La provision narcissique

17 oct. 2024

Qu’est-ce que la provision narcissique ? Comment les narcissiques la soutirent-ils ? Quel type d’attention recherchent-ils ? Quels sont les pièges de leurs demandes ?

L’éminent professeur en psychologie Sam Vaknin répond à ces questions dans cet article. Depuis 1995, il a emprunté la notion de « narcissistic supply » et l’a introduite telle qu’elle est utilisée aujourd’hui en anglais dans le cadre du narcissisme pathologique.
J’ai traduit « narcissistic supply » par « provision narcissique ». Voici la signification :

La provision narcissique est la « nourriture » psycho-émotionnelle dont dépendent les narcissiques pathologiques pour maintenir un sentiment d’équilibre interne – une forme d’autorégulation, une économie psychique – à travers des sources externes. Cette nourriture correspond à l’attention, l’admiration, la reconnaissance ou la crainte qu’ils reçoivent des autres, et qui leur permet de se sentir équilibrés, spéciaux, uniques, parfaits, omniscients comme des dieux, ou bien tout-puissants et démoniaques.

Les sources de provision narcissique ou d’approvisionnement narcissique, sont les personnes qui fournissent l’attention, l’admiration, la reconnaissance ou la crainte dont les narcissiques ont besoin pour se sentir exister. Inconsciemment, ces individus participent à narcissiser le narcissique qu’ils croisent sur leur chemin, en validant sa perception déformée de lui-même.

Notre besoin d’attention

Nous sommes tous exposés à des compliments. On nous dit que nous sommes adorables, intelligents, aimables, empathiques, ou que nous avons eu un impact dans la vie des autres. Cela nourrit-il pour autant un narcissisme pathologique ? Non. Même les personnes ayant un « style » narcissique ne transforment pas systématiquement les éloges en provision narcissique. Alors, quelle est la différence entre une personne autonome et celle qui s’abandonne à la poursuite obsessionnelle d’une telle provision ? Examinons deux distinctions essentielles.

La première différence : les fantasmes de grandeur

La première différence réside dans la manière dont les narcissiques, et les personnes mentalement équilibrées, réagissent à l’attention et aux éloges.

Bien que les individus dotés d’un narcissisme sain apprécient l’attention et la reconnaissance reçues des autres, ils n’en font pas un besoin obsessionnel. Lorsque les compliments sont fondés sur des faits, la personne équilibrée peut se sentir reconnue, mais elle ne s’en sert jamais pour alimenter une image grandiose de sa propre importance.

En revanche, le narcissique pathologique recherche en permanence l’attention et l’admiration pour valider ses fantasmes de grandeur, souvent en décalage avec la réalité. Même lorsque les compliments sont mérités, il les intègre à ses phantasmes de grandeur et les transforme en provision narcissique. Sa perception de soi, profondément altérée, se nourrit de ces fantasmes, car son narcissisme compense un sentiment d’infériorité enraciné. Les narcissiques poursuivent leur provision narcissique de manière obsessionnelle et coercitive.

Ils imposent à leurs relations interpersonnelles un « fantasme partagé ». Il s’agit d’un fantasme inconscient par lequel ils idéalisent d’abord l’autre, pour ensuite le dévaloriser et le rejeter brutalement. C’est un rituel qui leur procure une forme de plaisir sadique, et renforce leur sentiment illusoire de toute-puissance. Pour en savoir plus, consultez l’article intitulé : Le fantasme partagé des narcissiques.

La deuxième différence : la régulation externalisée

La deuxième différence entre les narcissiques pathologiques et les personnes mentalement équilibrées tient à leur capacité de régulation émotionnelle. Ces dernières disposent d’un système de régulation interne, autonome.

Le narcissique, quant à lui, réagit de manière intense à la provision narcissique, car il dépend de l’attention extérieure pour maintenir son estime de soi et réguler ses émotions. Il a besoin d’une validation constante de la part des autres pour préserver un équilibre intérieur fragile. De ce point de vue, il présente une dynamique similaire à celle des personnes atteintes d’un trouble de la personnalité limite (borderline), qui s’appuient sur l’intimité et la présence d’un partenaire pour éviter d’être submergées par leurs émotions négatives.

Cependant, à la différence de ces dernières, le narcissique ne dépend pas réellement de la présence d’autrui, car il ne reconnaît pas pleinement l’altérité. Il transforme les autres en « objets internes », et ne s’intéresse qu’à ce qu’ils peuvent lui fournir en termes de provision narcissique.

Le besoin urgent des narcissiques de combler leur vide intérieur

La dépendance des narcissiques à l’attention est aussi insatiable que celle d’un toxicomane à sa drogue. En raison de leur « faux self » qui est vide par définition, les narcissiques tentent désespérément de combler leur vide intérieur abyssal. En l’absence de provision narcissique, ils risquent de s’effondrer psychiquement, ou de basculer dans des épisodes de paranoïa.

Cette tendance paranoïaque atteint son paroxysme lorsque la provision narcissique – attention, admiration, validation ou adulation – vient à manquer. Le vide laissé par l’absence de ces stimuli vitaux les pousse à percevoir des ennemis partout. Toute interaction, tout événement, devient alors, à leurs yeux, une attaque personnelle. Pour mieux comprendre leur paranoïa, cliquez ici : La paranoïa des narcissiques.

Leur « faux self » ou « faux moi »

Le « faux self » des narcissiques incarne tout ce qu’ils aspirent à être, mais qu’ils ne sont pas. C’est un « personnage » – ou « hologramme » – purement mental. Ce faux self est le fruit d’abus flagrants et d’une instrumentalisation vécue dans l’enfance, ayant engendré une honte toxique et une insécurité ontologique profonde – ontos, en grec, signifiant « être ».

Incapables d’accéder à leur nature essentielle, leur cœur n’est qu’un trou noir. En raison de leur faux self, ils développent une perception altérée d’eux-mêmes et du monde. Leur faux self les dupe : ils se vivent comme des êtres supérieurs, presque divins. Le philosophe américain Ken Wilber le résume ainsi : « Les narcissiques perçoivent le monde comme une huître, dont ils sont la perle. »

Leur image : une illusion construite de toutes pièces

Pour compenser leur complexe d’infériorité, ainsi que leurs insuffisances réelles ou imaginaires, les narcissiques pathologiques cherchent à impressionner et à fasciner. Pour cela, ils projettent une image d’eux-mêmes grandiose, idéalisée ou divinisée, parfois même démentielle et démoniaque.

C’est ainsi qu’ils captent l’attention et s’assurent l’adulation de ceux qui leur renvoient qu’ils sont beaux et charmants, intelligents et remarquables, ou encore astucieux et dangereux. Ces messages, qui viennent renforcer leur image, sont ensuite convertis en provision narcissique.

Le narcissisme pathologique est contextuel et relationnel

Les recherches en psychologie clinique montrent que, lorsqu’un narcissique est isolé de ses sources potentielles de provision narcissique – en particulier de son ou sa partenaire intime qui le narcissise – il cesse temporairement de manifester des traits narcissiques.

C’est précisément ce qui se produit chez les narcissiques pathologiques en milieu carcéral. Ils peuvent même commencer à manifester une forme d’empathie psychoaffective. Pourquoi ? Parce qu’en prison, le prix à payer pour maintenir un comportement narcissique est très élevé : il met en péril leur santé psychique, physique et leur longévité.

Dans ce contexte, les narcissiques modifient leur comportement au point de devenir indétectables pour un psychiatre ou un psychologue. Ils peuvent alors adopter un narcissisme plus discret, dit sous-clinique, marqué par des traits manipulateurs ou machiavéliques, mais moins visibles. Pourtant, une fois libérés, ils retrouvent rapidement leurs schémas relationnels habituels.

Explorons maintenant les deux types de provision narcissique.

Les deux types de provision narcissique

Pour qu’une provision narcissique soit perçue comme valable et réelle, les narcissiques ont besoin de deux types d’approvisionnement : la provision primaire et la provision secondaire.

  • La provision primaire est de nature sociale : elle repose sur l’admiration, l’attention publique, le statut ou la reconnaissance.

  • La provision secondaire, quant à elle, provient de la proximité affective et du rôle de soutien que jouent les personnes de leur entourage immédiat, ainsi que de leurs souvenirs.

Ces deux formes de provision agissent comme un carburant à haut indice d’octane, destiné à alimenter leur « véhicule narcissique » – une métaphore proposée par Sam Vaknin en 1997. Pour obtenir ce carburant, les narcissiques doivent attirer différentes formes d’attention.
Voyons à présent la distinction entre attention positive et attention négative.

L’attention positive

L’attention positive renforce la survalorisation que les narcissiques entretiennent d’eux-mêmes. Nombre d’entre eux la suscitent par un charme enfantin, réveillant chez autrui – notamment chez les personnes en dépendance affective – un instinct de protection maternel.

D’autres captent cette attention grâce à leur prestige ou leur pouvoir financier. Par exemple, certains chimistes narcissiques créent des substances toxiques déguisées en produits inoffensifs. Bien qu’elles causent des dégâts écologiques majeurs ou de graves effets secondaires médicaux, ces individus sont souvent admirés pour leur réussite.

De même, certains informaticiens narcissiques conçoivent des logiciels procurant une gratification immédiate. Ils sont loués pour leur génie, alors même que leurs créations entraînent des addictions et des dépressions chroniques, notamment chez les jeunes.

Les narcissiques savent ce qu’ils font – mais demeurent inconscients du fait qu’ils sont psychiquement brisés. Leur besoin d’attention, d’admiration et de provision narcissique prévaut sur la solidarité humaine, l’équilibre planétaire, ou la santé physique et mentale des autres.

L’attention négative

Les narcissiques attirent l’attention négative en générant la peur. Ils aiment être craints, mais détestent être haïs. Être craint réactive chez eux une sensation enivrante de toute-puissance, surtout lorsqu’ils perçoivent l’horreur ou la répulsion sur le visage de ceux qui devinent qu’ils sont capables de tout.

Les patriarches narcissiques, par exemple, instaurent un climat de terreur au sein de leur famille. Leur besoin de susciter la crainte rappelle celui des tueurs en série : c’est dans cette domination psychique qu’ils se sentent vainqueurs, tout-puissants, omniscients, et paradoxalement, émotionnellement équilibrés.

La plupart des narcissiques pathologiques prennent un plaisir réel à faire souffrir. Cette souffrance infligée devient une forme de provision narcissique sadique. Ingénieux, durs, capricieux, insondables et sans scrupules, ils manipulent autrui pour l’amener à agir contre sa volonté – à l’instar des escrocs, mais aussi de certains politiciens ou chefs d’État narcissiques.

Ils dissimulent leur faible estime de soi

Comme nous l’avons vu, les narcissiques dépendent d’une validation externe pour soutenir leur estime personnelle. Ils ont besoin de l’attention, de l’admiration et de l’adulation d’autrui pour maintenir un équilibre intérieur précaire, grâce auquel ils se sentent supérieurs, uniques, omniscients et tout-puissants. Ils attendent des autres qu’on leur dise qu’ils sont des génies, parfaits, beaux, admirables, extraordinaires, intelligents, omniscients – et infaillibles dans leur propre perception d’eux-mêmes.

En transformant ces messages en provision narcissique, ils valident, de manière décisive, la réalité subjective de leur « faux self », qui représente le dieu qu’ils ont imaginé dans l’enfance, pour se protéger de l’abus et de l’instrumentalisation de leurs parents.
Ayant restés bloqués dans l’enfance, lorsqu’ils n’obtiennent pas leur provision – qu’elle prenne la forme de l’adulation ou de la crainte – ils s’effondrent, totalement ou partiellement.

L’effondrement total des narcissiques

Privés de provision narcissique, les narcissiques s’effondrent. Ils subissent un déséquilibre intérieur profond, pouvant aller jusqu’à la dépression.

Cet effondrement total correspond à la désactivation de leur « faux self ». Lorsque ce masque identitaire s’éteint, ils ne peuvent plus fonctionner, car leur amour-propre – qui n’est en réalité qu’un amour pour leur propre image – disparaît avec lui.

Leur réceptivité aux stimuli extérieurs se bloque, les laissant dans une indifférence glaciale. Ils souffrent alors d’une inhibition de l’action : se sentant anéantis, ils perdent tout contact avec leurs objectifs.

Ils perdent également leur cathexis – c’est-à-dire leur capacité à s’investir émotionnellement dans quelque chose. Leur énergie libidinale, autrefois dirigée vers eux-mêmes et leur image grandiose, se dissipe. Les autres cessent alors d’exister pour eux.

En cas d’agression, ils ne réagissent plus : ils ne se défendent pas, n’imposent aucune limite, sombrant dans un vide intérieur absolu. Si, en plus, ils se sentent mortifiés, humiliés ou envahis par la honte, ils peuvent en venir au suicide. Ils se désintègrent alors comme des vampires ou des zombies dans un film d’horreur.

Cette désintégration est vécue comme une menace existentielle. C’est pourquoi ils feront tout pour éviter l’effondrement. À l’image de toxicomanes, leur seule issue devient la quête frénétique de leur drogue : la provision narcissique – celle qui alimente leur autoévaluation délirante et leur auto-adulation.

L’effondrement partiel chronique

Les mêmes symptômes que lors d’un effondrement total peuvent apparaître dans un effondrement partiel, mais de façon plus atténuée et temporaire. Ce type d’effondrement conduit fréquemment à une transition vers un autre sous-type narcissique, dans une tentative de réorganisation psychique.

Par exemple, un narcissique somatique peut temporairement adopter les traits d’un narcissique caché, tout en essayant de devenir un narcissique cérébral. Inversement, un narcissique cérébral peut développer un comportement somatique lorsqu’il entre en quête d’une partenaire intime. Ainsi, les narcissiques manifestes tentent de gérer et camoufler leur effondrement. Consultez l’article intitulé : Les narcissiques classiques.

Les narcissiques cachés, quant à eux, vivent en permanence dans un état d’effondrement partiel chronique. Pourquoi ? Parce qu’ils ne parviennent pas à soutirer leur provision narcissique comme le font les narcissiques classiques. Pour comprendre leur fonctionnement, lisez l’article intitulé : Les narcissiques cachés.

Pourquoi les narcissiques s’effondrent-ils ?

Les narcissiques s’effondrent parce qu’ils souffrent d’une insécurité extrême, car, enfants, leurs parents ne les ont jamais vus tels qu’ils étaient et les ont souvent maltraités. Ils les ont fait se sentir comme des « objets mauvais », qui ne méritaient pas d’être aimés.

L’amour qu’ils recevaient était conditionné à leurs performances ou à un rôle qui leur avait été imposé. Mais ils n’ont jamais ressenti de véritable amour, et cela leur a brisé le cœur.

Ils se sont donc réfugiés dans leur monde imaginaire, où une divinité parfaite les protégeait. Peu à peu, cette divinité grandiose a pris leur place pour devenir leur « faux self ». C’est ainsi qu’ils se sont oubliés et ont renié leur être authentique.

La mortification narcissique

Les narcissiques ont besoin de leur faux self pour se sentir exister. Si leur faux self est remis en cause, s’ils sont critiqués au sujet des comportements qu’ils ne peuvent pas nier, ou s’ils sont confrontés à une réalité qu’ils ne peuvent plus réprimer, ils ressentent une humiliation et une honte toxique, qui, ensemble, constituent une « mortification narcissique ».

La blessure narcissique est simplement un jugement ou une attaque inattendue que le narcissique peut gérer, parce que celui-ci est contextuel.

La mortification narcissique, quant à elle, est totalement inattendue, brutale et bien plus traumatisante qu’une simple blessure narcissique. Il s’agit d’une humiliation ou d’un dénigrement – souvent public – où le narcissique se voit exposé et démasqué.

Ce type d’attaque génère une honte toxique qui englobe la totalité de son être : son faux self, son récit grandiose, et tous les aspects de son identité construite. C’est une honte extrême, systémique, généralisée – un effondrement symbolique du personnage qu’il incarne. L’humiliation ou le dénigrement deviennent insupportables, car ceux-ci contredisent les prétentions et l’existence même de son « faux self » grandiose.

Pire encore, si le dénigrement est public, s’il est exprimé devant des personnes que le narcissique valorise ou qu’il cherche à impressionner, car elles représentent des sources potentielles de provision narcissique, comme son patron ou un juge devant le tribunal.

Ainsi, si vous discutez avec un narcissique et que, devant une foule ou sa famille, vous l’exposez pour ce qu’il est – une fraude, un imposteur, un prétentieux – et que vous le faites de manière totalement inattendue, cela peut entraîner une mortification dans la grande majorité des cas. À ce moment-là, ses défenses sont désactivées.

Les conséquences de la mortification narcissique

Les conséquences de la blessure narcissique et de la mortification narcissique sont très différentes. La blessure narcissique est généralement surmontée en quelques minutes ou heures, principalement par la dévalorisation de la source de l’attaque.

En revanche, la mortification narcissique constitue un défi si profond pour la narration que le narcissique entretient à son sujet, qu’elle génère un état connu sous le nom de décompensation.

Toutes les défenses du narcissique s’effondrent les unes après les autres, le laissant sans défense, « sans peau », comme un borderline, émotionnellement déréglé et susceptible de développer des idées suicidaires.

Dans ce cas, le narcissique est confronté à son vide, à sa perception déformée de lui-même, à ses distorsions cognitives, à ses fabulations et à ses fantasmes grandioses.

Lorsque ces défenses sont désactivées dans le processus de mortification narcissique, il ressent la honte toxique et l’impuissance de son enfance et, par conséquent, le sentiment de vivre à la merci de quelqu’un.

Les solutions du narcissique à sa mortification

Le narcissique peut choisir deux solutions : le blâme, qui est attribué aux autres, et le contrôle imaginaire, qui est une solution interne.

Par le blâme, il se dit : « Ceux qui me mortifient sont mauvais et malveillants. Ils m’envient, donc ils conspirent contre moi. »

Par le contrôle imaginaire, il se dit : « Je suis le marionnettiste qui tire les fils ; ils sont mes prolongements, je les fais se comporter ainsi. » Cela lui permet de reprendre le contrôle et de retrouver le sens de sa grandeur.

L’état régressif : le narcissique n’est qu’un enfant

Le narcissique souffre des effets traumatiques de son enfance, mais il refuse la thérapie car, selon lui, la seule façon de soulager son anxiété chronique est d’obtenir sa dose quotidienne d’attention, pour compenser ses insuffisances et affirmer son sentiment de supériorité et de perfection divine.

Pour cette raison, il évite les jugements, l’humiliation et le dénigrement en construisant une image parfaite, unique, spéciale, omnisciente, toute-puissante, adéquate et compétente, digne d’être aimée. Cependant, même dans ce cas, son besoin de provision narcissique persiste, car il est essentiellement vide. Dépourvu de la plupart de fonctions essentielles de l’ego, il transforme les autres en « objets internes » qu’il instrumentalise à sa guise.

Qu’est-ce que l’ego ?

L’ego est une instance psychologique définie par Sigmund Freud, dont les fonctions principales incluent l’examen ou vérification de la réalité, la distinction entre nos objets internes et externes, le contrôle de nos impulsions, la régulation de nos émotions, nos mécanismes de défense sains, la cognition, le jugement, le processus de synthèse, ainsi que le récit de notre vie.

  • L’ego nous empêche de confondre nos « objets internes », qui sont purement mentaux, avec les objets externes, c’est-à-dire les personnes situées dans la réalité extérieure.

  • Grâce à un ego fonctionnel, nous respectons nos limites psychoaffectives et reconnaissons l’altérité et les limites des autres.

Cependant, les narcissiques ne peuvent pas respecter l’altérité des autres, car leur ego est déficient, voire inexistant. Par conséquent, ils transforment les autres en « objets internes » qu’ils utilisent comme sources de provision narcissique.
Cela les rassure, car un « objet interne » ne peut ni les abandonner ni les trahir, étant donné qu’ils le contrôlent et le manipulent à leur guise.
Et justement parce qu’ils manquent d’un ego solide, leur besoin d’attention des autres devient une obsession compulsive. Lisez l’article intitulé Les fonctions cruciales de l’ego.

Voyons maintenant comment cela se manifeste.

La quête compulsive de provision narcissique

Tout comme l’alcool pour l’alcoolique ou la cocaïne pour le toxicomane, l’attention des autres est le besoin compulsif et obsessionnel du narcissique pathologique. Ainsi, sa principale activité devient la recherche incessante de sources de provision narcissique.

Le narcissique pathologique est un véritable drogué, et ses sources d’approvisionnement sont ses « revendeurs ». Il est extrêmement habile pour extraire sa provision narcissique par tous les moyens, et dans toutes les circonstances. Il peut la puiser aussi bien dans son entourage humain que dans ses possessions matérielles.

Par exemple, il peut rejoindre un groupe ou un club très respecté, se présentant dans une voiture de luxe. Même sa charité est ostentatoire, car il aime être perçu comme altruiste et vertueux. Sa charité devient alors une source supplémentaire de provision narcissique.

Le narcissique déteste ses sources d’approvisionnement

Il peut tenir une conférence et affirmer que votre régulation interne ne dépend pas de la cohérence de vos croyances, mais de l’amour que vous recevez des autres.

Et pourtant, bien qu’il s’accroche aux personnes qui lui fournissent l’attention et la provision narcissique dont il a besoin pour exister, il les déteste inconsciemment. Il leur en veut, car il se méprise lui-même pour cette dépendance.

Devoir compter sur les autres pour se sentir exister est profondément humiliant pour lui. Cela engendre une dynamique ambivalente, marquée par des alternances entre rapprochement et évitement.

Chaque fois que le narcissique interagit avec une source d’approvisionnement, ses fantasmes deviennent virulents, pernicieux, voire abjects. Il adopte alors une posture quasi psychopathique, se sentant tout-puissant, invincible, invulnérable, et immunisé contre les conséquences de ses choix et de ses actes.

Son arrogance et son mépris trahissent une prépotence qu’il doit constamment réaffirmer en s’entourant de ceux qu’il considère comme inférieurs ou insignifiants.

D’un côté, il se perçoit comme un dieu. De l’autre, il dépend – de façon humiliante – de personnes qu’il juge indignes de lui, pour maintenir l’image grandiose qu’il a de lui-même. Telle est la contradiction fondamentale à laquelle il est confronté. Quelle est sa solution ? Comment résout-il ce dilemme ?

L’idéalisation : la solution du narcissique à cette énigme

Le narcissique se dit :
« Si je suis Dieu, alors les autres humains sont des déchets. Mais s’ils ne valent rien, je ne peux pas obtenir d’eux la provision narcissique qui prouverait ma grandeur. Il me faut donc isoler un petit groupe d’élus. Ils ne sont pas à ma hauteur, certes, mais ils sont supérieurs au reste de l’humanité. Ce sont eux que je choisis comme sources d’approvisionnement. Je leur accorde le privilège de me nourrir. Désormais, ils font partie de mon cercle intime, car je peux les contrôler. »

Ainsi, il tente de résoudre sa contradiction en extrayant sa provision narcissique d’un groupe restreint de personnes qu’il juge un peu moins insignifiantes que les autres. Ces individus deviennent le pivot autour duquel il construit son « fantasme partagé » : un fantasme inconscient qui consiste à utiliser les autres pour se détacher de sa mère – en passant par les phases d’idéalisation, de dévalorisation, puis de cruel rejet.

S’il s’attache autant à ses sources d’approvisionnement, c’est parce qu’il vit dans un état de paranoïa latente, cherchant sans cesse à échapper au traumatisme de son enfance – une expérience perçue comme fondamentalement hostile, blessante et meurtrière. Voyons à présent comment cette paranoïa influence son comportement.

L’évitement de la réalité : une paranoïa masquée

Le narcissique perçoit le monde comme hostile, capricieux, arbitraire et imprévisible, car durant son enfance, il a été exposé à des parents égocentriques, déprimés ou absents, qui l’ont contrôlé, parentifié et instrumentalisé. Ou bien, il a été victime de maltraitances de la part d’autres adultes. Il en a donc conclu non seulement que la réalité est meurtrière, effrayante et impitoyable, mais aussi qu’il est lui-même un « mauvais objet ».

Se percevoir comme un « mauvais objet » revient à se sentir incorrect, imparfait, nul, incapable, dévalorisé, inadéquat, inexistant, seul, incomplet, impuissant et indigne d’amour.

Pour fuir cette réalité perçue comme intolérable, il se réfugie dans sa provision narcissique. Celle-ci lui sert de défense contre le « mauvais objet interne » qu’il croit être, mais aussi contre la vie elle-même. La quête d’attention fonctionne comme un bouclier contre la brutalité du monde, même si elle le condamne à vivre par procuration – à travers le regard et la perception d’autrui.

Il se protège ainsi, car il anticipe constamment le pire, et sombre souvent dans le catastrophisme. C’est pourquoi la plupart des narcissiques développent une forme de paranoïa. Pour plus d’information à ce sujet, cliquez ici : La paranoïa des narcissiques.

Cette paranoïa fait partie intégrante de leur survie en tant que narcissiques. Leur provision narcissique restaure l’ordre dans leur personnalité chaotique et ramène un sentiment de prévisibilité à leur folie.

Une fois qu’ils ont « consommé » leur provision narcissique, ils se sentent restaurés. Ils estiment alors que le monde est tel qu’il devrait être, et qu’ils peuvent à nouveau compter sur leur fonctionnalité. De ce fait, vous pouvez imaginer qu’ils sont constamment occupés à chercher de nouvelles sources d’approvisionnement.

La préoccupation des narcissiques

Le narcissique est préoccupé et obsédé par l’obtention de sa provision narcissique. Qui va la lui fournir ? Comment va-t-il la sécuriser ? Comment va-t-il éviter les interruptions dans sa chaîne d’approvisionnement ? Et ainsi de suite. Il contrôle donc ses sources d’approvisionnement d’une manière ou d’une autre.

Ces sources incluent essentiellement sa famille, ses enfants, son/sa partenaire intime, ses amis, ses collaborateurs, etc. Il existe également des sources sociales, comme les réseaux sociaux sur Internet. Ces sources d’approvisionnement lui fournissent trois types d’attention. Voyons lesquelles…

L’attention dynamisante

Ce type d’attention renforce le faux self du narcissique, le propulse vers des sphères supérieures et lui permet d’obtenir sa véritable provision narcissique.

Les messages d’admiration qu’il reçoit doivent être formulés de manière convaincante pour qu’il en reconnaisse la véracité. Ils doivent provenir de personnes qu’il valorise. Ou bien, ses messages doivent être en adéquation avec son image grandiose, sa mission cosmique, son omniscience ou sa perfection divine.

Par exemple, si un narcissique moralisateur se perçoit comme un éducateur aidant sa partenaire intime à évoluer vers la perfection divine, il reçoit indirectement une attention dynamisante, car il se sent omniscient.

L’attention sociale

Pour maintenir son équilibre, le narcissique a besoin d’une attention sociale, qui lui procure une réelle provision narcissique primaire. Celle-ci se présente sous deux formes : inanimée et animée.

L’attention sociale inanimée provient des réseaux sociaux comme Instagram. Cependant, le narcissique a aussi besoin d’une attention sociale plus animée.

La célébrité, la notoriété et la publicité, qu’elles soient obtenues pour des raisons positives ou négatives, lui permettent d’attirer l’attention du public.
S’il est célèbre, il peut afficher sa notoriété dans les médias, son statut social ou ses compétences dans divers domaines (scientifiques, technologiques, artistiques, etc.). L’impression produite sur son public devient alors une source de réelle provision narcissique primaire.

C’est pourquoi, à l’exception des narcissiques cachés, la plupart des narcissiques sont sociaux et/ou communautaires. Seuls les autres peuvent leur fournir une réelle provision narcissique, les empêchant ainsi de connaître un effondrement douloureux.

L’attention personnelle

Ce type d’attention stimule le narcissique à travers les sources d’approvisionnement ancrées dans sa vie quotidienne : son/sa partenaire, sa famille, ses amis, ses associés, et les audiences qui l’écoutent dans le cadre de sa profession.

Il peut instrumentaliser sa famille pour renforcer son image. Ostensiblement afficher sa richesse, posséder des biens, avoir un sens de liberté anarchique, faire partie d’une affiliation, jouir d’une bonne réputation, arborer son statut ou évoluer dans un espace entrepreneurial qui nourrit son narcissisme, tout cela contribue à sa véritable provision narcissique secondaire.

Les rôles émergents

Les narcissiques cherchent, inconsciemment, à détruire l’intégrité psychique de leurs victimes, en les transformant en objets internes qu’ils peuvent contrôler et exploiter, afin d’en extraire leur provision narcissique.

  • Ils avalent les autres, les consomment, les digèrent et les assimilent.

  • Ce qui correspond aux mécanismes connus en psychologie sous les termes d’introjection (avaler), d’incorporation (consommer), d’internalisation (digérer) et d’identification (assimiler).

Ils créent une fusion asymétrique avec leurs victimes, car ils abolissent leur existence indépendante en les convertissant en objets internes. De cette manière, ils peuvent les contrôler en toute sécurité, pour réduire leur angoisse de l’abandon.

La production théâtrale des narcissiques

Lorsqu’ils interagissent avec leurs sources d’approvisionnement, ils sont obsédés par leurs fantasmes pernicieux, souvent diaboliques.
Dans leur production théâtrale délirante, chaque narcissique joue un rôle et s’attend à ce que tout son entourage en joue également.
Le narcissique attribue des récits à son/sa partenaire, ses enfants, ses amis, ses collègues, ses associés ou ses employés, ainsi qu’à ses clients.
En fonction de leur caractère et de la place qu’ils occupent dans son « paracosme » ou monde imaginaire infantile, il leur impose un rôle qu’il ajuste à sa convenance.
De leur point de vue, leurs sources de provision narcissique devraient se sentir honorées d’interagir avec eux ou de vivre à leurs côtés, car ils se considèrent comme des êtres divins.

Voici un exemple frappant :

L’exemple suivant est inspiré du témoignage d’une de mes clientes, qui a été manipulée par une psychologue narcissique se présentant comme une « femme chamane ».
Cette dernière utilise des substances psychoactives pour garder un groupe sous son emprise, les convainquant qu’elle est une déesse omnisciente.
Elle idéalise certains membres du groupe, puis les dévalorise selon ses besoins compulsifs.
En administrant des plantes psychoactives telles que l’ayahuasca, elle maintient les participants dans un état de régression, les empêchant d’examiner la réalité de manière objective.
Les membres du groupe sont alors plongés dans un état de déréalisation et de dépersonnalisation, et finissent par croire aveuglément à tout ce qu’elle leur dit, comme s’ils étaient ses enfants.

Par exemple, elle affirme à l’une des participantes qu’elle était une ancienne Reine qui se réincarnait depuis des générations pour transmettre toujours le même message de paix entre les hommes.
À une autre femme, déjà déréalisée, elle a dit pendant la séance hallucinatoire : « J’aimerais mourir dans tes bras, mais c’est impossible, car tu es trop fragile et anxieuse. » La cliente a ainsi perdu le plus grand honneur : celui d’accompagner cette Déesse pendant son passage momentané vers l’au-delà.
Pour prouver son omniscience, cette psychologue affirme que son âme se réincarne depuis le début des temps à travers le monde, notamment en Égypte, et qu’elle se souvient de toutes ses vies passées, chacune plus extraordinaire que la précédente.

Ce type de manipulation, fondée sur la pensée magique, se poursuit, plongeant tous les participants dans un état de profonde confusion et d’épuisement psychologique.
Après deux ou trois ans à croire en ses fantasmes, issus de sa réalité virtuelle soi-disant « spirituelle », tous finissent par se sentir bien plus mal qu’au début de cette « thérapie » extraordinaire.

  • Les faux thérapeutes, se faisant passer pour des sauveurs altruistes et prétendant incarner la spiritualité et la bienfaisance, aggravent leur manipulation par l’usage de substances psychoactives.

  • Ils sont en réalité des narcissiques masqués de sous-type communautaire, extrêmement dangereux. Véritables prédateurs, ils exploitent leurs adeptes et les ré-traumatisent. Lisez l’article intitulé : Les narcissiques cachés.

Cet exemple n’est nullement exagéré. C’est exactement ce que certains narcissiques font avec leurs propres enfants, bien sûr sans recourir aux substances psychoactives.

  • Leur abus est extrêmement pernicieux : ils entraînent leurs enfants à ignorer leur réalité essentielle et à occuper l’espace illusoire qu’ils ont eux-mêmes créé.

  • Ce faisant, ils brisent les frontières psychoaffectives de leurs enfants, qui peinent ensuite à acquérir leur individualité et à évoluer vers leur autonomie.

Continuons maintenant avec mon résumé des enseignements de Sam Vaknin.

L’équation de la provision narcissique

Plus les narcissiques attirent l’attention, qu’elle soit positive ou négative, plus ils se sentent parfaits, vertueux, omniscients, uniques, supérieurs, tout-puissants et invincibles, comme des dieux. Ce sont leurs distorsions cognitives, par lesquelles ils compensent leur complexe d’infériorité et leurs insuffisances. Pour cette raison, le Professeur Sam Vaknin affirme que le narcissisme pathologique est compensatoire.

Si cela est le cas, comment votre narcissique vous instrumentalise-t-il ? Que vous demande-t-il ? Comment vous maltraite-t-il ? Voyons les réponses du Professeur.

Votre partenaire intime… est-il narcissique ?

Si vous cohabitez avec un narcissique, tout ce que vous avez lu antérieurement s’applique à vos interactions. Il ne s’intéresse pas à vos sentiments, à la manière dont s’est passée votre journée, ni à savoir si vous êtes déprimé(e) ou heureux(se), malade ou en bonne santé. Il se fiche de vos états d’âme.

Ce qui compte pour lui, ce sont les attentions qu’il reçoit de vous, car la provision narcissique qu’il en tire est son oxygène. Il s’intéresse à la manière dont vous contribuez à renforcer son image à travers vos louanges, compliments et applaudissements, voire à la peur que vous pourriez éprouver à son égard.

Il concentre toute son attention sur la provision narcissique qu’il obtient de vos interactions, car il a besoin de confirmer l’existence de son image.

Son activité de contrôle est absolue

Qu’il soit un narcissique classique ou un narcissique caché passif-agressif, il anticipe toujours l’abandon. Il doit donc vous contrôler !

Il vous contrôle en vous transformant en objet interne, afin de vous absorber, vous digérer, vous consommer et vous assimiler en s’emparant de votre vie. Il s’agit d’un contrôle hostile, car il abolit votre existence indépendante.

En détruisant votre intégrité psychique, il se sent rassuré et stable, car l’objet interne que vous devenez pour lui répond à ses besoins. Il vous dérobe ainsi votre altérité, votre joie de vivre, le désir d’avoir des contacts sociaux, et même la capacité d’être efficace dans votre travail ou activité professionnelle.

Le narcissique veut votre mort

Dans le film Psychose réalisé par Alfred Hitchcock, un meurtrier tue sa mère et la momifie pour s’occuper d’elle pour toujours. C’est ce que fait votre narcissique :

Si vous êtes un(e) mort(e) vivant(e), vous ne risquez pas de rompre avec lui, de partir, de l’abandonner, de vous séparer de lui, ou de l’oublier. Pour lui, vous n’êtes qu’un anxiolytique. En vous réduisant à l’état de zombie, l’anxiété qu’il ressent face à l’intimité que vous lui demandez s’apaise enfin, tout comme sa peur de l’abandon et de la séparation.

Pourquoi ? Parce que si vous ne lui demandez pas d’intimité, vous êtes devenu(e) un objet contrôlable à volonté, une sorte de mère de substitution. De plus, vous devriez être reconnaissant(e) de cohabiter en tant que zombie avec une personne qui se croit semblable à Dieu !

Ses comportements sont donc proches de la psychose. Il a l’impression que la justice est rétablie lorsqu’il soutire sa provision narcissique de cette manière. Pourquoi le narcissique se conduit-il ainsi ? Voyons la réponse de Sam Vaknin.

Les sources de provision narcissique : des objets contrôlables

Les narcissiques ressentent un besoin constant d’être aimés, car ils souffrent d’une angoisse d’abandon. Alors, pourquoi sont-ils si inconstants dans la préservation de leurs relations ?

La raison en est qu’ils ne supportent ni l’altérité, ni l’autonomie des autres, ni l’intimité, ni la séparation. Par peur de l’abandon, ils transforment les autres en objets internes « contrôlables ». Ainsi, leurs partenaires deviennent leurs otages. De leur point de vue, ces objets internes ne pourront jamais les abandonner, les trahir, se détacher d’eux ou les laisser tomber.

Comme vous pouvez le constater, cela reflète le comportement d’un petit enfant effrayé, vivant dans un paradoxe déchirant :

D’un côté, votre narcissique a besoin d’être aimé ; et de l’autre, il aspire à s’individualiser et à se séparer de sa mère pour atteindre son autonomie et sa souveraineté. Il fait ainsi de vous une figure maternelle dont il cherche à se détacher. C’est son « fantasme partagé ». Ce fantasme découle de ses introjections.

Les introjections qui font les narcissiques

Les narcissiques classiques associent l’amour à la performance, car le peu d’amour qu’ils ont reçu de leurs parents était conditionné à leurs performances physiques ou intellectuelles.

Le message implicite d’une mère qui façonne l’enfant qui deviendra narcissique est : « Pour que je t’aime, tu dois me prouver que tu as quelque chose à m’offrir. » Les messages des deux parents sont principalement négatifs et remplis de conditions.

Ainsi, l’enfant développe une perception dévalorisée de lui-même. En faisant l’introjection des messages négatifs qui le font se sentir mauvais, incompétent, indigne, inadéquat, nul et laid, il refoule la honte toxique qui le ronge de l’intérieur.

Malgré ses efforts pour progresser et s’intégrer au monde qui l’entoure, il croit qu’il ne sera jamais à la hauteur des attentes parentales. Il reste donc figé dans l’enfance et finit par confondre l’amour avec l’abus dont il était victime.

L’activité compensatoire de tout narcissique

Pour compenser sa honte toxique et son complexe d’infériorité à l’âge adulte, le narcissique doit absorber sa dose quotidienne d’attention et d’admiration, afin de se convaincre qu’il est parfait. Il a besoin d’être perçu comme un « bon objet » pour mériter l’amour.

Il se dit : « Grâce à mes compétences, je ne serai pas critiqué, analysé ou contredit. Je serai aimé parce que je suis parfait. »

Le narcissique compense le « mauvais objet » qu’il croit être par la provision narcissique, qui le rend extraordinaire, un « bon objet ». Son narcissisme est donc de nature compensatoire.

L’exploitation d’autrui : une tentative de combler l’envie dévorante

Si vous avez étudié l’article sur les narcissiques classiques, vous savez que leur exploitation des autres découle de leur jalousie extrême et de leur envie corrosive. Vous pouvez lire l’article sur le sujet en cliquant ici : Les narcissiques classiques.

Cependant, leurs émotions, qu’elles soient positives ou négatives, sont directement influencées par la présence ou l’absence d’une réelle provision narcissique.
Un manque de cette provision déclenche en eux des émotions négatives, telles que la rage ou l’envie corrosive. À l’inverse, une véritable provision narcissique génère une euphorie intense éphémère.

Lorsqu’un narcissique reçoit sa « dose », particulièrement de la part d’une personne qu’il considère comme son modèle ou son avatar idéalisé, il éprouve une euphorie narcissique comparable à celle qu’un cocaïnomane ressent en consommant de la cocaïne.

À noter entre parenthèses : les consommateurs réguliers de cocaïne développent des tendances grandioses similaires à celles des narcissiques. Ces tendances s’intensifient au fur et à mesure que leur consommation devient prolongée et régulière.

Voyons maintenant comment un narcissique envieux exploite les modèles qu’il idéalise.

L’envie passive-agressive : l’appropriation de ses modèles

Le narcissique idéalise les personnes qui jouent un rôle dans sa vie, lesquelles deviennent ses modèles et ses sources de provision narcissique. S’il ne ressent pas une envie corrosive extrême, il imite le modèle choisi, s’en approprie les caractéristiques, et cherche à le surpasser. Le problème réside dans sa méthode.

  • Il n’étudie pas avec la rigueur de son modèle. Il ne possède pas son expertise.

  • Il ne mène pas de recherches approfondies comme le ferait celui qu’il imite.

  • Il se contente d’informations superficielles pour se raconter la fable qu’il est un connaisseur en la matière.

  • Il ne va jamais au fond des choses, restant un dilettante, un amateur. Il prétend savoir, mais, en réalité, il ne sait rien.

  • Il grappille quelques bribes d’informations ou des fragments ici et là, souvent mal compris ou hors contexte, pour se persuader d’être devenu un expert. Une demi-heure à bricoler ou naviguer sur Internet lui suffit pour alimenter cette illusion.

Ainsi, il peut se proclamer « expert » dans des domaines variés : politique, science, psychologie, philosophie, ou tout autre sujet qui attire son attention. Ensuite, il présente aux autres ses connaissances fragmentées comme si elles étaient exhaustives.

Par ce processus, il crée une caricature surréaliste de la personne imitée, qu’il perçoit dans son esprit comme une « amélioration » de son modèle grâce à sa prétendue supériorité intellectuelle. Cette prétention à être supérieur reflète en réalité son envie passive-agressive envers le modèle qu’il idéalise.

La consommation régulière de leur drogue

Qu’ils soient des narcissiques classiques ou des cachés passifs-agressifs, ces individus consomment régulièrement l’attention des autres afin de maintenir un équilibre interne, et ressentir de l’euphorie.
Après avoir récolté, absorbé, amassé et emmagasiné leur provision narcissique, ils deviennent maniaques, et leur délire de grandeur s’amplifie.

Ils se disent : « Je peux faire tout ce que je veux. Il n’y a rien au-delà de mes capacités, de ma force, de mes ressources, de mes atouts, de mes compétences, de mes talents, de mes dons et de mon intelligence. Je suis si spécial que personne ne peut atteindre mon niveau. Je suis absolument divin. »

Il s’agit donc d’une véritable dépendance à l’exaltation qu’ils ressentent en voyant leur image reconnue.

De l’hypomanie à l’exaltation maniaque

Le narcissique devient hypomaniaque en l’absence de provision narcissique, ou maniaque lorsqu’il en reçoit. Cela rappelle le trouble bipolaire explique Sam Vaknin.

Lors de ses épisodes maniaques, il croit que tout lui est possible, qu’il n’y a aucune limite à sa capacité d’accomplir des projets extraordinaires, comme devenir riche rapidement, presque par magie.

S’il est écrivain, musicien ou artiste, sa perception de la qualité de ses créations devient délirante, car il évalue mal la profondeur de son engagement ou de son travail. Pour lui, l’échec et la défaite ne sont pas des options.

Comme il a besoin de se rassurer sur son succès, le narcissique développe une distorsion cognitive concernant ses capacités. Il pourrait par exemple vous dire qu’il vient d’avoir un coup de génie et qu’il est sur le point de révolutionner la science ou de réaliser un projet extraordinaire.

Sa perception est alors gravement altérée, car il évalue mal sa propre valeur et sa place dans le monde. Ce phénomène est connu sous le nom de « psychotisme ».
En raison de ce psychotisme, le narcissique se sent divin, atteignant l’apothéose, car il se perçoit comme un être parfait, sans défaut, immaculé et admirable.

La présence ou l’absence de ce psychotisme est liée à ses cycles de cathexis.

Ses cycles de cathexis

La cathexis représente l’énergie libidinale et psycho-émotionnelle que le narcissique investit exclusivement en lui-même. C’est pourquoi il est autoérotique : il privilégie l’autosatisfaction aux relations adultes multidimensionnelles, matures, interactives et empreintes d’émotions.

Il traverse donc les cycles de cathexis suivants : l’hyper-cathexis, l’hypo-cathexis et la décathexis.

L’hyper-cathexis : lorsque son attention est dirigée vers l’obtention de sources de provision narcissique, il entre en phase d’hyper-cathexis. Il devient alors hyperémotif et intensément investi dans l’« objet interne » ou l’avatar qu’il crée de la personne, qu’il voit comme une potentielle proie pour son « fantasme partagé ». Il cherche à séduire cette personne et à l’idéaliser, dans le but de s’idéaliser lui-même.

L’hypo-cathexis : durant la phase de dévalorisation de l’« objet interne » ou de l’avatar, ainsi que de la personne qu’il avait initialement idéalisée, il devient émotionnellement distant. Il entre alors dans un état d’hypo-cathexis et traite l’objet de sa dévalorisation avec une froideur très cruelle.

La décathexis : à ce stade, il ne ressent plus aucun attachement ni intérêt. Il devient totalement absent et rejette la personne qu’il avait autrefois idéalisée.

Ainsi, ses sources de provision narcissique sont soumises à ces cycles de cathexis.

La transformation des louanges

Lorsqu’un narcissique reçoit des louanges, il les transforme ou les falsifie. Il recadre les messages qu’il reçoit de la famille, de ses enfants, de ses amis, des voisins ou des collègues afin de confirmer ses fantasmes, qui deviennent des distorsions cognitives.
Son divorce d’avec la réalité est une manifestation de cette distorsion cognitive. Tout cela a pour but de convaincre le narcissique qu’il n’est pas un « mauvais objet ».

  • Grâce à sa provision narcissique, il devient un « bon objet », un objet parfait, divin, adorable, impeccable et immaculé.

  • Ce type d’objet fonctionne parfaitement et ne commet aucune erreur, méritant ainsi d’être aimé. C’est alors qu’il se sent dynamisé.

Ses voix positives internes

Les compliments des autres sont transformés en voix encourageantes dans l’esprit du narcissique, surtout après qu’il les a falsifiés pour les intégrer à ses fantasmes.

  • Une voix lui dit : « Tu es génial, parfait, moralement supérieur et divin. »

  • Une deuxième voix lui dit : « Tu n’es pas un mauvais objet. Tu es un bon objet, car tu es très performant. »

  • Une troisième voix lui dit : « Puisque tes capacités surpassent la médiocrité des insignifiants, tu mérites d’être aimé et idolâtré. »

Ses voix mortifères

En revanche, lorsque le narcissique ne parvient pas à obtenir sa provision narcissique, il s’effondre. Il ne peut plus se convaincre qu’il est un « bon objet », car d’autres voix, cette fois mortifères, menacent sa survie en confirmant qu’il est un « mauvais objet ».
Il s’identifie alors à ces voix qui lui font honte, ainsi qu’au « mauvais objet » qu’il croit être. Il entre ainsi dans l’état de décathexis.

  • La provision narcissique est le pare-feu qui sépare le « bon objet » fantasmatique qu’il croit être, du « mauvais objet » tout aussi fantasmatique.

  • La provision narcissique est la seule chose qui l’empêche de s’effondrer.

Sa recherche constante d’autorégulation

Comme vous pouvez le constater, le narcissique pathologique n’est pas simplement un idiot en quête de louanges pour obtenir sa provision narcissique.

  • Il s’agit en réalité d’une recherche d’autorégulation par le biais de sources externes.

  • Cette autorégulation, ou « économie interne », est ce qui génère son équilibre.

C’est pourquoi il recherche divers types d’attention – positive, négative, dynamisante, sociale et personnelle – décrits précédemment, afin d’obtenir une véritable provision narcissique primaire et secondaire.

Si le narcissique ne reçoit qu’une attention déficiente, il s’effondre. Voyons donc les types d’attention déficiente.

L’attention statique

L’attention statique est déficiente parce qu’elle ne propulse pas le narcissique vers de nouveaux sommets ni ne le regonfle lorsqu’il est au plus bas.
Bien qu’elle soit positive et fiable, elle ne renforce pas le faux self du narcissique.
Par exemple, si l’attention d’une grand-mère est prévisible et ennuyeuse aux yeux du narcissique, cette source d’approvisionnement ne lui permet pas de se surévaluer ni d’éprouver une euphorie narcissique.

L’attention de bas niveau

L’attention de bas niveau est déficiente parce qu’elle provient de sources que le narcissique méprise.
Par exemple, si une personne jugée peu intelligente complimente un narcissique cérébral sur sa brillance, celui-ci sera indifférent à ce compliment, car cette personne n’est pas à son niveau.
Cela ne deviendrait un éloge dynamisant que si la personne en question était à la hauteur de ses standards.

L’attention dévalorisante

L’attention dévalorisante est déficiente parce qu’elle remet en question l’image du narcissique. Grâce à l’attention négative, il peut parfois se surévaluer, notamment lorsqu’il est craint. Mais lorsqu’il se dévalue, c’est que l’attention reçue déclenche chez lui un sentiment de honte toxique.
Par exemple, lorsqu’on lui expose ses comportements en privé, ou pire encore, en public, il s’effondre, car l’attention qu’il reçoit le fait se sentir humilié et dénigré.

  • C’est pourquoi, si un thérapeute amène un narcissique à reconnaître son dysfonctionnement, ses mécanismes de défense, ses fantasmes inconscients, son vide abyssal ou son doute ontologique, il peut s’effondrer sous le poids de la honte.

L’attention détournée

L’attention détournée est la plus déficiente, car elle est fournie par quelqu’un avec des intentions cachées.
Par exemple, si un escroc flatte un narcissique, c’est souvent dans le but d’obtenir de l’argent. Cependant, le narcissique possède une empathie cognitive, qui lui permet de comprendre les intentions cachées de cette personne.

Mais il existe un autre type d’attention déficiente aux yeux des narcissiques : celle d’une personne autonome qui respecte ses propres limites et celles des autres. Voyons pourquoi.

L’auto-idéalisation du narcissique et de ses objets internes

Le narcissique s’idéalise lui-même autant qu’il idéalise ses objets internes. Si l’autre est une personne autonome, indépendante, sceptique et forte, cela devient très menaçant pour lui, car cette personne confronte son insécurité. Face à elle, il de sent dévalorisé et dénigré. L’attention fournie par cette personne est donc perçue comme déficiente.

Le narcissique idéalise uniquement les « bons objets » externes, c’est-à-dire ceux qui lui apportent une attention dynamisante et lui donnent l’impression qu’il ne sera ni confronté ni abandonné. Il crée ainsi un point de rencontre entre sa provision narcissique et la gestion de son espace intérieur.

Cependant, cette provision narcissique est fondée sur des mensonges, car il l’intègre dans ses fantasmes et les récits qu’il se raconte à propos des autres. Cela génère des frustrations, voire de terribles traumatismes, pour ses sources de provision narcissique.

Le Professeur Vaknin va plus loin dans ses enseignements. Voici ce qu’il explique à propos des croyances des narcissiques au sujet de la justice.

La justice de l’univers

Pour le narcissique, la justice cosmique se manifeste à travers sa provision narcissique. Sa pensée magique lui fait croire que l’univers lui-même est sa source de provision, car il lui envoie des signes de justice.

L’univers reconnaît enfin sa valeur, à quel point il est précieux, unique et incroyable. Il reconnaît également sa contribution révolutionnaire, transformatrice, inégalable et sans précédent. Grâce à cela, il se sent chez lui dans un univers qui célèbre sa différence, sa supériorité, sa divinité, sa perfection, sa toute-puissance, son omniscience, son éclat et son génie. Cet univers devient pour lui un lieu fiable et bien construit, sur lequel il peut compter. Il se sent enfin rassuré, stable, et ancré dans un cadre familier.

Cependant, ces croyances mènent inévitablement à une position de supériorité, à l’orgueil et au mépris. Il est impossible de se percevoir comme l’élu de l’univers sans sous-entendre, implicitement ou ouvertement, que les autres sont inférieurs.

Le narcissique vous dira implicitement : « J’ai besoin de te dévaloriser, de te rendre inférieur(e), pour prouver que je suis supérieur. »

Se voyant parfait, brillant et bien pourvu, il se perçoit comme un être semblable à Dieu, tandis que les autres ne le sont pas. Sa survie repose sur cette comparaison, car il est profondément compétitif.

Son illusion concentrique

Comme vous le voyez, le narcissisme pathologique repose sur une illusion concentrique et autoréférentielle.

  • D’un côté se trouve le narcissique, unique en son genre.

  • De l’autre côté se trouve un cercle restreint de personnes idéales, très proches de la perfection.

Ces personnes ne sont pas aussi intelligentes que lui, mais elles s’en approchent. Elles ont la capacité de fournir au narcissique sa réelle provision narcissique par le type d’attention qu’elles lui accordent ou par les prétendues connaissances qu’il en retire.
Il intègre ces personnes dans son esprit et les transforme en « objets internes », contribuant ainsi à l’image parfaite qu’il se forge de lui-même.

  • Il les idéalise tout en se les appropriant et en les possédant.

  • Le narcissisme ne consiste pas à être possédé, mais à posséder les autres.

Les narcissiques ne peuvent briser ce cercle illusoire, car leur besoin addictif de provision narcissique génère en eux une obsession compulsive.

Le narcissique, peut-il guérir de sa compulsion de répétition ?

Non, sa dépendance à l’attention ne guérit jamais, parce que le narcissique est vide et éprouve un besoin urgent de soutirer sa provision narcissique. Dès que sa provision narcissique est interrompue pour quelque raison que ce soit, il s’écroule et doit recommencer à remonter la pente.

Il a donc besoin d’obtenir, pour quelques minutes ou pour quelques heures par jour, une provision narcissique abondante et, si possible, durable. Cela lui permet de se sentir chez lui dans le monde. Il éprouve enfin un sentiment de familiarité, car il se trouve dans sa zone de confort.

Il se dit : « Je connais les ficelles du métier maintenant. Je suis tellement supérieur que je ne suis jamais en danger parce que je suis comme Dieu. »

Son trouble de la personnalité narcissique perdure jusqu’à ce que, grâce à un événement marquant et percutant, il prenne conscience de son trouble de stress post-traumatique (TSPT). C’est la seule opportunité qu’il a pour débuter l’exploration de sa dynamique interne et pour remettre en question le « personnage » ou « faux self », afin de commencer à écouter la voix de son être authentique.

Comment votre ex-narcissique vous perçoit-il ?

Les paragraphes suivants explorent l’expérience intime, glaçante et souvent incomprise de ceux qui ont aimé un narcissique. Ils permettent de voir pourquoi ces personnes n’ont jamais vraiment été vues, entendues, ni même perçues comme un être humain.

La perception que les narcissiques ont des autres est souvent réduite à de simples ombres, des simulacres sans réelle consistance – à moins que ces derniers ne fournissent une source de gratification narcissique ou sadique. Les relations sont vécues de manière strictement transactionnelle, et la nostalgie, lorsqu’elle existe, ne porte jamais sur les personnes elles-mêmes, mais uniquement sur la provision narcissique qu’elles ont pu offrir. Ce n’est pas l’autre qui manque, mais ce qu’il procurait.

Le narcissique traverse l’existence comme un visiteur dans un musée de souvenirs inertes, sans liens authentiques, sans chaleur humaine. Ce vide intérieur engendre un profond sentiment d’isolement, d’étrangeté au monde. Tout est figé, classé, comme dans un mausolée psychique.

Parfois, au cœur de l’action, un souvenir surgit, fugace : un éclat traverse son esprit. C’est une brume, un filet de fumée, à la fois léger et asphyxiant. S’il a la présence d’esprit de s’arrêter, de fermer les yeux, il tente de se concentrer sur les souvenirs – mais ils lui échappent. Ils se dissipent toujours. Il se rappelle un nom, mais jamais un visage ou des circonstances, jamais des présences. Ces réminiscences ont la texture de l’abstraction, comme si elles provenaient d’un roman lu dans une autre vie. Ses expériences sont de seconde main, jamais incarnées, jamais réellement vécues.

Les gens lui apparaissent comme des silhouettes floues, des personnages en carton dans un film trop long et ennuyeux. Ils n’existent qu’à travers le rôle qu’ils jouent pour lui : lorsqu’ils lui renvoient une image flatteuse, lorsqu’ils régulent son chaos intérieur, lorsqu’ils deviennent des sources de réconfort, de force, de résilience. Alors, et seulement alors, ils prennent vie.

Les personnes passent, entrent et sortent de sa vie sans jamais vraiment y être. À ses yeux, elles n’ont ni consistance ni existence propre. Ce ne sont pas des êtres, mais des simulations. Des pantins de bois, des bonshommes en pain d’épices, qui ne s’animent que lorsqu’ils nourrissent son besoin. Sinon, ils s’effacent. Leurs membres semblent de travers, leurs bouches béantes. On dirait des personnages de dessin animé qui quittent invariablement la scène par la gauche, pour ne plus jamais lui revenir à l’esprit.

Dans l’interaction humaine, le narcissique perçoit l’autre comme une image déformée, tremblante, bégayante. Puis il fige cette image, comme sur la pellicule d’un vieux film jauni ou sur une photo qui brûle lentement. Pour lui, l’existence d’autrui s’éteint dès qu’elle cesse d’être utile. Il s’attend d’ailleurs à être traité de la même manière – selon le même contrat implicite de réciprocité utilitaire.

Il peut ressentir une forme de nostalgie. Non pas pour les relations, mais pour l’abondance passée de sa provision narcissique. Les gens, eux, ne lui manquent jamais. Il n’a jamais noué de véritable lien. Les autres ne sont que des souvenirs sépia, figés dans l’ambre de son esprit.

Et alors, il marche. Il erre dans le musée de sa vie, d’exposition en exposition, parmi les vestiges d’une existence refusée, rejetée, jamais pleinement investie. Tout y est mort, tout y est figé, tout y est classé, comme autant de papillons épinglés. Il regarde autour de lui. Il devine qu’il doit bien y avoir de la vie, quelque part, mais elle n’est pas en lui.
Alors il continue d’errer, de salle en salle. Et à la tombée de la nuit, il referme son musée, seul. Il s’endort au milieu des restes, des reliques, des échos d’une vie jamais habitée.

Exagération ou vérité ?

Les gens pensent que cette description poétique de Sam Vaknin est trop dramatique, ou qu’elle ne correspond pas à la réalité. Il leur répond alors : C’est justement le problème auquel les victimes d’abus narcissiques sont confrontées lorsqu’elles essaient de décrire, transmettre ou communiquer les expériences traumatisantes qu’elles ont vécues : on leur dit qu’elles exagèrent, qu’elles dramatisent, voire qu’elles sont hystériques.

De la même manière, lorsqu’un narcissique tente de décrire son expérience intérieure, on lui répond qu’il suranalyse, qu’il devrait se ressaisir, ou pire, qu’il est simplement « un con ». Pourtant, le narcissique s’enfonce avec la rage de celui qui n’a jamais vraiment vécu, mais qui s’accroche désespérément à l’idée d’avoir été quelqu’un.

La négation de l’abus narcissique

Les gens nient la réalité du narcissisme pathologique – et plus encore celle de l’abus narcissique – parce qu’ils veulent croire en la bonté essentielle du monde. Ils veulent croire que le mal n’existe pas vraiment, ou qu’il ne triomphe jamais. Alors ils préfèrent tout minimiser, tout dédramatiser : si le narcissisme n’est qu’une exagération de traits humains ordinaires, et si les abus narcissiques ne sont que des conflits domestiques amplifiés, alors tout va bien. Inutile de perdre le sommeil.

Sam Vaknin affirme : « Si quelque chose doit être énoncé, c’est que les gens sous-estiment l’expérience intérieure des narcissiques. »

L’incapacité des narcissiques à visualiser ou conceptualiser les personnes dans leur vie reflète une incapacité plus profonde : celle de visualiser tout court. C’est une forme d’aphantasie – cette difficulté, voire cette impossibilité, de former consciemment des images mentales.

La raison en est que les narcissiques présentent un déficit d’empathie. Ils ne peuvent ni visualiser les autres, ni se mettre à leur place, ni faire émerger leur présence dans leur esprit, ni conserver une perception claire de l’existence séparée d’autrui. Ils intériorisent tout immédiatement. Le monde extérieur devient une simple projection de leur esprit, ou de leur imagination, comme un hologramme.

Quand le narcissique rencontre quelqu’un pour la première fois, il le perçoit comme à travers un verre obscurci, une sorte d’ectoplasme. Tout est flou. Il n’y a ni contours nets, ni délimitations claires, ni frontières perceptibles. Même les visages sont estompés, indéfinis. Les individus lui apparaissent comme des émanations vagues, vaporeuses, à moitié présentes. Ils semblent fanés, flétris, comme s’ils se fondaient dans l’environnement, comme s’ils étaient en train de se dissoudre dans le décor.

Quoi qu’il en soit, lorsque le narcissique rencontre quelqu’un pour la première fois, l’autre lui apparaît comme muet. Même si cette personne parle, même si elle tente de communiquer, même si elle répond à ses questions, elle reste pour lui en mode silencieux. Elle ne produit aucun son psychique. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les narcissiques supportent difficilement les conversations réciproques.

Ils ne parlent pas avec les autres, ils parlent à eux. Ils font la leçon. Ils délivrent un monologue. Et lorsque l’interlocuteur tente de répondre, de réagir, ou simplement d’apporter sa propre contribution, le narcissique s’ennuie, se déconcentre, perd tout intérêt. Car il n’est attentif qu’à une chose : ce qu’il a lui-même à dire.

Puisque sa perception est altérée, pour lui, vous n’êtes pas vraiment là. Et si vous l’êtes, vous n’êtes qu’un accessoire. Et en tant qu’accessoire, vous n’avez pas droit à vos propres apports dans la conversation. Il vous met en sourdine, comme si votre bouche était cousue.

Le narcissique perçoit les autres comme si leur bouche était cousue. C’est une image étrange, troublante même, mais elle reflète avec justesse sa réalité intérieure. Lorsqu’il rencontre quelqu’un, cette personne entre et sort de son champ de vision psychique, comme si elle n’était qu’un élément accessoire dans un cadre qui lui appartient exclusivement.

L’autre est là – parfois par simple courtoisie envers lui, parfois comme une gêne ou comme une intrusion. Il est là, et pas là en même temps. Le narcissique peut le faire disparaître à volonté, même s’il est physiquement présent. Et il le fait souvent.

Il efface mentalement les gens, les élimine psychologiquement de son champ de conscience. C’est comme s’il voyait à travers eux, comme s’ils devenaient transparents. Une transparence comparable à celle qu’une personne en bonne santé accorde à un objet inanimé perçu du coin de l’œil, alors que l’attention est dirigée ailleurs.

Le regard du narcissique est tourné vers l’intérieur

Il ne peut donc pas percevoir le monde extérieur – objets ou personnes – de façon périphérique, distincte, séparée. L’autre n’existe pas en soi. Ce n’est que lorsque le narcissique commence à considérer une personne comme une source potentielle de provision narcissique, comme un partenaire à intégrer dans son fantasme partagé, ou comme un collaborateur, un complice, un membre potentiel de son univers intérieur, que cette personne prend vie dans son esprit.

Et lorsque ce basculement se produit, le narcissique se dit : « Bien ! Cette femme me procure une source de provision narcissique énorme et de haute qualité. » Ou encore : « Ce type peut promouvoir mon travail, mes accomplissements, me rendre célèbre. » Ou toute autre variante de la même logique utilitaire.

C’est seulement à ce moment-là qu’il passe d’une vision de l’autre comme un zombie, un être mort-vivant, à son opposé complet. Tout à coup, il développe un intérêt intense, presque compulsif, pour la personne. Il devient obsédé par les moindres détails de sa vie, fasciné par sa personnalité. Mais cette intensité est entièrement orientée vers un objectif.

Cet objectif repose sur quatre éléments essentiels : la provision narcissique, le sexe, les services et la sécurité. C’est une logique strictement utilitaire : dès qu’il perçoit qu’une personne peut lui fournir l’une de ces fonctions – qu’elle est capable de combler un besoin interne – elle prend vie. Elle s’anime, ou même, se réanime. Sinon, elle demeure inerte, figée, glacée dans son monde psychique déshumanisant.

Et cette transition est très brutale, même pour le narcissique. Soudain, il remarque des gens – ceux qui peuvent lui être utiles, ceux qui peuvent devenir des partenaires. Il les remarque alors tout d’un coup. Et c’est comme si un objet du quotidien s’animait subitement. Imaginez que votre réfrigérateur se mette à danser des claquettes… Voilà à quel point c’est déconcertant pour le narcissique.

Mais même dans ces cas-là, les gens ne l’intéressent que comme des acteurs dans son propre scénario. Ils n’existent que dans la mise en scène mentale qu’il dirige – et uniquement tant qu’ils y tiennent un rôle fonctionnel. Il peut les faire disparaître de son esprit, psychologiquement et mentalement. Et il le fait très souvent. C’est comme s’il voyait à travers eux, comme s’ils étaient redevenus transparents.

C’est une perception comparable à celle qu’ont les personnes en bonne santé des objets inanimés à la périphérie de leur champ de vision – ces objets que l’on entrevoit du coin de l’œil, alors que l’attention est dirigée ailleurs.

Il projette sur eux une énergie émotionnelle

Ce que la psychologie appelle la cathexis – c’est-à-dire l’investissement affectif dans une personne ou un objet. Oui, il s’investit en eux. Mais cet investissement ne porte pas sur la personne réelle. Il porte sur la représentation mentale qu’il s’en fait. Il investit émotionnellement dans l’objet interne qui symbolise cette personne dans son esprit – pas dans la personne elle-même.

La personne réelle n’existe jamais pour le narcissique. Elle ne prend vie que dans son esprit, sous la forme d’un objet idéalisé. C’est comme un film d’animation vaguement inspiré de personnes réelles. Ce n’est pas aux vraies personnes qu’il réagit, mais à l’image mentale, animée, qu’il projette. Et parce qu’il investit dans cette image – et non dans l’individu – il peut se désinvestir émotionnellement avec une rapidité déconcertante. Littéralement du jour au lendemain.

Autrement dit, il peut passer d’un attachement profond à un retrait total, de façon brusque, inattendue, imprévisible, choquante.

Lundi, quelqu’un peut être l’amour de sa vie, sa personne préférée, son partenaire idéal, son meilleur ami. Et mardi… peut-être que cette personne l’a critiqué, a posé des limites, ou simplement cessé d’être utile. Peut-être a-t-il trouvé mieux, ou s’est-il lassé. Peu importe.

Mardi, cette personne a disparu. Il s’en fiche. Il se fiche qu’elle meure. Elle est totalement effacée. Et pourtant, la veille encore, elle était son partenaire de vie, son univers. Le lendemain, elle n’est plus rien. Juste une trace sous sa chaussure – s’il daigne la remarquer.

Et ce basculement n’est même pas ce qu’on appelle une dévalorisation. Non. Ce n’est pas un renversement affectif, c’est un glissement énergétique. Un simple passage d’une hyper-cathexis à une décathexis. Il investit émotionnellement, puis il retire cet investissement, pour le rediriger ailleurs. Froidement. Mécaniquement.

Et c’est cela qui est tellement choquant pour les victimes : elles ne peuvent pas concevoir qu’en réalité, elles n’ont jamais compté. Qu’elles n’ont jamais eu la moindre importance.
Qu’elles n’ont été que des prétextes. Des supports pour créer des représentations internes – des objets mentaux avec lesquels le narcissique pouvait interagir, idéaliser, dévaloriser… pour rejouer ses conflits d’enfance. Et ça, les victimes… elles n’arrivent tout simplement pas à l’intégrer. C’est inconcevable et très douloureux.

Sa perte totale d’intérêt pour le/la partenaire intime

Le narcissique perd tout intérêt pour ses partenaires intimes, et c’est souvent très soudain. Il passe à autre chose. Il ne pense même pas une seconde à celles ou ceux qu’il a laissés derrière lui – parce qu’il ne les a jamais perçus comme de vraies personnes.

Il expérimente sa vie et son passé comme on lirait un roman ou regarderait un film. Il est davantage un observateur qu’un véritable participant. Toutes les personnes qui apparaissent dans ce récit sont des personnages. Des entités « fonctionnelles ». Comme dans un jeu vidéo.

Et lorsque le film se termine, lorsque le livre est refermé, ces personnages sont scellés à jamais entre les pages, ou figés dans les images. Emprisonnés, comme des fourmis dans de l’ambre. Ils deviennent des souvenirs vagues, lointains, flous.

Et il lui est extrêmement difficile de les saisir, de les faire revivre, lorsqu’un souvenir lui est rappelé. Par exemple, lorsqu’une scène ressurgit soudainement – une rue, un endroit, un moment précis – il se retrouve seul dans ce souvenir.

Il sait, de manière cognitive, qu’il a été dans ce restaurant, dans cette boutique, dans cette rue, accompagné de quelqu’un. Il sait aussi que cette personne, à l’époque, comptait beaucoup pour lui. Mais il ne parvient pas à se souvenir de sa présence réelle.

Et surtout, il est incapable de faire remonter quoi que ce soit de plus qu’un prénom – et encore, s’il a de la chance. Il ne peut pas faire revenir à l’esprit un visage, un corps, une odeur, une saveur, une interaction, une conversation précise… Presque rien. Peut-être 10 %, tout au plus, de ce qui s’est réellement passé.

Bien sûr, cela a probablement un lien avec la dissociation. Mais ce n’est pas exclusivement ça. En réalité, les narcissiques s’en fichent tout simplement. Ils ne donnent aucune foutue importance aux autres. Les autres sont là pour être utilisés, parfois abusés, puis jetés comme une pelle, comme une vieille machine.

Ils ne sont que des objets, des outils fonctionnels… Et qui investirait émotionnellement à long terme dans un réfrigérateur ? Qui se souvient de son premier frigo ? Ou de son premier smartphone ? Certains, peut-être, mais lui, non. C’est une expérience si étrange, si aliénante, qu’il doute de pouvoir l’expliquer ou la transmettre, pour peu qu’il en ait seulement conscience.

Ses interactions sont foncièrement transactionnelles

Quand une personne n’est plus utile, pourquoi continuer à investir de précieuses ressources mentales pour la conserver en mémoire ? Quel serait le sens de se souvenir de quelqu’un qui ne reviendra jamais, et qui ne peut plus rien apporter – sous aucune forme ?

Alors il ne fait même pas l’effort de se souvenir. Il efface les souvenirs, tout simplement. Parce qu’il a besoin d’espace mental. Il reconnaît parfois un certain manque, oui. Mais ce qui lui manque, ce n’est pas la personne elle-même – c’est ce qu’elle lui apportait : du sexe, des services, de la sécurité, ou une source de provision narcissique.

C’est une expérience tellement étrangère, tellement aliénante, que le narcissique lui-même n’est pas certain de pouvoir vraiment l’expliquer. Ni d’être compris. Pour lui, les gens cessent d’exister dès qu’ils ne lui fournissent plus sa provision narcissique. Et dans sa logique, il s’attend lui-même à être traité de manière transactionnelle.

Ce qui traumatise les victimes, c’est l’absence émotionnelle

Les narcissiques sont des identités d’absence – et ils vous le font sentir dès le départ, surtout s’ils sont des narcissiques cachés.

Peut-être avez-vous passé une semaine entière avec l’un d’eux. Une semaine où votre énergie érotique s’est réveillée. Où tout vous a semblé intense, merveilleux, inoubliable. Mais une fois rentré chez vous, plus rien. Aucun message. Aucun appel. Aucun mot. Alors même qu’il vous avait clairement laissé(e) entendre qu’il était très intéressé par vous.

Le narcissique perd tout intérêt au cours de la relation – et cela se produit de façon brutale.
Soudainement, il passe à autre chose, sans même y réfléchir. Et une fois qu’il a perdu l’intérêt qu’il projetait sur vous, il lui devient presque impossible de vous saisir à nouveau dans son esprit en tant qu’objet idéalisé.

Dans cette phase de décathexis, il vous contrôle par son indifférence glaciale. Et c’est cette absence-là, cette disparition émotionnelle, qui traumatise.

L’auto-provision narcissique : une provision narcissique secondaire

Pris dans l’ambre de son esprit, pour le narcissique, les autres ne sont que de simples souvenirs – des Contenus à Potentiel de Mémoire (CPM). Et il considère cela comme une forme de provision narcissique.

Il s’agit là d’un mécanisme de provision narcissique secondaire, activé à travers la mémoire. Lorsque quelqu’un a été à ses côtés – témoin de ses moments de gloire, de réussite, de statut, de grandeur, de charisme – cette personne devient un magnétophone humain, capable de rejouer ces instants glorieux. Ainsi, le narcissique régule le flux de sa provision narcissique lorsque celle-ci devient rare ou déficiente.

Mais les narcissiques pratiquent aussi ce qu’on pourrait appeler l’auto-provision narcissique. Dans leur logique mentale, la mémoire elle-même devient une source de provision. Elle prend le relais du témoin extérieur quand celui-ci est absent.

Autrement dit, lorsque personne n’est là pour lui rappeler à quel point il est remarquable – quand plus personne ne valide son faux self, ni son délire de grandeur – alors il prend le relais lui-même. Il devient sa propre source. Son propre magnétophone. Et pour cela, il a besoin de souvenirs. S’appuyant sur eux, il s’incline mentalement en arrière et se dit :

« Laisse-moi me rappeler cette conférence incroyable que j’ai donnée. Laisse-moi me souvenir de ce séminaire où l’auditoire était complètement envoûté. Laisse-moi revivre ce moment. »

Et ce simple acte de se souvenir devient une provision narcissique générée en circuit fermé. En se rappelant ses moments de gloire auto-imputée, le narcissique se nourrit lui-même. Cela devient une source interne de régulation narcissique, un mécanisme autonome de survie psychique. C’est dans ces moments-là qu’il se sent au plus près de l’autosuffisance.

Et cette idée lui est précieuse, car à ses yeux, il est semblable à un dieu. Un être de cette stature ne devrait pas avoir besoin des autres. La dépendance est, pour lui, une humiliation. Une honte.

Ainsi, la provision narcissique devient un outil pour se convaincre qu’il ne dépend de personne. Il est émotionnellement investi dans l’idée même d’être autosuffisant.
Il a un intérêt profond à effacer les autres de sa mémoire, car cela lui permet de croire qu’il n’a jamais eu besoin de personne.

En effaçant les gens, il se ment à lui-même. Il se convainc que tout ce qu’il est vient uniquement de lui : son œuvre, son mérite, sa création. Il peut se nourrir narcissiquement de lui-même, même dans l’absence totale d’autrui.

Et cela, à ses yeux, est grandiose. Cela le rapproche encore davantage de cette toute-puissance fantasmée qu’il recherche. En tant que narcissique, il dispose d’un intérêt structurel, d’un mécanisme interne, qui le pousse à prétendre que sa vie a toujours été vide – stérile, dépeuplée, dénuée d’autres êtres humains.

Il imagine qu’ils n’ont jamais été là. Qu’ils n’ont jamais rien apporté de significatif. Qu’il a toujours été autosuffisant, auto-alimenté, indépendant, clos sur lui-même.

Maintenant que nous avons abordé la dynamique interne des narcissiques, liée à leur « drogue », voyons les déclarations du Professeur Sam Vaknin sur le narcissisme à l’échelle mondiale.

Les narcissiques psychopathes

La provision narcissique est une drogue universelle. Les escrocs, ainsi que certains coachs ou gourous autoproclamés, en sont les propulseurs. Ils initient leur public au narcissisme. Des idées comme « réveiller son géant intérieur » ou « la loi de l’attraction » promeuvent ce narcissisme. Ils vous proposent des milliers d’idées fallacieuses.

La provision narcissique est également renforcée par la technologie et par une humanité composée à 99 % de personnes qui compensent leurs insuffisances par des délires de grandeur et un sentiment de victimisation.

C’est un terrain fertile pour les escrocs. Ils sont partout, même dans les banques. Ils vous font sentir unique, supérieur, parfait et irréprochable. Ils vous flattent, vous faisant croire que vous êtes intelligent, alors que vous ne l’êtes peut-être pas, car, entre autres choses, vous leur donnez l’occasion de voler votre argent.

Les personnes vraiment intelligentes constituent le 1 % restant. Mais dans un monde où le narcissisme est le principe organisateur et une véritable religion, ces individus dotés de capacités de génie finissent par devenir méprisants et hautains. Donc, ils s’isolent. Pourtant, cette attitude est autodestructrice, car on ne peut rien accomplir seul. Il est essentiel de travailler, de collaborer et de coopérer avec les autres pour survivre et réussir.

Notre société divisée

Nous vivons dans une société divisée, où la majorité des gens sont manipulés par une poignée d’escrocs psychopathes qui leur fournissent une provision narcissique.
Ces escrocs donnent l’illusion qu’il est possible d’accomplir n’importe quoi sans effort. Même certaines technologies, perfectionnées grâce à l’intelligence artificielle, sont conçues pour fournir ce type d’approvisionnement.

L’autre groupe, une infime minorité, composé de personnes intelligentes et créatives, s’isole du reste, devenant hautain, arrogant et méprisant. Il y a donc une guerre en cours pour l’obtention de la provision narcissique :

  • D’un côté, se trouvent les « stupides », et de l’autre, les véritables génies.

  • Ces deux catégories sombrent dans le délire, car leur perception de la réalité est altérée.

La stupidité est le manque d’intelligence, de conscience, de jugement ou de bon sens. Les gens stupides ne se reconnaissent pas comme tels, car les escrocs psychopathes leur fournissent une provision narcissique fondée uniquement sur des fantasmes.

Les gens intelligents, quant à eux, se séparent des stupides, sans comprendre que ce jugement est profondément destructeur et voué à l’échec. Ils agissent de manière indépendante, alors que l’interdépendance avec les autres est primordiale. Malheureusement, cette division ne fait que commencer. Consultez l’article intitulé L’ère du narcissisme - une société dystopique.

Conclusion

J’espère, conclut Sam Vaknin, que vous comprenez à quel point la provision narcissique est décisive dans le narcissisme pathologique. Les psychopathes sont orientés vers des objectifs précis : ils veulent du sexe, de l’argent, des contacts, et surtout du pouvoir.

Le narcissique, en revanche, ne cherche qu’à obtenir sa provision narcissique. Ce n’est pas un but en soi, mais la drogue dont il dépend. Toute défaillance dans l’obtention de l’attention des autres, ou de leur véritable provision narcissique dynamisante, entraîne l’effondrement partiel ou total des narcissiques. S’ils ne reçoivent que des attentions déficientes, ils s’effondrent.

Pour cette raison, vous devriez voir les narcissiques comme des toxicomanes, plutôt que de les considérer comme des psychopathes cherchant à vous détruire. Bien qu’ils soient pathétiques et pitoyables, les psychopathes, eux, sont bien plus dangereux.

Souffrez-vous des effets traumatiques d’un abus narcissique ?

Comment l’âme sortirait-elle indemne, quand elle n’a été qu’objet – outil, jouet passager au service d’une identité d’absence ?
Comment guérir la blessure laissée par un parent ou par l’être aimé, lorsqu’il vous a relégué(e) dans le grenier des choses fanées, entre ses lampes cassées, ses lettres jamais envoyées, et ses souvenirs oubliés ?
Comment déloger de sa chair l’empreinte du narcissique, le masque de celle ou celui qu’on a aimé ?

Vous avez introjecté l’image du narcissique, ainsi que ses messages destructeurs. Il ou elle est donc devenu(e) un « objet persécuteur » dans votre esprit. Comment le désintrojecter ? Consultez cet article : La déshypnose des objets internes.

Pour vous libérer des effets traumatiques d’un abus narcissique ou d’une manipulation émotionnelle, découvrez un puissant processus de Déshypnose Identitaire. Consultez l’article explicatif ici : L’introspection.

Prabhã Calderón