désir authentique d’évolution, mais par la crainte des conséquences : isolement, rejet, voire dangers graves.

La paranoïa fonctionne donc comme une compensation, luttant contre la composante antisociale et téméraire du narcissisme manifeste.
De plus, la paranoïa agit comme un antidépresseur : elle fournit l’énergie nécessaire pour initier un projet de transformation qui restaure la grandiosité du narcissique.

Les idées paranoïaques sont janiformes : elles présentent deux faces.

Première face :
Elles génèrent des pensées catastrophistes, une anxiété intense et une peur existentielle. Le besoin de changer par crainte révèle la vulnérabilité du narcissique, loin de son fantasme d’omnipotence ou d’infaillibilité. Cette prise de conscience est humiliante et honteuse.  C’est pourquoi, la paranoïa crée l’anxiété nécessaire pour le motiver à changer.
Il se dit : « Tu dois changer. Si tu ne changes pas, cela va mal finir. Tes actes vont te rattraper et tu vas finir tout seul, mort ou en prison. »

Seconde face :
La paranoïa renforce sa grandiosité du narcissique pathologique, elle apaise ses blessures et rétablit son sentiment d’importance. Il se dit : « S’ils complotent contre moi, c’est que je suis exceptionnel. »
Ou bien : « Tu es formidable. Tu es le centre de l’attention. Tu es incroyable. Oui, leurs intentions sont malveillantes, mais ce complot contre toi prouve que tu es extrêmement important. »
Pour changer, il peut tout aussi s’imaginer qu’une divinité le protège. Alors il se dit :
« Krishna m’a choisi, je suis son disciple, il va m’aider à changer. Je suis très important parce que je suis son élu. »

C’est pourquoi Sam Vaknin affirme :
«  La paranoïa n’est qu’une variante de la grandiosité narcissique : elle humilie, mais elle motive ; elle fragilise, mais elle restaure. »

La deuxième émotion est la rage narcissique

Elle constitue un mécanisme de défense contre la dysphorie — ce sentiment diffus de malaise, d’anxiété et d’insatisfaction générale. Lorsqu’un narcissique manifeste est envahi par la rage, il devient verbalement abusif et peut se montrer très violent physiquement, surtout s’il s’agit d’un narcissique somatique ou s’il présente une réaction temporale de type borderline — c’est‑à‑dire une forte dérégulation émotionnelle.

En extériorisant son agressivité, il restaure son sentiment d’omnipotence et de contrôle, en contraignant les autres à changer et à s’adapter à ses injonctions. Cette capacité à agir sur l’environnement et à « sculpter » le comportement d’autrui nourrit son fantasme de perfection divine : il se croit capable de déterminer le destin des autres.

Ce processus a un effet antidépresseur, car il réduit sa tension interne et renforce son estime illusoire de lui-même. Ainsi, la rage génère un changement externe (contrôle de l’entourage), tandis que la paranoïa provoque un changement interne (adaptation comportementale). Les deux fonctionnent comme des forces motivationnelles puissantes.

La troisième émotion est l’envie corrosive

Cette dernière est un moteur d’ambition et de destruction. Contrairement à la honte — niée, refoulée et redoutée — l’envie est souvent consciente.
Le narcissique sait qu’il envie les autres.

  • L’envie corrosive structure la relation d’objet du narcissique, car elle le lie aux autres par la rivalité.

  • Elle déclenche son ambition et l’incite à dénigrer, rabaisser et à humilier la source de sa frustration — ce que lui permet de se sentir supérieur à l’autre personne.

  • Elle le pousse à rivaliser, à accomplir, à détruire ses rivaux imaginaires pour restaurer son sentiment de supériorité et d’importance grandiose.

  • Dans de rares cas, l’envie conduit à une transformation positive lorsque le narcissique, investit en lui-même, poursuit des objectifs à long terme. Mais le plus souvent, l’envie le pousse vers la vengeance et la destruction.

En somme, chez la plupart des personnes, la motivation repose sur des émotions positives. À l’inverse, le narcissique pathologique s’appuie sur des affects négatifs — paranoïa, rage et envie — pour se motiver, se lever le matin, affronter la vie et restaurer son image grandiose. Ces émotions, bien qu’instables et destructrices, constituent le moteur de son existence.

Quels comportements naissent de leur paranoïa ?

Les narcissiques présentent souvent des traits obsessionnels compulsifs.
Un comportement compulsif est une action répétée de manière incontrôlable, souvent en réponse à une idéation paranoïaque ou à une anxiété intense. La paranoïa des narcissiques classiques, qu’elle soit occulte ou exprimée ouvertement, les pousse à adopter des rituels obsessionnels pour contrer des pensées catastrophiques.

Blessés depuis l’enfance et souffrant de traumatismes complexes, ils s’attendent constamment au pire des scénarios et mettent en place des rituels pour éviter que ce pire ne se réalise. Ils pensent fréquemment aux catastrophes, à l’abandon, au rejet, à l’humiliation, à la trahison ou à l’injustice qu’ils pourraient subir.

Une peur bleue les hante face à tout ce qui pourrait raviver leur insécurité ontologique terrifiante et les mener à la mortification ou à l’effondrement. Pour cette raison, ils peuvent également manifester des comportements impulsifs, notamment lors de crises d’angoisse ou de jalousie. Voyons maintenant d’autres mécanismes défensifs.

Les défenses adaptatives alloplastiques

Pour se protéger des abus parentaux, les narcissiques ont développé des mécanismes de défense adaptatifs de type alloplastique. Le préfixe « allo » vient du grec állos, qui signifie « autres », tandis que le préfixe « plastique » provient du grec ancien plastikós, désignant la formation ou la malléabilité.

Ainsi, dans un contexte psychopathologique, une défense alloplastique correspond à la tentative de modifier l’environnement ou d’altérer la perception d’autrui, dans le but de résoudre un conflit intérieur.

Chez les narcissiques, les défenses alloplastiques se manifestent par une tendance à rejeter toute responsabilité personnelle, en attribuant systématiquement leur affectivité négative à autrui. Incapables de tolérer la critique ou d’admettre une quelconque vulnérabilité, ils ne se sentent jamais responsables de leurs actes ni coupables de leurs actions envers les autres. Ils sont incapables de reconnaître ne serait-ce que 1 % de leurs torts et ne s’excusent jamais.

Ils blâment les autres et retournent les situations à leur avantage. Le rejet de la faute sur autrui est renforcé par leur vision des autres comme des objets inférieurs, indignes de respect, d’attention ou de la moindre concession. Cette attitude méprisante s’accompagne d’une forte défiance, particulièrement envers les figures d’autorité ou leurs partenaires intimes. Elle se manifeste par un refus catégorique de toute négociation ou de tout compromis.

Le déni : un mécanisme de survie de leur faux self

Comment les narcissiques pathologiques pourraient-ils vivre sans déni, alors que leur narcissisme relève d’un trouble psychotique qui les fait se percevoir comme des êtres divins et infaillibles ? Pour survivre, ils doivent ignorer leurs distorsions cognitives, car affronter leur délire de grandeur les plongerait dans une profonde mortification ou provoquerait l’effondrement de leur faux self. Lorsque ce faux self s’effondre, leurs illusions s’évanouissent, laissant le narcissique face à un vide abyssal qu’il lui est impossible de tolérer.

Bien qu’ils soient plus ou moins conscients de leurs actes, leur perception d’eux-mêmes et du monde demeure altérée. Cette distorsion les empêche d’examiner en profondeur leurs comportements et d’y apporter un véritable changement.

L’un de ces comportements réside dans le fait qu’ils ne perçoivent autrui que comme des objets internes. Par conséquent, ils ne reconnaissent l’altérité de personne. Ils traitent les autres comme des figures animées, des extensions de leur propre identité et des pivots autour desquels ils déploient les neuf phases de leur fantasme partagé.

Par exemple, ils effacent progressivement l’identité de leurs victimes, à leur insu, sapant lentement leur intégrité psychique par le biais de redoutables stratégies de manipulation et de contrôle. C’est un véritable décervelage hypnotique, insidieux et inconscient, qui déforme la perception de soi et du monde, broie la volonté des victimes et substitue celle du narcissique à la leur. Ainsi, le narcissique fait de sa proie un être vidé de toute autonomie — un zombie, ou une momie égyptienne — parfaitement malléable à sa guise. Lisez l’article sur le sujet en cliquant sur ce titre : Le gaslighting.

Changer nos comportements envers autrui, nos attitudes et notre manière d’exprimer nos émotions suppose une véritable prise de conscience : il faut soit reconnaître nos erreurs, soit puiser en nous une motivation profonde pour amorcer cette transformation. Or, enfermés dans leur univers psychotique, les narcissiques pathologiques manquent de la lucidité nécessaire pour reconnaître leurs fautes ou mesurer l’ampleur des souffrances qu’ils infligent à leurs victimes.

Cependant, il existe une dissonance anxiogène : s’ils sont omniscients et divins, ils deviennent responsables des autres ; s’ils ne le sont pas, ils apparaissent impuissants et démunis. Cette dissonance engendre leur colère.

Le refoulement : expulsion des expériences perturbantes

Chez les narcissiques, le refoulement constitue un mécanisme de défense par lequel ils bannissent de leur conscience les expériences perturbantes. Dans ce processus, les affects sont déplacés, isolés ou niés, car ils associent l’amour à l’abus subi dans leur enfance.

Cependant, ces expériences perturbantes demeurent inscrites dans leur subconscient et se projettent sur les autres sous la forme de colères imprévisibles. Ils ne supportent pas l’amour des autres et ne tolèrent pas leurs émotions, qu’ils invalident en retour. Leur manque de mémoire constitue un autre aspect essentiel des narcissiques pathologiques.

La suppression des souvenirs : un acte d’oubli délibéré

Les narcissiques présentent également une mémoire sélective. Ils évitent délibérément de penser à des problèmes, des sentiments ou des expériences douloureuses, et écartent ces éléments perturbants par un acte d’oubli. Cette occultation est donc une réponse aux conflits et au stress. C’est un effort conscient et volontaire pour mettre de côté ce qui leur cause de la souffrance.

En d’autres termes, ils n’ont pas de mémoire pour leurs expériences négatives. Ils les évitent, les effacent de leur esprit ou les occultent consciemment pour échapper à une réalité insupportable. Ainsi, leurs souvenirs ressemblent à un patchwork d’événements et de personnes sans lien apparent les uns avec les autres.

L’empathie froide : comprendre pour mieux manipuler

Leur manque d’empathie psychoaffective est l’une de leurs caractéristiques principales. Ayant perdu leur nature essentielle, le cœur des narcissiques pathologiques est comme un trou noir — qu’ils soient manifestes ou cachés. Ils sont incapables de ressentir des émotions positives telles que l’amour, la compassion ou l’empathie.

Ils manifestent une indifférence glaciale envers autrui, un désintérêt total pour les sentiments, les émotions et les besoins légitimes des autres. Dans leurs relations de couple, le partenaire intime n’est réduit qu’à un prestataire de services dont ils se désintéressent complètement.

En revanche, ils possèdent une empathie froide — à mi-chemin entre le cognitif et l’instinctif — qui leur permet de scruter autrui, de le « scanner », de comprendre son mode de fonctionnement, de repérer ses faiblesses et ses émotions. Ils ne réagissent donc pas avec le cœur, mais exploitent la fragilité de l’autre afin de le manipuler et d’en faire une source de leur provision narcissique sadique.

Les narcissiques ont peur de l’intimité

Pour entretenir des relations intimes, nous devons être capables de vulnérabilité. Cela ne signifie pas que nous soyons fragiles sur le plan psychique, mais plutôt que nous soyons capables de ressentir nos émotions et de montrer nos faiblesses. Ainsi, accorder sa confiance est un élément essentiel dans une relation intime.

Les narcissiques, quant à eux, ne peuvent pas être vulnérables parce qu’ils se perçoivent comme tout-puissants et parfaits, à l’image de dieux. Ils pensent n’avoir besoin de l’aide de personne. De plus, ils n’ont confiance en personne, car ils entretiennent des idées paranoïaques, restent hyper vigilants et se méfient constamment des intentions cachées des autres. Pourquoi ? Parce que, comme nous l’avons vu, ils sont en réalité profondément fragiles sur le plan psychologique. Pour ces raisons, ils sont incapables de vivre l’intimité.

Le miroir qui reflète une identité illusoire

L’identité d’absence des narcissiques fonctionne comme un miroir reflétant l’image des autres. Les images projetées par ce grand miroir « deviennent leur identité ». C’est pourquoi les autres sont utilisés comme des sources de leur provision narcissique, et donc de leur équilibre interne.

Lorsque vous donnez au narcissique l’attention qu’il recherche ou le regard qu’il attend, vous devenez sa source de sa provision narcissique, car il n’existe qu’à travers vos mots et le reflet de votre regard. Alors, il vous observe en retour, non pas pour vous écouter ou vous accorder de l’attention, mais pour s’assurer que ce que vous exprimez par vos gestes et vos paroles lui est favorable.
Voyons maintenant de quelle manière les narcissiques compensent leur vide intérieur.

Ses rêves missionnaires et sa religion

La rêverie à l’âge adulte constitue en soi une activité saine lorsqu’elle permet, par exemple, de développer et de planifier un projet ou d’anticiper les résultats de nos actions.

Cependant, chez le narcissique pathologique l’imaginaire prend la forme d’un théâtre intérieur dont il est à la fois l’auteur et l’acteur principal. Il se construit des scénarios autour de son image, où il se met en scène comme héros ou comme dieu. Il s’égare dans des fantasmes de succès, de pouvoir, de grandeur, de toute-puissance, d’omniscience et de perfection divine.

Il s’accroche à ces récits pour survivre à une réalité qui dans l’enfance a été menaçante, terrifiante, meurtrière. Il demeure ainsi dans un état de régression infantile chronique.
Alors il fuit : il se réfugie dans un monde imaginaire appelé « paracosme ». Monde peuplé « d’objets internes », figures parentales, amis imaginaires, démons, divinités, madone idéale, dieu fantasmé.

À partir de son paracosme, il fonde une religion qu’il impose à ses proches et à ses fidèles, dans le cadre du fantasme partagé. Ainsi, il devient missionnaire : il tente de convertir son entourage à cette religion, en leur dictant ce qu’ils doivent faire et penser, dans des frontières rigides et des hiérarchies strictes. Son fantasme partagé devient alors un principe organisateur.

Le fantasme partagé constitue aussi un principe explicatif, qui confère sens et finalité à la vie du narcissique. Le dieu de son culte n’est autre que son faux self, adopté autrefois au prix du sacrifice de son être authentique. Par conséquent, sa religion lui demande de jouer un rôle messianique, sauveur et protecteur. Mais ce faisant, il sacrifie ses victimes. Tout s’accomplit dans un univers psychotique, dont le pouvoir hypnotique se révèle presque irrésistible.

Les multiples récits illusoires des narcissiques manifestes engendrant des multiples comportements. Voyons lesquels.

L’arrogance compétitive de ces seigneurs médiévaux

Un trait de caractère qui distingue les narcissiques classiques — issu de leurs récits illusoires — est leur arrogance compétitive. Ils surestiment leurs propres capacités par rapport à celles des autres et affichent un sentiment exagéré de leur importance personnelle, souvent sans accomplissements réels pour le justifier.

Leur arrogance se manifeste aussi par un sentiment d’invulnérabilité, une croyance en leur immunité face aux conséquences de leurs actes, et une impression d’être spéciaux, uniques, sans précédent.
Cette arrogance s’accompagne donc d’une autoglorification constante et d’une hautaineté marquée. Ils méprisent autrui et refusent de traiter quiconque d’égal à égal. Leur attitude évoque celle des seigneurs médiévaux envers leurs serfs : vaniteux, mégalomanes, pompeusement ridicules, grandiloquents et hypocrites.

Convaincus de pouvoir tout accomplir et d’exceller en tout, ils deviennent inaccessibles à leur entourage. Ils ne daignent interagir qu’avec ceux qu’ils jugent exceptionnels, car ces derniers leur procurent une précieuse provision narcissique, à la fois valorisante et dynamisante.

Une autre facette de leur arrogance : l’antagonisme. Celui-ci éclate dans des gestes provocateurs, des attitudes conflictuelles, destinées à faire réagir l’autre. Leur plaisir est dans la réaction négative qu’ils arrachent, dans le conflit qu’ils attisent.

Si quelqu’un remet en question leur arrogance, ils se sentent humiliés et cherchent à anéantir celui ou celle qui les a offensés. Leur rage ouverte face au désaccord et à l’opposition s’explique non seulement par l’audace de leurs contradicteurs, qu’ils considèrent comme manifestement inférieurs, mais aussi parce qu’un tel affront ébranle leur vision du monde et leur conviction d’être uniques, spéciaux — presque divins.

La méritocratie : l’illusion de leur suprématie sur autrui

Un autre trait des narcissiques classiques — issu de leurs récits illusoires — est leur conviction de mériter un traitement privilégié et des avantages exceptionnels.
Se drapant dans la méritocratie, ils gonflent leurs mérites et s’arrogent des accomplissements démesurés : pouvoir, fortune et gloire.

Ils se dissent : « Les gens instruits sont plus importants que les masses inférieures. Si je suis riche, cela signifie que je suis un géni exceptionnel, extrêmement instruit. »
Ou encore : « Si je suis riche, je suis exempté de toute morale, de toute convention et de toute loi. » Ce type de méritocratie engendre un décalage profond entre leur autoévaluation grandiose et leurs réalisations effectives.

En réalité, ils esquivent l’effort, le travail et l’investissement personnel. Ils préfèrent déléguer aux autres la charge de leurs projets, convaincus qu’il leur revient naturellement d’être servis.

Le racisme et la proclamation de droits portée par la suprématie que les narcissiques s’arrogent sur les autres races, c’est un autre visage de la méritocratie : l’empire qu’ils imposent aux soi-disant « races inférieures », dévoile combien le narcissisme pathologique s’érige en religion et en loi.

Le puritanisme, lui aussi, se dresse comme une autre expression de leur méritocratie.
Et il existe, bien sûr, des récits de genre : l’homme proclamé supérieur, la femme assignée à l’infériorité, et l’homosexuel soupçonné d’un défaut.

Bref, les narcissiques mobilisent leurs récits pour maintenir les individus au bas de l’échelle, instituant une hiérarchie de « castes » et s’opposant à l’égalité des chances comme des opportunités, afin de consolider la position des élites.

Si vous êtes assez désespéré — ou assez aveugle — pour croire à ces fantasmes, vous pouvez vous enivrer d’illusions et rêver qu’un jour la méritocratie viendra vous couronner. L’égalité des chances, ainsi que le consumérisme et la mobilité sociale ascendante ne sont que des fables. Ce sont des récits qui nous arrachent à la réalité et entravent la solidarité humaine.

L’exploitation d’autrui : une tentative de combler l’envie dévorante

Un autre trait marquant des narcissiques — qu’ils soient manifestes ou cachés — est leur tendance à exploiter les autres, nourrie par une envie corrosive et une jalousie extrême, ainsi que par leur auto-victimisation.

L’exploitation consiste à utiliser autrui au mépris de ses droits, de sa dignité ou de son bien-être. Elle repose sur une dynamique de pouvoir déséquilibrée, dans laquelle les narcissiques tirent profit de la vulnérabilité, du travail ou des ressources de l’autre, qu’ils exploitent comme source de gratification narcissique.

Avec eux, la répartition des ressources est inégale : l’exploité reçoit moins que ce qu’il contribue ou mérite. Les termes de la relation sont biaisés en faveur de l’exploitant. L’autre est réduit à un rôle fonctionnel, donc nié dans son altérité.

Par exemple, dans le cadre du fantasme partagé, ils n’hésitent pas à faire de leur partenaire une mère censée prendre soin d’eux, une servante dévouée, une esclave sexuelle, ainsi qu’une source de provision narcissique et sadique. Ils ne supportent pas que leur victime éprouve de la joie de vivre ou possède une capacité de création, un emploi, une voiture plus luxueuse, une maison plus belle, une position sociale plus élevée, davantage de connaissances, etc.

Pour se rassurer, ils se construisent des récits où les autres — ces « insignifiants » — sont incapables de reconnaître la valeur de leurs propres réalisations. Certains, sombrant dans la psychopathie, n’hésitent pas à s’immiscer dans la vie intime d’une personne proche pour s’emparer de son activité, de ses idées, de ses connaissances, de ses réussites ou de son argent.

Un autre trait des narcissiques manifestes issu de leurs récits illusoires — est leur obsession de la domination et du contrôle.

Leur obsession pour le contrôle et la domination

Les narcissique pathologiques, qu’ils se présentent sous une forme manifeste ou dissimulée, aspirent à contrôler, à posséder et à dominer autrui. Leur contrôle consiste à surveiller, à contraindre et à réguler un être humain afin de le faire fonctionner conformément à des règles, des objectifs ou des attentes qui ne sont jamais les siens.

Dans un premier temps, les narcissiques mettent en place des stratégies de contrôle sur une personne ; dans un second temps, une fois celle-ci sécurisée et placée sous emprise, ils recourent à la manipulation afin d’en extraire les bénéfices recherchés. La manipulation intervient donc secondairement. Ils cherchent alors à susciter des réactions qu’ils s’imaginent capables d’induire — telles de prétendus processus évolutifs — tant en eux-mêmes que chez les autres.

Lorsque vous êtes la partenaire intime d’un narcissique manifeste, dès l’instant où vous occupez dans son psychisme une place dite « maternelle », il entreprend de vous soumettre et de vous contrôler : il vous rabaisse, vous dépouille de toute indépendance, vous prive d’autonomie, aspire votre vitalité, vous isole du monde et s’approprie vos ressources.

Au cours des phases de dévalorisation et de rejet, il décrète que la rupture avec vous devient nécessaire à sa « progression » et à l’affirmation de sa souveraineté. Cette manœuvre lui confère un fragile sentiment d’équilibre intérieur, bientôt exalté par une euphorie narcissique.

Pourquoi ? Parce qu’il lui faut vous contrôler. Il doit vous imposer la trame inexorable de son fantasme partagé. Il lui est indispensable d’altérer votre perception de la réalité ; à défaut, il vacille, tremble, et sa structure psychique menace de s’effondrer sous son propre regard.

Si vous refusez de céder et de vous soumettre sans délai, il brandira la menace de votre anéantissement, promettant de vous réduire en poussière. Et si vous osez douter de sa capacité à mettre cette destruction à exécution, il se métamorphose alors en une créature déchaînée, affranchie de toute limite morale ou sociale.

Le contrôle coercitif : une dérive paranoïaque

Parfois, le contrôle exercé par le narcissique devient extrêmement coercitif. Lorsqu’il sombre dans la paranoïa, il vous terrorise. Il vous surveille en permanence : il veut savoir où vous êtes, avec qui, ce que vous pensez et ce que vous avez fait ou dit. Il espionne vos messages, vos appels, tout. Il devient punitif, car vous devenez pour lui un « objet persécuteur ».

Il empiète sur votre liberté, vous prive d’espace personnel : il vous empêche de vous habiller comme vous le souhaitez, de sortir, de voir votre famille ou vos amis, de travailler, de vivre… Il sabote tout, sape tout, empêche tout, et fait dérailler vos espoirs, vos tâches et vos projets les plus chers. Vous devenez son otage, et vous êtes privé(e) de vos besoins légitimes, tandis que lui s’érige en figure toute-puissante.

Dans ce cas, vous êtes subjugué(e) et conditionné(e). Votre volonté est brisée. Vous obéissez aveuglément, sans aucune remise en question, car vous idéalisez votre narcissique, même s’il est votre geôlier. Vous êtes entièrement contrôlé(e), parfois par un simple regard de désapprobation. Par conséquent, vous ne pouvez envisager aucune alternative. Son contrôle coercitif est criminel, même si son comportement relève de la psychose.

Les deux protagonistes dans une dynamique de contrôle

Dans les dynamiques de contrôle, deux protagonistes se distinguent : le contrôleur et la personne contrôlée. C’est une véritable danse macabre entre ces deux parties. Il est rarement possible d’imposer ce contrôle sans une forme de collaboration ou de collusion de la victime, c’est-à-dire de la personne soumise au contrôle. Cette dynamique se retrouve notamment dans les couples composés d’un narcissique et d’une personne dépendante affective, ou d’un narcissique et d’une personne borderline.

Les techniques des personnes contrôlées comprennent :

  • Participation dans le fantasme de contrôle : s’introduire inconsciemment, voire volontairement dans une relation contrôlante, favorisant je contrôle coercitif.

  • Contrôle par la position d’infériorité : afficher son impuissance, son besoin ou sa dépendance pour déclencher des comportements contrôlants chez l’autre. C’est un contrôle indirect et déguisé, souvent accompagné de chantage émotionnel.

  • Labilité et dérégulation : créer incertitude, imprévisibilité et anxiété dans la relation, forçant l’autre à adopter un comportement obsessionnel du contrôle. L’infantilisation du contrôlé déclenche ainsi la réponse contrôlante du partenaire.

Les principales techniques de contrôle narcissique sont :

  • Intimidation ;

  • Désorientation de la victime, notamment via le gaslighting ;

  • Création d’attentes et feinte de déception pour contrôler des personnalités sensibles, comme les personnes dépendantes affectives ou les empathiques qui aiment plaire.

Les motivations principales de la personne contrôlée sont :

  • Recherche d’une base sécurisante : elle se sent à l’aise uniquement lorsqu’elle est contrôlée et surveillée, car elle interprète cela comme de l’amour.

  • Victimisation : être contrôlée lui permet de se percevoir comme victime ou martyr.

  • Validation du « mauvais objet » interne auquel elle s’identifie : lorsque la victime se place dans une situation de contrôle, elle valide les croyances négatives sur soi.

Les motivations du contrôleur narcissique sont :

  • Renforcer son sentiment de grandeur, d’omniscience et d’omnipotence par le biais de cette relation asymétrique.

  • Empêcher le départ de la victime, en faisant d’elle un « objet interne » manipulable à volonté, en contrôlant son environnement pour rendre la séparation impossible.

L’omniscience illusoire et la sagesse imaginaire

Les narcissiques se croient omniscients, ce qui renforce leur perception déformée de la réalité. Dans le domaine de la connaissance, ils adoptent souvent une posture fallacieuse et défensive. À moins d’être de véritables génies ou des sages dans un domaine précis, lorsqu’ils manquent de connaissances, ils citent des sources inexistantes et confusionnelles, ou avancent des affirmations incertaines qu’ils intègrent dans un vaste réseau de confabulations.

Incapables de soumettre leurs déductions ou idées à un examen critique approfondi, ils craignent la critique et l’humiliation. Lorsqu’un narcissique est invité à une réunion, il peut se comporter comme un éducateur, un sage ou un gourou, dont les paroles se veulent de portée cosmique, mais qui, en réalité, frôlent souvent le comique.

Ils ne peuvent pas retarder la gratification

Les narcissiques manifestes veulent tout posséder et tout expérimenter. Ils ne se contentent que de ce qu’ils perçoivent comme idéal, parfait, beau ou extraordinaire. Incapables de retarder la gratification, ils se montrent souvent audacieux, aventureux, explorateurs et curieux, persuadés qu’ils peuvent tout accomplir. Ils sont surpris ou dévastés lorsqu’ils échouent, quand l’univers ne se plie pas à leurs fantasmes illimités ou lorsque le monde et les gens ne se conforment pas à leurs caprices et à leurs désirs.

Faites attention ! Lorsque quelqu’un que vous venez de rencontrer fait de vous un « objet idéalisé », vous bombarde d’amour et, très vite, vous propose de vivre ensemble, de vous marier et d’avoir des enfants, soyez vigilant(e). S’il s’agit d’un narcissique manifeste, il exprime sa vérité dictée par ses fantasmes illimités, et non par une réalité qu’il peut concrétiser. Mieux vaut attendre pour observer ses réactions, car une personne qui avance trop vite est probablement un prédateur psycho-émotionnel.

En raison de l’absence d’un ego fonctionnel, les narcissiques classiques ressemblent à des enfants : ils veulent tout, tout de suite, et sont extrêmement réactifs à la présence et aux comportements de chaque source de provision narcissique. C’est pourquoi, dans le milieu de travail et au sein de leur famille, ils cherchent à contrôler et manipuler les autres afin de les transformer en sources fiables de provision narcissique.

Pour obtenir notoriété et prestige, ils mentent, manipulent, contrôlent, dominent et possèdent ceux qui deviennent leurs sources de provision narcissique. Lorsque les gens ne se conforment pas à leurs attentes, ils se sentent blessés et réagissent par la colère.

Le mépris : armure et auto-approvisionnement narcissique

Certaines questions se sont imposées au professeur Sam Vaknin :

  • Comment les narcissiques pathologiques entretiennent-ils ce concept de soi contrefactuel, grandiose, exagéré, fantastique — totalement détaché de la réalité ?

  • D’où tirent-ils cette confiance exacerbée et cet amour-propre démesuré qui les fait penser : « Je suis supérieur à tout le monde. Tout le monde m’est inférieur… » ?

  • Comment un être humain — qu’il soit déconnecté de la réalité, qu’il vive dans le déni ou qu’il soit quasi psychotique — peut-il réellement croire cela et y investir ses émotions, son énergie, sa psychologie ?

Eh bien, répond-il, c’est dans le mépris que se trouve la réponse.
Les narcissiques entretiennent envers les autres un mépris profond. Ce n’est pas une simple réaction négative, mais une stratégie psychique : un bouclier, une armure contre toute vulnérabilité. Plutôt que de chercher l’attention ou l’approbation, certains choisissent le retrait et le dédain.

Leur mépris constant finit par les isoler, les privant de toute chance d’obtenir une quelconque provision narcissique de l’extérieur. Ce choix n’est jamais accidentel : il définit la phase dite « cachée » du narcissisme, où le repli et la froideur deviennent les garants de la survie psychique. Pourquoi ce renoncement ? Pourquoi risquer l’effondrement du faux self pour préserver l’illusion d’une supériorité incontestée ? Parce que le mépris assure au narcissique une invulnérabilité illusoire. Mépriser, c’est se rendre intouchable : « Les gens sont trop stupides pour comprendre mon intelligence », pense-t-il. « Trop envieux pour reconnaître ma valeur ; ils cherchent seulement à me nuire. »

Ces récits intérieurs placent le narcissique au sommet d’une hiérarchie imaginaire. Les autres deviennent insignifiants, indignes, réduits à l’état de masse anonyme. La dévalorisation systématique nourrit un délire de supériorité où le mépris agit comme un rempart : critiques, moqueries et désaccords glissent sur lui sans effet. En rabaissant autrui, il lui retire tout pouvoir de le blesser.

Peu à peu, cette posture se fige en armure. Le narcissique se perçoit comme invulnérable, imperméable, autosuffisant. Le mépris devient son auto-approvisionnement narcissique : il n’a plus besoin des autres, puisqu’ils ne valent rien à ses yeux. Mais cette stratégie, si protectrice soit-elle, a un coût : en réduisant autrui à néant, il se condamne à une solitude stérile. Son mépris, censé le protéger, devient à la fois refuge et prison.

Derrière cette froideur se cache une peur fondamentale : être rejeté, humilié, exposé. La blessure qui fissurerait son image idéale est pour lui inimaginable. Alors, pour se préserver, il méprise avant d’être méprisé. En niant la valeur de l’autre, il croit sauvegarder la sienne. Ainsi se déploie la logique inconsciente du narcissique : mépriser pour ne pas souffrir, dominer pour ne pas être détruit. Le mépris devient son auto-approvisionnement narcissique, son ultime refuge — mais aussi la preuve tragique de sa fragilité.

Nombre de narcissiques adoptent une attitude condescendante envers les autres. Certains peuvent même se montrer faussement humbles, à l’image des narcissiques cachés. Dans ce cas, ils dissimulent leur mépris tout en se percevant comme supérieurs. Ils peuvent se sentir exceptionnels même dans l’échec, allant jusqu’à se glorifier d’être perdants.

Briseur de rêves : anéantir les autres pour se sentir puissants

Les narcissiques s’accordent le droit de rêver. Pourtant, ils se révèlent briseurs de rêves et rabat-joie. Lorsqu’ils sombrent dans la paranoïa ou la psychopathie, ils frustrent autrui de manière agressive et méprisante, provoquant des bouleversements individuels et sociaux.

Ils sèment le chaos. Dans ces moments, leur cruauté est intentionnelle, ciblée et impitoyable, même si les véritables raisons de leurs actions destructrices demeurent inconscientes. Ils détruisent les espoirs les plus chers des autres par leur rage narcissique, s’attaquant à leurs croyances profondes et sapant leurs valeurs les plus enracinées.

Pour ceux qui tombent sous leur emprise, le résultat inévitable est l’angoisse, la dévastation, la confusion, la désorientation, ainsi que l’agonie d’être constamment niés. Leurs actions destructrices induisent un décervelage hypnotique chez leurs victimes, un phénomène connu sous le nom de « gaslighting ». Pour explorer ce sujet lissez cet article : Le gaslighting.

L’innocence violente des narcissiques manifestes

Le terme innocence violente a été inventé par le psychanalyste américain Christopher Bollas. Dans le cadre du narcissisme pathologique, l’innocence violente se manifeste à travers cinq composantes essentielles :

1. Le narcissique n’assume aucune responsabilité pour ses comportements nuisibles, même lorsqu’il blesse, brise ou ruine la vie d’autrui par son agression passive et son absence de présence psycho-émotionnelle. Il se sent légitime à mépriser, ignorer, négliger, dévaloriser, dénigrer, nier et détruire les autres.

2. Puisque sa perception est altérée, il affiche une moralité ostentatoire, surtout lorsqu’il se présente comme prosocial ou engagé dans la communauté. Il se sent comme l’incarnation même de la perfection. Se sentant irréprochable et infaillible, il écrase les autres sous le poids de sa prétendue supériorité morale, de ses codes de conduite rigides, de ses règles et de ses normes. C’est la compensation de sa honte toxique et de son complexe d’infériorité.

3. Il présente un manque absolu de conscience des effets, des résultats et des conséquences de ses décisions, de ses choix et de ses actions. Son abus narcissique génère des préjudices considérables dans toutes les strates e la conscience de ses victimes, mais il demeure complètement inconscient de l’impact réel de ce qu’il provoque. Il vit dans le déni de son impuissance, de ses insuffisances, de son complexe d’infériorité et de son agression passive.

4. Il refuse toute remise en question. Il refuse obstinément de reconnaître sa propre agressivité passive. Il refuse d’écouter ou de comprendre votre point de vue, ou celui de quiconque. Ce refus s’accompagne d’entêtement, de rigidité et d’une opposition constante. Imbu de lui-même, il méprise et invalide les remarques et les émotions d’autrui, car, de son point de vue, il est une bonne personne.

5. Il est un véritable professionnel du rôle de victime. Il recourt à l’auto-victimisation dès qu’il est confronté aux conséquences de ses actes ou de son manque d’action. Son narcissisme pathologique est une réponse adaptative à un environnement abusif, reposant sur un sentiment de victimisation érigé en principe organisationnel de son psychisme. Cette posture victimaire lui permet de justifier la projection de son agression passive sur autrui et de se sentir innocent — non coupable.

Cependant, dans son for interne une dissonance cognitive anxiogène émerge :
D’un côté, il est la source de la souffrance d’autrui, puisqu’il se conçoit à la fois comme omniscient et comme la source ultime du contrôle qu’il exerce sur les autres.
De l’autre, s’il refuse cette responsabilité, il ne peut plus se percevoir comme parfait, ostentatoirement moral ou omniscient.
Cette tension constitue la dissonance inhérente à l’innocence violente : il n’est ni l’autorité suprême ni une entité divine, et cette reconnaissance demeure intolérable pour le narcissique classique. Et cela engendre beaucoup d’agression grandiose.

Le narcissisme prosocial chez les narcissiques manifestes

Il existe trois types des narcissiques prosociaux : l’imposteur, l’iconoclaste et le brutal.

Le narcissique prosocial imposteur est décrit largement dans l’article Les narcissiques cachés, à la fin de la description des narcissiques anxieux, car il est un personnage fictif. Il en va de même pour les narcissiques somatiques qui se déguisent en narcissiques cachés bienfaiteurs. Vous trouverez plus loin dans le texte les paragraphes à ce sujet, qui leur sont consacrés.

Le narcissique prosocial iconoclaste se présente comme quelqu’un qui refuse les normes établies, expose les illusions collectives et se révolte contre le conformisme. Historiquement « briseur d’idoles », il rejette les règles du jeu social pour en proposer de nouvelles. L’iconoclasme est paradoxal : en détruisant un ordre, il en instaure toujours un autre, promettant reconnaissance et protection à ceux que l’ancien monde a laissés de côté. Ainsi, même les figures anticonformistes comme certains leaders politiques, tout en dénonçant le système, instaurent en réalité une nouvelle forme de conformisme et un nouveau récit auquel leurs partisans doivent adhérer. Ce sont des narcissiques manifestes.

Le narcissique prosocial brutal utilise la vérité comme une arme destructrice. Ce type de personnalité se complaît dans une honnêteté sadique, qui ne vise ni à éclairer ni à aider, mais à blesser, humilier et immobiliser autrui. Son agressivité est difficile à condamner, car elle se présente comme de la franchise. Sous couvert de moralité, ce narcissique déguise son mépris et sa misanthropie en discours d’aide ou de vigilance. En réalité, son « honnêteté brutale » est une forme subtile mais profondément antisociale de sadisme, parfois même valorisée culturellement chez certaines figures d’autorité, qui se croient « invincibles ».

Les narcissiques accomplis : les invincibles

Les narcissiques accomplis, les ultra-riches et les individus extrêmement puissants, prosociaux, s’arrogent le droit d’être grandioses et de maltraiter autrui. Ils se perçoivent comme exceptionnels : ils croient que l’image exagérée qu’ils ont d’eux-mêmes est réelle. Ils ne reconnaissent jamais la fragilité de leur faux self, car ils se croient invincibles.

Dans les interactions humaines ils s’attribuent un droit « sacrificiel », persuadés de mériter la reconnaissance et la gratitude des autres, car ils s’imaginent se sacrifier pour eux en descendant de leur « monde divin » vers le monde terrestre.

Il s’agit là d’une grave distorsion cognitive, car l’épreuve de réalité est altérée dans leur esprit psychotique. Pour cette raison, ils sont incapables de développer une véritable intelligence émotionnelle, ce qui les rend, au fond, stupides dans tous les domaines. Cette déficience réduit leur capacité à atteindre des objectifs réellement bénéfiques pour le bien commun. Pourtant, ils sont souvent pardonnés en raison de leurs contributions présumées ou parfois réelles — à la société. C’est notamment le cas de Donald Trump.

Leur sentiment de grandeur n’est pas perçu comme délirant, car il repose sur des réalisations concrètes dont les bénéfices supposés ne sont jamais véritablement examinés. Ainsi, ils sont même considérés comme bienveillants et protecteurs, alors qu’en réalité, ils infligent de graves préjudices à l’humanité. Lisez l’article intitulé :  L’ère du narcissisme : une société dystopique.

Professions envahies par des narcissiques classiques

Selon les études scientifiques de Brunnell (2008), Jonason (2009), Spurk et Hirschi (2018), Charpentier et Labreuche (2020), Paulhus et Williams (2002), entre autres, les narcissiques classiques envahissent les postes de direction et de management, les domaines artistiques et médiatiques, la politique, les domaines du droit et de la finance, l’entrepreneuriat et aussi les spécialités médicales.

Pourquoi les narcissiques pathologiques choisissent-ils ces professions ?
La réponse réside dans leur quête insatiable de provision narcissique. Les narcissiques recherchent constamment l’attention, l’adulation, la reconnaissance et l’obéissance des autres, et même la notoriété par la crainte qu’ils suscitent. Ces interactions leur permettent de réguler leur estime de soi, de reconstruire leur confiance et de restaurer leur image souvent fragmentée. Lisez l’article intitulé La provision narcissique.

Pour eux, interagir avec les autres à partir d’une position de supériorité est essentiel. Les interactions d’égal à égal ne les intéressent pas. Ils ont des distorsions cognitives à leur égard, parce que leur perception de soi et du monde est altérée. Ils se considèrent supérieurs en intelligence, en sagesse, en pouvoir, etc.

Travaillez-vous avec un narcissique classique ou accomplit ?

Les narcissiques classiques créent des espaces pathologiques où ils règnent en figures quasi divines. Cet environnement leur permet de maintenir une emprise sur leurs admirateurs, suiveurs ou subordonnés.

Si vous travaillez avec un(e) narcissique pathologique, il est essentiel de prêter attention à ses comportements et de faire preuve de prudence, car une confrontation directe pourrait rendre votre quotidien professionnel insoutenable.
Souvenez-vous que cette personne dispose de défenses alloplastiques et qu’elle vous blâmera pour toute erreur qui lui paraîtra être de votre faute. Elle ne se reconnaîtra jamais responsable de rien.

Voici quelques règles élémentaires pour gérer cette situation :

  1. Gardez vos distances, et vous réduirez son emprise.

  2. Restez neutre, et vous déjouerez ses pièges.

  3. Évitez les confrontations, et vous préserverez votre paix.

  4. Appuyez-vous sur les faits, et vous fermerez la porte aux manipulations.

  5. Conservez une trace écrite, et vous protégerez votre vérité.

  6. Clarifiez sans cesse, et vous empêcherez la distorsion.

  7. Cherchez du soutien, et vous retrouverez votre force.

  8. Fixez vos limites, et vous préserverez votre dignité.

  9. Anticipez ses attaques, et vous ne serez jamais pris au dépourvu.

  10. Protégez-vous intérieurement, et vous resterez libre.

Bien que ces règles puissent vous soutenir, elles ne garantissent en rien votre capacité à tolérer le défi de travailler sous l’emprise d’un narcissique.

Votre partenaire intime est narcissique classique ?

Si vous êtes en couple avec un(e) narcissique classique, sachez qu’il/elle fait de vous un objet interne. Il entre alors en « relation » avec cet objet mental — et non avec vous en tant qu’être distinct.  Le fait que vous soyez devenu(e) son objet interne lui permet de s’approprier votre existence psychique. Il ne peut tolérer votre altérité : vous devez lui appartenir.

Le professeur Sam Vaknin déclare : N’oubliez jamais que le narcissique n’est qu’un enfant qui veut trouver une mère. Il doit avoir une mère à qui il pourra se confronter, une mère qu’il va soumettre à l’épreuve, une mère dont il va se séparer pour évoluer vers sa souveraineté. Vous devenez alors le pivot autour duquel il construit son fantasme partagé. Ainsi, il reproduit avec vous le conflit qu’il a vécu avec sa mère, tout en vous transmettant son traumatisme à travers son agression sadique.

Il ressent un plaisir sadique à détruire votre intégrité psychique. Inconsciemment, il vous manipule en utilisant un décervelage hypnotique appelé gaslighting. Il peut exercer un contrôle psychologique d’une telle intensité qu’il induira chez vous des états dissociatifs de dépersonnalisation et de déréalisation. Il vous engloutit, vous consomme, vous digère et vous assimile. Ce qui correspond aux mécanismes connus en psychologie sous les termes d’introjection (engloutir), d’incorporation (consommer), d’internalisation (digérer) et d’identification (assimiler). Pour plus d’informations, consultez cet article : Le gaslighting.

Vous êtes donc la source de sa provision narcissique à tendance sadique. C’est ainsi qu’il se sent tout-puissant, omniscient, complet, heureux, épanoui et équilibré. À la fin, vous vous retrouvez dévasté(e), ruminant l’introjection de son image, ainsi que l’incorporation et l’intériorisation de ses messages et de ses abus. Peu à peu, vous commencez à vous détruire vous-même. C’est pourquoi il est impératif de vous libérer de ces introjections et de reconnaître votre participation inconsciente à son fantasme partagé.

Sans ce processus appelé « désintrojection », vous continuerez à souffrir des effets traumatiques de son emprise. Se libérer des éléments psychiques qu’il a implantés en vous — ses messages, ses jugements, ses humiliations — est une étape fondamentale pour retrouver votre intégrité psychique. Le mieux est de consulter un professionnel sensibilisé à l’abus narcissique et à ses effets traumatiques. Face à vos ruminations douloureuses, un psychologue non averti risque malgré lui, de minimiser votre vécu, ou pire encore, de prendre le parti du narcissique.

C’est pourquoi je vous invite à me contacter, et à suivre mon cours : il vous apportera des repères solides, des outils concrets et un éclairage précieux pour comprendre ce que vous avez traversé — et amorcer votre reconstruction. À la fin de cet article, vous découvrirez les fondements d’un processus puissant que j’appelle la Déshypnose Identitaire.

Mais pour l’heure, je vous propose d’explorer les deux visages du narcissisme manifeste.

Les deux sous-types des narcissiques classiques

En 1995, le professeur Sam Vaknin a introduit les notions de « narcissique cérébral » et de « narcissique somatique ».
Il serait erroné de penser qu’il existe une constance dans les deux sous-types. Lorsqu’ils subissent un effondrement partiel, les narcissiques cérébraux sortent pour chercher un(e) partenaire intime et se transforment alors en narcissiques somatiques. Souvent, les narcissiques somatiques deviennent des narcissiques cachés durant cette période d’effondrement ou bien tentent de se comporter comme des narcissiques cérébraux.
Regardons brièvement les comportements de chaque sous-type.

Le narcissique cérébral

Dès sa petite enfance, le narcissique cérébral découvre qu’il attire l’attention et l’admiration des adultes grâce à ses capacités intellectuelles. Il comprend également que son intelligence lui confère un pouvoir sur autrui et lui vaut du respect. Cette découverte, à la fois passionnante et gratifiante, devient irrésistible pour lui. Il en conclut : « Si je suis intelligent, j’obtiens l’attention et l’obéissance des autres. »

Aucune autre dimension de sa personnalité ne parvient à égaler le niveau de son intelligence. Par conséquent, il recherche l’excellence et refuse tout compromis en dehors de la perfection intellectuelle, négligeant ainsi la famille et tout le reste, y compris le sexe.

Pour compenser cette carence, il recourt à une dissonance cognitive : il utilise son intellect pour créer une « philosophie asexuelle. » Dans ce récit, il développe progressivement une fierté pour son asexualité, allant jusqu’à rejeter les propositions qu’il reçoit. Il éprouve alors une satisfaction à surmonter chaque épreuve, renforçant ainsi son identité intellectuelle et asexuelle.

Sa perception est assujettie à l’activité intellectuelle

Les narcissiques cérébraux se perçoivent comme omniscients, spéciaux et uniques, parce que tout le monde admire leurs capacités intellectuelles. Ils accumulent des connaissances variées qu’ils utilisent pour nourrir des rêves de perfection divine, d’invincibilité et de toute-puissance. Ils ne supportent pas la critique et recourent à des mécanismes de défense tels que la rationalisation, l’intellectualisation et la distanciation.

Exigeants envers eux-mêmes et les autres, ils se valorisent à travers leurs succès professionnels, leurs diplômes et leur travail acharné. Ils ressentent une angoisse existentielle lorsqu’ils sont confrontés à des situations qui ébranlent leur image d’omniscience aux yeux des autres. Le narcissique cérébral se conduit comme un adolescent, plutôt schizoïde, qui n’a besoin de personne. Donc il devient asocial et passivement agressif. C’est ainsi qu’il punit ses parents. Ce comportement se ressemble au celui du narcissique caché passif-agressif.

Le narcissique cérébral se dit :
« Ils ne m’apprécient pas, ni ne me comprennent. Je vais leur prouver que je suis spécial. Je vais leur montrer ma valeur par l’ampleur de ma contribution. » 

Cela représente, de son point de vue, une forme de générosité. Mais ce n’est en réalité qu’une suridéalisation de lui-même. Il se satisfait donc d’activités solitaires ou d’une profession au travers de laquelle il se voit placé au-dessus de la stupidité humaine.

Son noyau schizoïde : la base de son dysfonctionnement psycho-émotionnel

Son isolement dans un monde bien à lui est le résultat de pensées paranoïdes développées à l’adolescence, qui l’amènent à éviter les interactions humaines. Il rejette le contact avec les autres, qu’il perçoit comme moralement ou intellectuellement inférieurs. Il considère les autres comme indolents, répétitifs ou ennuyeux. Donc, il les méprise au point de les déshumaniser.

Son noyau schizoïde, vide, constitue le socle de son dysfonctionnement psycho-émotionnel. Par conséquent, il ne peut offrir à son partenaire intime qu’une absence de présence affective, marquée par l’impossibilité d’un véritable échange. Pourquoi ? Parce qu’à un niveau inconscient, il réduit l’amour à une fonction utilitaire que l’autre doit accomplir, et à un abus narcissique qu’il exerce sous couvert de lien.

Si votre conjoint est narcissique cérébral, il vous épuise, vous use, vous vide de votre énergie vitale. Vous devez prendre soin de lui, répondre à ses besoins, anticiper ses humeurs.

La provision narcissique : une dépendance existentielle

Comme tous les narcissiques classiques, le narcissique cérébral a besoin de l’attention des autres pour obtenir sa provision narcissique, qui alimente sa surévaluation et son auto-idéalisation. Sa vie prend tout son sens dans sa conviction d’être supérieur, omniscient, moralement parfait, spécial et différent des autres. Il utilise donc son intelligence et ses connaissances, réelles ou prétendues, pour attirer l’attention et se faire admirer. Cependant, il n’interagit qu’avec ceux dont il a besoin.

Connu pour ses talents d’orateur, sa capacité d’apprentissage, sa mémoire, sa rapidité de traitement de l’information et son aptitude à concevoir des projets lucratifs, il privilégie les relations avec les personnes qui l’aident à atteindre ces objectifs. Il communique principalement avec elles pour gagner de l’argent ou acquérir de la notoriété. Autrement, il préfère s’isoler.

Sa vision du corps : une dissociation corporelle

Étant cérébral, il se dissocie de sa corporalité et néglige énormément son corps. Il est repoussé par les fluides corporels et les organes et profondément dégoûté par tout cela. Tout ce qui le définit en tant que narcissique cérébral est marqué par ce rejet corporel. Pour lui, le corps n’est qu’un fardeau qu’il doit entretenir, une distraction qui l’éloigne de sa quête de connaissances. Il ne tire donc aucun plaisir de l’activité physique, y compris de l’activité sexuelle. Par conséquent, il maltraite et détruit son corps.

Par conséquent, il maltraite et détruit son corps. Inconsciemment, il l’instrumentalise pour punir ses proches et éviter l’intimité avec son/sa partenaire intime. Il se rend repoussant en prenant du poids, en négligeant son hygiène personnelle, en ignorant ses problèmes médicaux et dentaires, en fragilisant sa santé, en s’habillant mal, etc.

Cette démonstration ostentatoire et auto-infligée de négligence et de maltraitance corporelle a pour effet de mettre un terme à l’intimité, qu’elle soit corporelle ou sexuelle.
Ainsi, il oblige sa partenaire à adopter des comportements et des modes de vie contraires à sa nature. Si celle-ci est dépendante affective et souffre de la peur de l’abandon, elle renonce à sa vie sexuelle. Sinon, elle est poussée à lui être infidèle.

L’effondrement : une transformation vers le narcissisme somatique

Lorsque le narcissique cérébral traverse une période d’effondrement, par exemple à la suite d’une rupture, il cherche à obtenir un(e) autre partenaire.
Pour y parvenir, il dissimule son effondrement en adoptant le comportement d’un narcissique somatique, devenant temporairement sexuellement actif jusqu’à ce qu’il trouve ce nouveau partenaire. Cependant, s’il n’en trouve pas, il n’en souffre pas, car il apprécie sa solitude et n’est pas réellement intéressé par le sexe.

Son insuffisance sexuelle : une libido infantile

Le narcissique cérébral est conscient que sa libido est infantile, qu’il est homosexuel refoulé, autoérotique ou asexuel, et qu’il ne pourra jamais satisfaire les besoins sexuels de sa partenaire. Il sait également que la sexualité est pour lui une sorte d’obligation, une corvée entreprise à contrecœur uniquement pour préserver sa source de provision narcissique.

À ses yeux, le sexe est réservé à ceux qui ne peuvent pas aspirer à mieux, ce qui le conduit à ne pas apprécier sa partenaire en tant que femme désirante. Il est misogyne et la perçoit plutôt comme une figure maternelle qui prend soin de lui. Après la phase de séduction, il devient asexué, ce qui révèle son sadisme psychologique.

L’auto-idéalisation : une déformation cognitive

Le narcissique cérébral considère que sa compagnie est un grand privilège, car il se voit comme un savant, un professeur, un coach, un guide ou un gourou omniscient.
Le simple fait qu’une femme le considère comme capable de lui apporter du soutien est, pour lui, une victoire.

Cependant, le décalage entre sa libido, entièrement investie en lui-même, et celle d’une femme émotionnellement équilibrée, risque de se traduire par de la douleur, de la tromperie et une catastrophe relationnelle.
Inconsciemment, c’est l’issue qu’il recherche, car il pense évoluer en se séparant d’une femme sur laquelle il projette l’image de la « mauvaise mère » qui l’a blessé.

L’anxiété et la peur de l’intimité

Une fois qu’il vit avec cette femme, il ressent de l’anxiété lorsqu’elle lui donne son affection, car l’amour qu’il a reçu de ses parents s’accompagnait également de manipulation, d’instrumentalisation, d’utilisation, de maltraitances et de brimades. Il en vient à confondre amour et abus il croit que s’il aime quelqu’un, cette personne lui fera du mal.

Pour cette raison, au début de la relation il fait de sa partenaire une Madone inaccessible qui représente le symbole virginal qu’il met sur un piédestal. Donc, si elle lui exprime son désir sexuel, il rejette sa demande. C’est ainsi qu’il consolide son image de grandeur, d’omniscience morale, de perfection divine et de toute-puissance.

Les fantasmes sexuels : un autoérotisme inconscient

Du point de vue du narcissique cérébral, sa partenaire doit être judicieuse et accepter sa façon de lui faire l’amour. Inconsciemment, il projette sa propre partie féminine sur elle, pour ensuite l’intérioriser durant les rapports sexuels. Autrement dit, dans ses fantasmes, il entretient en fait des relations sexuelles avec une projection de son propre aspect féminin, et non avec elle.

Cependant, une hostilité se développe en lui, car il finit inévitablement par transférer sur elle l’image de la mauvaise mère. À ses yeux, elle devient alors l’incarnation de sa méchanceté.
Étant donné qu’il clive sa mère en figure « sainte » et « mauvaise », il refuse que sa provision narcissique s’opère avec sa partenaire sur le plan sexuel.

Le sadisme psychologique : une arme de pouvoir

Comme vous le voyez, l’asexualité est une arme de guerre et de pouvoir pour le narcissique cérébral. C’est l’instrument qui lui permet de réguler son sentiment de supériorité morale. Étant donné que sa partenaire a besoin d’amour, d’intimité, de complicité et de relations sexuelles, il lui refuse tout cela, car il souhaite qu’elle le trompe.

Cette stratégie de manipulation, qui consiste à pousser un(e) partenaire intime vers l’infidélité, s’appelle l’infidélité collusive. Sa provision narcissique à tendance sadique, obtenue par une infidélité collusive, constitue une compulsion de répétition. Lisez l’article intitulé : La compulsion de répétition des narcissiques.

Il torture psychologiquement sa partenaire intime à travers six stratégies inconscientes.

Première stratégie : le fantasme partagé

Il impose à sa partenaire intime son fantasme partagé. En faisant le transfert de l’image de la mauvaise mère sur elle, il lui refuse tout contact sexuel.
Parmi les tactiques qu’il utilise pour la tester, on trouve le mécanisme de renforcement intermittent, qui consiste à alterner entre chaud et froid, proximité et évitement.

  • Il observe si sa compagne peut jouer le rôle de mère rassurante, prête à se soumettre à son contrôle, à ses manipulations, à sa domination et à l’emprise qu’il exerce sur elle.

  • Il pousse son dévouement à l’extrême, la confrontant à des situations limites pour tester son courage et son engagement envers lui.

  • Il veut savoir jusqu’où il peut aller avant qu’elle ne craque et le trompe.

  • Inévitablement, sa partenaire échoue au test, craque et finit par le trahir. Il se sent alors omniscient et tout-puissant, persuadé de contrôler totalement sa partenaire et de pouvoir la manipuler à sa guise, ce qui, selon lui, prouve qu’il est un génie exceptionnel.

Paradoxalement, voir sa partenaire intime échouer à son test est dévastateur pour lui, car cela le plonge dans un état de mortification narcissique. Il ressent une honte profonde et extrême, non pas en raison du mal qu’il a infligé par ses maltraitances, mais parce qu’il se retrouve dans un chaos psychique où il se sent anéanti et dévasté. Il est honteux d’avoir investi son énergie en elle, lui donnant ainsi le pouvoir de le mortifier.

Deuxième stratégie : il se croit sa victime

Bien qu’il se sente triomphant, voire euphorique d’avoir poussé sa partenaire à compromettre ses valeurs, son estime de soi et sa dignité, il se considère comme une victime et éprouve une mortification narcissique.

  • Pour cette raison, il instaure un jeu de pouvoir totalement infantile : il transforme sa partenaire en « méchante », tandis qu’il devient tout « bon ». Ce clivage confirme sa paranoïa, donc il fait de sa partenaire intime son « objet persécuteur ».

  • En rejetant sur elle le blâme et en l’accusant de sa souffrance, il rétablit son égosyntonie. C’est-à-dire son équilibre égocentrique ; il se sent moralement supérieur, et sa grandeur est restaurée.

Si sa compagne lui exprime ses émotions, le scénario de maltraitance de son enfance se réactive, réveillant sa blessure archaïque. Il se sent agressé, car, psychologiquement, il reste un enfant en quête de protection maternelle.

Se sentant moralement supérieur, il minimise les maltraitances qu’il inflige à sa partenaire, pensant qu’elles ne sont pas graves, qu’il n’est pas sérieux et qu’il n’a aucune intention de la blesser.
En revanche, les réactions et la colère de sa partenaire lui semblent bien plus significatives et blessantes, car elles brisent le contrat implicite qu’il croyait avoir avec elle.
Cela confirme pour lui qu’elle incarne la « mauvaise mère » qui l’a blessé autrefois.

Troisième stratégie : la négligence et le contrôle

L’infidélité de sa partenaire rend légitime, à ses yeux, son mépris outrageant, son agressivité, et sa dévalorisation à son égard.
Il invalide alors ses émotions et la laisse seule en permanence. Il se dissocie encore davantage d’elle, la méprise, la néglige, l’ignore et évite même de la regarder.
Il adopte un comportement passif-agressif, sans ressentir ni remords ni empathie.
Puisque sa partenaire s’est comportée exactement comme il le souhaitait, il se sent gratifié par le contrôle qu’il exerce sur elle. Il reste ainsi le maître du jeu de pouvoir entre eux.
Il se sent en contrôle lorsqu’il la pousse à se sentir dévalorisée, coupable et honteuse de sa trahison, tout en se percevant comme moralement supérieur.

Le problème est qu’il dépend d’elle pour une multitude de services, ainsi que pour l’attention et l’admiration nécessaires à sa provision narcissique.
Cependant, il n’apprécie pas cette dépendance, car elle le fait se sentir piégé, comme un enfant.
De plus, les protestations de sa femme lui rappellent ses insuffisances et le font régresser à l’époque où il craignait terriblement d’être abandonné par ses parents.
Ses multiples ruptures lui prouvent, selon lui, qu’à cause de sa façon d’être, personne ne veut de lui ni ne le comprend. Il recadre ses conflits de couple dans cette perspective infantile, entretenant ainsi sa mortification et son délire paranoïaque.

Quatrième stratégie : il se sent moralement supérieur

À ce stade, le narcissique cérébral se sent victorieux et observe avec satisfaction le chagrin d’amour pitoyable de sa compagne, se réjouissant de sa souffrance, surtout parce qu’elle se sent coupable et honteuse au point de ne plus pouvoir se regarder dans un miroir.
C’est alors qu’il se montre soudainement bienveillant, altruiste, charitable et magnanime. Il lui pardonne ce qu’elle lui a fait, se percevant ainsi comme un être moralement supérieur. En lui pardonnant, il restaure son sentiment de supériorité morale et son équilibre intérieur, se percevant comme un dieu magnanime qui accorde son pardon.

Cinquième stratégie : il regagne sa liberté

Il parle à sa partenaire et lui dit : « Écoute, je sais que tu as une libido, mais moi, je n’en ai pas. Tu veux faire l’amour, mais je ne souhaite pas avoir de relations sexuelles. Alors, vas-y, trouve quelqu’un avec qui tu pourras faire l’amour. »

À ce moment-là, il semble se désintéresser de sa liberté sexuelle, mais ce n’est qu’une façade, car au plus profond de lui, il bouillonne de rage et de désir de vengeance.
Il se sent offensé, défié, humilié et honteux. En d’autres termes, il est mortifié.

Pourtant, il ne pose jamais de questions et la liberté de sa partenaire ne semble pas le déranger, car en lui offrant cette liberté, il espère obtenir la réciprocité.
En la repoussant et en lui permettant de faire ce qu’elle veut, aussi longtemps qu’elle le souhaite, il garantit sa propre liberté.
Elle devra rester en dehors de ses affaires, ne pas le déranger et le laisser vaquer à ses occupations dans son monde solipsiste.
Ainsi, sa magnanimité n’est qu’un moyen de servir ses propres intérêts, et non d’assurer le bien-être de sa partenaire.
Elle lui servira également de bouclier contre la proximité d’autres femmes, car il tient à préserver sa solitude. Il lui sera donc fidèle, mais uniquement par nécessité.

Sixième stratégie : il détourne les faits

Lorsque sa femme exprime son besoin de le quitter, il rejette la faute sur elle. En utilisant le mécanisme de recadrage, il déforme les faits à son avantage par un discours manipulateur, afin de continuer à se venger d’elle.
Il pense alors : « Je t’ai accordé le privilège de vivre avec moi et tu me quittes. C’est impardonnable ! Tu n’es qu’une femme stupide qui n’a pas su apprécier le trésor que j’étais dans ta vie. Tu vas le regretter. »

Explorons maintenant le narcissique somatique.

Le narcissique somatique

Contrairement aux narcissiques cérébraux, les narcissiques somatiques s’attachent à leur corps comme unique moyen d’attirer l’attention. Ils se préoccupent donc de manière excessive de leur apparence physique, de leur forme corporelle et de leurs comportements sexuels. Ils se sentent supérieurs en beauté, spéciaux et uniques, ils déploient bien leurs atouts de séduction.

Ils cherchent la perfection physique et utilisent leur apparence pour séduire et obtenir la provision narcissique. Ils considèrent leur partenaire comme un objet sexuel et, dans le pire des cas, manifestent un sadisme extrême dans leurs relations intimes.
Leur grand besoin de séduire et de plaire est une tentative de combler leur vide intérieur et leur besoin d’affection. Ils doivent continuellement accumuler de nouvelles conquêtes pour ne pas se retrouver dans le néant.

La compensation de leur dévaluation intérieure

Au contraire des narcissiques cérébraux, les narcissiques somatiques se surestiment et se survalorisent par le biais de leur apparence physique.
Ils croient que leur corps est irrésistible, qu’ils dégagent une puissance érotique extraordinaire, qu’ils sont magnifiques et époustouflants.
Mais cette image ostentatoire reflète rarement la réalité et dissimule surtout leur dévalorisation intérieure et leur complexe d’infériorité.
Conscients de ce décalage, ils se donnent beaucoup de mal pour sculpter leur corps.

  • Ils prennent un soin exagéré de leur poids, de leur silhouette, mais aussi de leur peau, de leurs dents, de leurs ongles et de leurs cheveux.

  • Ils pratiquent le bodybuilding, le fitness ou l’haltérophilie et divers autres sports.

  • Certains sont hypocondriaques et maniaques de la santé.

  • Ils s’inquiètent du moindre défaut et de la détérioration de leur corps. Ils se consacrent à l’amaigrissement par des régimes extrêmes ou à l’embellissement de leur corps par de multiples opérations de chirurgie esthétique.

  • D’autres encore sont des consommateurs compulsifs de compléments alimentaires ou d’extensions corporelles qui, selon eux, augmentent leur irrésistibilité.

Voyons maintenant comme fonctionne leur faux self.

Leur faux self : une image de leur corps

Chez les narcissiques somatiques, le faux self n’est rien d’autre que l’image de leur corps.
Dans l’enfance, ils ont incorporé des messages parentaux dévalorisants. Ils se sont identifiés à la fois au « moi jugeant » et au « moi jugé »

Le moi jugeant leur répète :
« Tu es nul, imparfait, insignifiant, inférieur, incomplet, inutile, incapable. Tu n’arrives pas à te faire remarquer, tu n’es pas à la hauteur, tu ne vaux rien »

Pour compenser l’anxiété générée par ces voix intérieures qu’ils prennent pour réelles, ils se convainquent d’être leur corps. Dès l’adolescence, ils ont remarqué qu’ils pouvaient attirer l’attention et l’admiration des autres grâce à leur physique et à leur apparence. Leur corps devient alors l’instrument de régulation de leur estime de soi, ainsi que la source de la provision narcissique nécessaire pour se sentir exister et renforcer leur égosyntonie.

  • En psychologie l’égosyntonie est une expérience où tous les aspects psychiques d’un individu sont perçus comme cohérents et en accord avec soi-même.

  • Tandis que l’égodystonie se réfère à une expérience subjective où les pensées, les sentiments ou les comportements de cette personne sont perçus comme indésirables ou en conflit avec elle-même.

En mobilisant leurs atouts physiques et leurs jeux de séduction, les narcissiques somatiques obtiennent attention, admiration et flatteries de la part de personnes qui deviennent leurs sources d’approvisionnement narcissique. Ces personnes fonctionnent comme des régulateurs externes de leur estime de soi : en les admirant, le narcissique somatique se vit comme unique, surpuissant et omnipotent.

Leur surévaluation : une confusion ontologique

Puisqu’ils sont dépourvus d’intériorité essentielle, les narcissiques somatiques confondent l’être et le paraître. Ils se surestiment uniquement par leur apparence. Ils deviennent des beaux gosses athlétiques ou des belles filles qui séduisent et instrumentalisent les autres par leurs charmes et par leur maquillage.

Les femmes narcissiques somatiques s’avancent comme des adolescentes éternelles, cherchant sans fin le miroir des regards, l’éclat des yeux qui s’arrêtent sur elles. Elles veulent être attirantes, sexy, irrésistibles, parfaites. Elles veulent être vues, flattées, reconnues, admirées, par leur corps, par leurs vêtements, par ces parures coûteuses, extravagantes, symboliques, qui disent au monde : « regarde-moi, célèbre-moi, consacre-moi ».

Et les hommes, eux aussi, rejouent la même scène. Certains racontent leurs chasses, leurs conquêtes, leurs prouesses, comme si les mots eux-mêmes étaient trophées. D’autres exhibent tatouages et baskets, symboles de leur toute-puissance. Certains enfin goûtent la domination, soumettent, possèdent, rejettent, et recommencent, encore et encore, dans le cycle infini de l’admiration et du rejet.

Vieillesse et déclin : quand l’apparence ne suffit plus

Sam Vaknin signale que, 300 ans avant que le terme « narcissisme » ne soit inventé par Sigmund Freud, un autre grand esprit, William Shakespeare, a décrit dans son sonnet numéro 62 le narcissique somatique de manière parfaite. Voici ce sonnet :

Le péché d’amour-propre possède tous mes yeux,
Et toute mon âme et toutes mes parties.
Il n’y a pas de remède à ce péché.
Il est si profondément ancré dans mon cœur.
Il me semble qu’il n’y a pas de visage aussi gracieux que le mien.
Aucune forme n’est aussi vraie, aucune vérité n’est aussi importante,
Et pour moi, je définis ma propre valeur.
En surpassant tous les autres dans leurs valeurs.
Mais lorsque mon miroir me montre comment je suis en réalité,
Battu par le temps et ridé par l’âge,
Je lis à rebours tout mon amour-propre,
Tant il serait injuste d’avoir de l’amour-propre avec pareil visage.
L’amour-propre est une iniquité.
C’est toi, toi-même, que je loue pour moi-même,
Peignant mon âge avec la beauté de tes jours.

L’effondrement : l’incapacité d’obtenir la provision narcissique

Les narcissiques somatiques s’effondrent lorsque leur corps vieillit, lorsqu’ils sont malades ou victimes d’un accident et qu’ils ne parviennent plus à obtenir les partenaires désirés, ni leur provision narcissique. Tout signe de vieillissement dans leur corps menace la survie de l’image idéale qu’ils se sont construite d’eux-mêmes.

Pendant la période d’effondrement, ils essayent de devenir des narcissiques cérébraux. Mais comme ils ne sont pas brillants intellectuellement, même s’ils se prennent pour des génies exceptionnels, ils reviennent vite à leur sous-type somatique. D’autres deviennent des narcissiques cachés qui vivent par procuration et/ou aux dépens des autres. Nous reviendrons sur ce sujet plus tard.

Leur sexualité : une expérience aliénante

Les narcissiques somatiques sont autoérotiques. Leur énergie libidinale est exclusivement investie dans l’image de leur corps — c’est l’objet libidinal qu’ils adorent. Ils sont incapables de maintenir des relations sexuelles adultes, multidimensionnelles, interactives et chargées d’émotions. Pour eux, l’amour n’est que de plaisir personnel. Ils l’utilisent pour affirmer leur attractivité, leur irrésistibilité et leur jeunesse.

Les narcissiques somatiques sont souvent qualifiés d’accros au sexe lorsqu’ils sont des hommes, et d’histrioniques lorsqu’il s’agit de femmes. Mais les relations sexuelles avec eux sont en quelque sorte une expérience impersonnelle, émotionnellement aliénante et épuisante. Ils accèdent au corps des autres pour se masturber, ainsi que pour montrer leur esthétique physique et leurs exploits sexuels.

Leur activité de séduction devient addictive, car elle leur permet d’exhiber leur image, comme le paon mâle exhibe sa traîne lors de ses parades. Cela les conduit à la conquête rapide de personnes qui, à leurs yeux, sont insignifiantes. S’ils ont un partenaire, ils s’ennuient une fois que les choses deviennent routinières. La routine est par définition contre-narcissique, car celle-ci menace leur surévaluation.

Leur cruauté : un rejet indigne et abject

Les narcissiques somatiques sont dédaigneux et cruels. Lorsqu’ils mettent fin à une relation, ils n’hésitent pas à déformer la vérité au sujet de la personne qu’ils quittent.
Ils inventent des mensonges à son sujet, la blâment et la rejettent comme s’il s’agissait d’un objet. Ils le font avec une grande joie, ayant déjà un(e) autre partenaire en vue, comme si leur ex-partenaire n’avait jamais existé.

Leur absence : une fixation sur le vide

Le narcissique somatique est émotionnellement absent. Il n’est qu’une identité de vide, un abîme sans fond. Il éprouve donc un besoin compulsif de se remplir de distractions superficielles. Il est très doué en acrobaties sociales, mais il n’est pas vraiment présent.
C’est une personne frivole qui a besoin de s’amuser. C’est pourquoi il préfère les conquêtes multiples pour avoir des rapports sexuels amusants, débridés et mécaniques.

Doté d’une certaine légèreté d’esprit, il peut être amusant et sympathique. Il ne manque pas d’astuces pour séduire afin de continuer à aimer sa propre image. Il peut, par exemple, vous donner des massages, vous offrir un bon repas et se servir de son corps pour attirer l’attention des autres dans n’importe quelle situation.

Leur partenaire : un amusement sexuel

Si vous êtes en relation avec un narcissique somatique, sachez qu’il n’éprouve d’amour pour personne, car il n’aime que sa propre image. Vous ne serez pour lui qu’un amusement, une sorte de poupée sexy et chaude ou un(e) partenaire de jeux sexuels, qui doit adorer ses exploits orgasmiques qu’il aime compter.

Ce qu’il veut, c’est que vous acceptiez l’excitation que lui procurent ses fantasmes, en particulier ses fantasmes incestueux. Il communique ouvertement son désir d’être un bébé et vous demande de jouer le rôle de maman. Il/elle peut se sentir très excité(e) par le sexe oral. Pour le satisfaire, vous devez vous soumettre à ses préférences sexuelles, et vous devez faire preuve d’endurance et de persévérance.

Leur test délirant : la sexualité que vous devez accepter

Il attend également que vous passiez son test d’infidélité. Votre réaction va l’exciter énormément parce qu’il cherche en vous le parent constant et fiable qui l’aime inconditionnellement. Mais une fois qu’il vous aura trouvé(e) ennuyeux(euse), il vous jettera comme un jouet usagé.

Leur perversité : un dénigrement sadique

Si vous rencontrez un narcissique somatique sadique, explique Sam Vaknin, il vous demandera de vous soumettre à sa perversité. Le sexe est son moyen de vous utiliser, vous humilier et vous dénigrer. Le narcissique somatique n’a besoin de l’autre que pour se masturber ou pour pratiquer son sadisme.

Son plus grand plaisir consiste à utiliser le corps de l’autre comme un jouet, afin de le casser et le jeter contre le mur. Il peut vous proposer des relations à plusieurs, ou vous dénigrer en faisant de vous sa salope ou une dépravée. Soyez prudent, car les fantasmes sadiques des narcissiques sadiques sont très virulents et pernicieux, voire démoniaques.

Les coachs sportifs : les grands opportunistes

Les narcissiques somatiques exercent souvent des activités professionnelles ou des métiers adaptés à leurs capacités, comme celui de coach sportif. Bien qu’ils aident les autres à améliorer leur forme physique, leur constitution et leur santé, certains utilisent leur position pour attirer des partenaires riches.

Ils adorent les voitures de luxe, les vêtements flashy, les résidences somptueuses, les vols en première classe, les hôtels de luxe, les cartes de crédit, les soirées élégantes, les gadgets high-tech, et les contacts avec des personnalités célèbres que leurs partenaires leur permettent d’acquérir. Tout cela renforce leur image et alimente leurs fantasmes de grandeur.

La psychopathe narcissique : il devient dangereux

Lorsqu’un narcissique somatique adopte les traits distinctifs d’un psychopathe, il s’approprie le corps des autres et le traite comme un jouet à casser ou à abuser de diverses manières. Le sadomasochisme devient une caractéristique principale de ce type de comportement. Lisez cet article : Psychopathes vs narcissiques - leurs différences.

Ces individus se livrent à des actes agressifs et à une sexualité nauséabonde.
Ils sont effrayants jusqu’au bout et représentent un grave danger pour la société ainsi que pour tous ceux qui croisent leur chemin.

Certains sniffent de la cocaïne et se comportent comme des proxénètes. Ils incarnent une caricature grotesque de la masculinité, arborant des muscles difformes, des veines apparentes, et une allure de « paquets de viande » bien tassés. Avec leurs cheveux gominés, leurs tatouages ostentatoires et leurs pantalons trop serrés mettant en valeur l’entrejambe, ils offrent une image typique de ce type de narcissique.

Les narcissiques somatiques devenus prosociaux imposteurs

Le professeur Sam Vaknin explique que l’internet a donné naissance à une nouvelle génération de gourous, de coachs, de conseillers en développement personnel et d’experts autoproclamés, qui sont en réalité de grands manipulateurs, des prosociaux imposteurs. Ils veulent tout : un corps parfait, des conquêtes sexuelles, et le statut d’intellectuels reconnus.

Les conquêtes sexuelles ne suffisent pas à ces mégalomanes délirants et vaniteux.
Vous les voyez sur YouTube, exhibant fièrement leur poitrine gonflée, tout en lavant le cerveau de personnes crédules et naïves, formant ainsi des cultes autour d’eux.
Ce sont des beaux parleurs ou des charlatans qui masquent leur ignorance derrière un flot ininterrompu d’absurdités pour composer des discours séduisants aux oreilles du profane.

Ils se déguisent en savants : les charlatans

D’autres narcissiques somatiques aspirent à devenir des savants comme les narcissiques cérébraux. Dans ce cas, ils pontifient sur des théories bancales, à moitié cuites ou mal informées. Ils émettent des opinions et des analyses dans des domaines aussi divers que la philosophie et la science, sans aucune qualification réelle.

En fait, ils diffusent des informations erronées, car ils n’ont pas les connaissances nécessaires pour expliquer les choses correctement. Ces personnes passent plus de temps dans leurs masturbations mentales, dans les salles de sport ou dans les boîtes de nuit, qu’à étudier sérieusement.

Ils se déguisent en maîtres spirituels : les hypnotiseurs

Certains narcissiques somatiques, lorsqu’ils traversent un état d’effondrement, adoptent un narcissisme caché. Ils se présentent alors comme des sages visionnaires ou des maîtres spirituels, attirant des adeptes souvent en quête de solutions rapides à leurs problèmes.

Ces narcissiques manipulent particulièrement les femmes, les incitant à avoir des relations sexuelles avant de les rejeter avec une grande cruauté, parfois même en présence de leur mari ou partenaire intime, qui reste totalement sous leur emprise.

Un T-shirt pourrait pourtant avertir leur entourage avec un message du type :
« Adore-moi, sers-moi, paye-moi, et j’abuserai de toi volontiers. »
Mais bien sûr, ils ne l’affichent jamais si ouvertement !

Ils se déguisent en guérisseurs chamans

D’autres narcissiques somatiques, devenus des narcissiques cachés de sous-type communautaire, se font passer pour des guérisseurs, des sauveurs altruistes ou des guides spirituels. Ils sont extrêmement dangereux. Sans aucune véritable connaissance, ils utilisent des substances psychoactives pour induire des états de conscience altérés, censés « guérir » leurs clients.

Prétendant incarner la spiritualité et la bienfaisance, ces faux thérapeutes aggravent la fragilité psychique de leurs suiveurs. En recourant à des substances psychoactives, ils pratiquent un véritable décervelage hypnotique – une forme de manipulation mentale connue sous le nom de gaslighting – plongeant leurs victimes dans un état de confusion si profond qu’ils en viennent à souffrir de dépersonnalisation et de déréalisation. Pour savoir ce que sont ces états, cliquez sur ce titre : La dépersonnalisation et la déréalisation.

Véritables prédateurs, ils exploitent leurs adeptes et les ré-traumatisent, dans le seul but d’en extraire leur provision narcissique. Vous trouverez un exemple frappant dans cet article : La provision narcissique.

Pour savoir comme les psychopathes et les narcissiques pratiquent le décervelage hypnotique sans utiliser des drogues, cliquez sur le titre : Le gaslighting.

Ils se déguisent en intellectuels : les escrocs envieux

En s’associant à des narcissiques cérébraux, certains narcissiques somatiques deviennent des escrocs envieux qui s’approprient, plagient ou volent le travail de ces intellectuels et, en se prélassant dans la gloire volée, s’attribuent leur travail.

Pour montrer leur prétendu savoir extraordinaire, ils imitent ou répètent comme des perroquets ce que disent les vrais intellectuels. S’ils manquent d’informations, ils les inventent au fur et à mesure. Mais à moins de se duper eux-mêmes, ils savent bien qu’ils trompent les gens. Pour comprendre leurs motivations profondes cliquez sur ce titre : Psychopathes vs narcissiques - leurs différences.

Leur narcissisme caché : manipulation sous couvert d’expertise

Le narcissique somatique se faisant passer pour un coach, un savant, un gourou ou un intellectuel est cliniquement un narcissique caché. Il dissimule ses véritables intentions. C’est l’un des types de narcissiques les plus dangereux à rencontrer.
Sous des apparences séduisantes et bienveillantes, il manipule et trompe son entourage, jouant sur les failles des autres pour mieux les exploiter.

Bien, vous avez lu mes résumés sur diverses vidéos de Sam Vaknin, et j’espère que cet article vous a aidé à mieux comprendre le fonctionnement des narcissiques classiques (ou manifestes). Mais comprendre ne suffit pas.
La connaissance est une première étape, mais elle doit s’accompagner d’un véritable travail intérieur. À présent, j’aimerais vous parler du chemin personnel que vous pouvez entreprendre pour vous libérer des effets traumatiques de l’abus narcissique.

Une introspection approfondie

Il est crucial de ne pas minimiser l’impact qu’un narcissique manifeste peut avoir sur votre bien-être mental et émotionnel. Il est essentiel, également, de comprendre vos propres réactions face à cette personne, afin de pouvoir sortir de son emprise.

Connaître la dynamique interne du narcissique devient un bouclier important pour se protéger. Mais, plus important encore, c’est de comprendre votre propre dynamique intérieure, ainsi que la transformation qui s’opère en vous à son contact. Il érode progressivement votre fonctionnement et altère votre perception, vous isolant dans l’illusion qu’il est la seule personne qui existe et que, sans lui, vous serez réduit(e) au vide.

Je vous invite à relire cet article, mais cette fois avec une intention différente. Chaque fois qu’un paragraphe résonne avec votre vécu, prenez le temps de noter – dans un cahier dédié à votre introspection – deux éléments essentiels :

  • Sur la page de gauche, notez les faits concrets : les comportements de votre partenaire narcissique, ses attitudes, ses gestes, ses paroles et tout ce qui vous a blessé.

  • Sur la page de droite, écrivez vos réactions, en exprimant vos émotions avec sincérité.

Ce chemin implique une introspection profonde, honnête, parfois douloureuse, mais toujours nécessaire. Il est important de prendre le temps – de vous accorder l’espace – de remplir des pages entières de votre cahier d’introspection. Non pas pour ressasser, mais pour déposer. Pour comprendre, mettre des mots, relier les faits, identifier les schémas, et surtout : retrouver du sens dans ce que vous avez vécu.

L’écriture est un outil de libération

Elle permet de sortir du brouillard, de rompre avec la confusion mentale imposée par la manipulation narcissique. Elle vous permet de vous réapproprier votre histoire, de reprendre le fil de votre vie.

En développant une compréhension approfondie, à la fois des comportements et des motivations du narcissique, mais aussi de votre propre fonctionnement psychique, vous entrez dans un véritable processus de désintrojection – celui de l’image du narcissique et de ses messages funestes, longtemps absorbés et intériorisés.

Il est crucial de faire taire cette voix hostile et critique dans votre esprit, celle que vous avez introjectée (avalée), incorporée (consommé) et intériorisée (digérée). Lisez l’article intitulé La déshypnose des objets internes.

Ensuite, il est tout aussi essentiel d’adopter la position de zéro contact avec cette personne. Consultez l’article intitulé Quitter un narcissique pathologique.

Le travail intérieur ne s’arrête pas là

Il est également crucial d’explorer votre propre identité – peut-être marquée par une dépendance affective, une blessure d’abandon ou un besoin profond de reconnaissance.

Ce processus vous aide à sortir de l’état de confusion et de brouillage intérieur dans lequel vous avez peut-être été plongé(e) depuis l’enfance. Il vous permet de retrouver votre autonomie, de rétablir votre souveraineté intérieure, et de vous reconnecter à la voix profonde et authentique de votre être véritable. C’est là que la Déshypnose Identitaire entre en jeu.

La Déshypnose Identitaire

Imaginez, ne serait-ce qu’un instant, que le pouvoir hypnotique de votre narcissique pathologique — ce pouvoir qui vous tenait sous emprise par le gaslighting, le décervelage insidieux, le silence glacial ou la rage dévastatrice — ait été entièrement démantelé dans votre esprit. Il vous manipulait par ses promesses non tenues, ses excuses creuses ou son éternel rôle de victime, mais les ruminations que cela suscitait en vous se sont enfin dissipées.

Un jour, cette emprise insidieuse que vous aviez introjectée, incorporée, intériorisée… s’est enfin dissipée. Vous avez cessé d’avoir peur de vivre sans lui (ou elle).
Vous avez cessé de vous protéger de ses comportements toxiques.
Vous avez cessé de penser à lui, de ressasser les pires comme les meilleurs souvenirs.
L’objet interne — ce persécuteur idéalisé — qui empoisonnait votre esprit a perdu tout pouvoir. Le chaos émotionnel semé par le narcissique s’est éteint, laissant place à un calme que vous n’osiez plus espérer.

Qui ou quoi a accompli ce miracle ?

La Présence silencieuse de votre être authentique. Celle que vous écoutez désormais, grâce à votre processus d’introspection — à cette Déshypnose Identitaire qui vous reconnecte à vous-même. C’est par cette Présence que vous avez pu désintrojecter le narcissique de votre esprit. Ce processus s’est accompli par amour pour vous-même, sans la moindre trace de culpabilité.

Il est essentiel de comprendre ceci : l’introspection est une pratique qui demande du temps pour porter ses fruits. Mais grâce à elle, vous vous établissez peu à peu dans la paix et le silence intérieur. C’est là le changement le plus profond qu’un être humain puisse opérer : transcender ses objets internes et ses réactions infantiles.

Avec cette transformation, la puissance silencieuse de votre Présence demeure.
Vous n’avez plus aucun contact avec votre ex-partenaire narcissique.
Et ce n’est pas pour le blesser — comme le feraient les narcissiques cachés, passifs-agressifs. Non.

Vous agissez ainsi en accord avec vos valeurs, votre paix intérieure et votre vérité.
C’est une décision sacrée : celle de protéger votre système nerveux, de tourner votre attention vers votre force intérieure, et de préserver votre dignité.
Vous avez enfin commencé à focaliser votre regard sur votre lumière intérieure.
Pour mieux saisir la profondeur de ce processus, je vous invite à consulter l’article L’introspection.

Face à un narcissique pathologique, chaque mot — ou chaque silence — devient une arme de contrôle. Peu importe la clarté de vos explications ou la douceur de votre ton, il détourne la conversation, déforme vos intentions, renverse votre récit. Et soudain, c’est vous qui semblez être la personne cruelle ou folle. Ce jeu de pouvoir vous épuise, érode votre confiance, et renforce son emprise.  Le cercle vicieux se referme, encore et encore, jusqu’à ce que vous doutiez de vous-même… jusqu’à ce que son abus narcissique finisse par fissurer, puis détruire, votre psychisme.
Si vous vivez encore avec lui ou elle, commencez d’abord par créer un espace introspectif vous permettant d’observer comment vos émotions sont ignorées ou invalidées, et comment vos mots, vos tentatives de communication, sont utilisés contre vous.
Dans cet espace, posez-vous doucement les questions suivantes :

  • Qu’est-ce qu’il fait concrètement ? Quels comportements me font souffrir ?

  • Quels mots ou phrases me blessent ? Écrivez tout ce qu’il fait et dit.

Pour chaque réponse, demandez-vous à la troisième personne :

  • Quelle vieille blessure est rouverte par cette attitude ou ce comportement ?

  • Quel « moi » mental réagit à ses attaques et agressions ?

  • Quel âge à ce « moi » et quelles sont ses croyances ?

  • Qu’est-ce que pousse ce « moi » à rechercher l’approbation, la validation et l’amour d’un narcissique ?

  • Quelle est la véritable source de sa souffrance

Ce type de questionnement ouvre la voie à une déshypnose identitaire — un retour à votre être authentique, libre de toute emprise. Cherchez donc les réponses à l’intérieur, sans tenir compte de ce qui fait ou dit votre partenaire narcissique. Elles émergent de votre propre conscience, de votre propre vérité. C’est en vous que réside la clarté.

Le silence qui émerge de ce processus d’introspection brise l’attachement au « moi » souffrant. Et dans ce silence, une vérité s’impose : « Je n’ai plus besoin de t’expliquer quoi que ce soit. Je n’ai plus besoin de prouver quoi que ce soit. Aujourd’hui, j’écoute ma voix intérieure, mes besoins, mes limites. »

Vous commencez alors à entendre la voix de votre être authentique. Une force tranquille, enracinée, qui refuse désormais d’être appâtée par la souffrance ou manipulée par le drame.
Votre Présence silencieuse devient intolérable pour le narcissique.
Elle le prive de ses leviers de contrôle, le rend insignifiant à ses propres yeux.
Mais priver un narcissique de son approvisionnement émotionnel n’est pas un acte de vengeance.
C’est un acte d’amour envers vous-même.
C’est reprendre votre énergie vitale, vous retrouver, évoluer, et aimer pleinement l’être humain que vous êtes réellement.
Pour approfondir ce processus de libération, je vous invite à lire l’article Quitter un narcissique pathologique.

L’alchimie du retour à soi : votre Présence silencieuse

L’attitude la plus puissante face à un narcissique pathologique est maintenir le silence.
Maintenir le silence — non par orgueil ou punition, mais pour vous maintenir en alignement avec votre être authentique — change totalement la dynamique. Vous quittez l’échiquier. Le silence devient votre frontière ferme et ancrée. C’est alors que vous commencez à vous aimer. Cette alchimie intérieure vous permet de faire ce constat : « Je ne ressent plus le besoin de mendier son amour pour exister. Je suis déjà dans mon cœur. »

Cette posture terrifie un narcissique pathologique dont le contrôle, le pouvoir, l’omniscience et la supériorité reposent sur sa capacité à vous faire souffrir. Chaque réaction de votre part renforce son illusion de contrôle. Il construit son identité sur sa capacité à vous faire souffrir, à vous faire réagir. Chaque émotion que vous exprimez, chaque tentative de justification, chaque blessure visible… renforce son illusion de contrôle.

Mais votre Présence silencieuse — stable, ancrée, inaccessible — fissure cette illusion.
Elle le confronte à son vide intérieur, à l’impuissance qu’il cherche désespérément à fuir.
Et c’est là que commence votre véritable pouvoir.

Passer de l’état de réaction à la Présence silencieuse est un voyage conscient. Un chemin lent, parfois sinueux, qui transforme peu à peu le chaos émotionnel en paix intérieure.
Et lorsque vous tombez dans les déclencheurs du narcissique, ce n’est pas un échec.
C’est un signal. Un appel à poursuivre l’introspection, à revenir à vous, à écouter ce qui en vous demande encore à être guéri.

La véritable force ne réside pas dans le contrôle des autres, mais dans la régulation de votre monde intérieur. La douleur se transmute en sagesse.
Vos déclencheurs deviennent des éclats de clarté.
Et vos anciens mécanismes de survie se métamorphosent en Présence.
Grâce à ce processus, vous ne réagissez plus par automatisme : vous choisissez.

Et c’est dans cet espace sacré, au cœur de vous-même, que la transformation prend vie.
Lorsque vous pratiquez l’introspection, vous n’avez plus besoin de vous justifier, ni de vous expliquer face au manipulateur narcissique.
Vous quittez le rôle du mendiant en quête d’amour, de reconnaissance, de validation.
Vous cessez de tendre la main vers ce qui vous blesse.

Vous ne jouez plus. Vous ne réagissez plus. Vous êtes ailleurs — en vous.
Et le geste le plus puissant que vous ayez accompli…
C’est de vous choisir. Sans bruit. Sans justification.
Avec amour.
Et dans cette décision silencieuse, vous êtes devenu(e) intouchable.
Non pas par dureté, mais par intégrité.
Ce qui demeure, c’est votre véritable Présence — stable, enracinée, libre.
Une Présence qui ne cherche plus à convaincre, à plaire ou à survivre.
Une Présence qui sait.
Qui ressent sans limites ce qui est vrai.
Et qui choisit.

Prabhã Calderón