La provision narcissique
17 oct. 2024
Qu’est-ce que la provision narcissique ? Comment les narcissiques la soutirent-ils ? Quel type d’attention recherchent-ils ? Quels sont les pièges de leurs demandes ?
L’éminent professeur en psychologie Sam Vaknin répond à ces questions dans cet article. Depuis 1995, il a emprunté la notion de « narcissistic supply » et l’a introduite telle qu’elle est utilisée aujourd’hui en anglais dans le cadre du narcissisme pathologique.
J’ai traduit « narcissistic supply » par « provision narcissique ».
Voici la signification :
La provision narcissique est la « nourriture » psycho-émotionnelle dont dépendent les narcissiques pathologiques pour maintenir un sentiment d’équilibre et d’autorégulation, ou pour soutenir leur économie interne, à travers des sources externes. Cette « nourriture » correspond à l’attention, l’admiration, la reconnaissance ou la crainte qu’ils reçoivent des autres, ce qui les amène à se sentir équilibrés, spéciaux, uniques, parfaits et omniscients comme des dieux, ou bien tout-puissants et démoniaques.
Les sources de provision narcissique, ou d’approvisionnement narcissique, sont les personnes qui fournissent cette attention, admiration, reconnaissance ou crainte dont les narcissiques ont besoin pour se sentir exister. Inconsciemment, ces personnes narcissisent le narcissique qu’elles rencontrent sur leur chemin, en validant sa perception déformée de lui-même.
Plongeons dans les enseignements du Professeur Vaknin, que j’ai résumés du mieux possible.
Introduction
Nous sommes tous exposés à des compliments. Les gens nous disent que nous sommes adorables, intelligents, aimables, empathiques ou évoquent l’impact que nous avons eu dans leurs vies. Cela sert-il à alimenter un narcissisme pathologique ? Non ! Même les gens qui ont un « style » narcissique ne transforment pas systématiquement les éloges en provision narcissique. Alors, quelle est la différence entre une personne autonome et celle qui s’abandonne à la poursuite obsessionnelle d’une provision narcissique ? Examinons deux différences.
La première différence : les fantasmes de grandeur
La première différence réside dans la manière dont les narcissiques et les personnes mentalement équilibrées réagissent aux attentions et aux éloges.
Lorsque les éloges sont fondés sur des faits, la personne équilibrée qui les reçoit peut se sentir reconnue, mais elle ne les utilise jamais pour alimenter une image grandiose de son importance.
En revanche, la personne narcissique recherche constamment l’attention et l’admiration des autres pour confirmer ses fantasmes de grandeur, qui sont en décalage avec la réalité. Même lorsque les compliments qu’elle reçoit sont justifiés, elle les intègre à ses fantasmes et les transforme en provision narcissique. Sa perception altérée de soi se nourrit de ces fantasmes de grandeur, car son narcissisme est une compensation d’un profond complexe d’infériorité.
Par exemple, les narcissiques transforment toute relation interpersonnelle en un « fantasme partagé », qui consiste à idéaliser les autres pour ensuite les dévaloriser et les rejeter cruellement, ce qui leur procure une provision narcissique à travers un plaisir sadique.
Pour en savoir plus, consultez l’article : Le fantasme partagé des narcissiques.
La dépendance des narcissiques à l’attention est aussi insatiable que la dépendance des toxicomanes à leur drogue, car leur « faux self », qui n’est qu’un vide immense, cherche désespérément à se remplir. En l’absence de cette provision narcissique, ils risquent de s’effondrer.
Leur « faux self » ou « faux moi »
Le faux self des narcissiques représente tout ce qu’ils aspirent à être, mais qu’ils ne sont pas. C’est un « personnage » purement mental et vide, dont le cœur est un trou noir, dépourvu d’essence, et d’où émerge une perception altérée et déformée de soi et du monde.
Le philosophe américain Ken Wilber dit à ce sujet : « Les narcissiques perçoivent le monde comme une huître, dont ils sont la perle. »
Leur faux self est le résultat des abus flagrants et de l’instrumentalisation qu’ils ont subis durant l’enfance, engendrant en eux un sentiment de honte toxique ainsi qu’une profonde insécurité ontologique (du grec ontos, qui signifie être).
Leur image : une illusion construite de toutes pièces
Pour compenser leurs insuffisances, ils cherchent à impressionner et fasciner les autres en projetant une image grandiose, perfectionnée ou divinisée d’eux-mêmes, ou parfois une image démentielle et démoniaque.
C’est ainsi qu’ils attirent l’attention et s’assurent l’adulation de ceux qui leur confirment qu’ils sont beaux et charmants, ou intelligents et remarquables, ou encore astucieux et dangereux. Ces messages qui renforcent leur image sont ensuite convertis en provision narcissique.
La deuxième différence : la régulation externalisée
La deuxième différence entre les narcissiques et les personnes mentalement équilibrées réside dans le fait que ces dernières disposent d’une régulation interne.
Le narcissique réagit intensément à la provision narcissique, car il dépend de l'attention des autres pour réguler son estime de soi et ses émotions.
Il a donc besoin d’une validation externe pour maintenir son équilibre intérieur.
De ce point de vue, il ressemble à une personne atteinte de trouble de la personnalité limite (borderline), qui utilise l’intimité et la présence d’un partenaire pour réguler ses émotions, sous peine d’en être submergée.
Cependant, contrairement à cette dernière, le narcissique ne dépend pas de la présence de quiconque, car il ne perçoit pas l'altérité des autres. En les transformant en objets internes, il ne s’intéresse qu’à la provision narcissique qu’il peut en retirer.
Explorons maintenant les deux types de provision narcissique.
Les deux types de provision narcissique
Pour que la provision narcissique soit perçue comme réelle par les narcissiques, ils ont besoin à la fois d’une provision primaire et d’une provision secondaire.
La provision narcissique primaire est de nature sociale, tandis que la provision secondaire provient de la proximité des personnes qui les entourent.
Ces deux formes de provision fonctionnent comme un carburant à haut indice d’octane pour alimenter leur « véhicule narcissique » (métaphore décrite par Sam Vaknin en 1997). Pour obtenir ce carburant, les narcissiques doivent recevoir diverses formes d’attention. Examinons à présent l’attention positive et l’attention négative.
L’attention positive
L’attention positive renforce l’image valorisante que les narcissiques ont d’eux-mêmes.
Beaucoup d’entre eux attirent cette attention par leur charme enfantin, éveillant ainsi l’instinct maternel chez de nombreuses personnes, en particulier chez les dépendants affectifs.
D’autres narcissiques captent une attention positive grâce à leur prestige ou leur pouvoir financier. Par exemple, certains chimistes narcissiques produisent des substances toxiques apparemment inoffensives, qui causent de graves dommages écologiques ou des effets secondaires médicamenteux, mais ils sont admirés pour leur succès.
De même, certains informaticiens narcissiques conçoivent des logiciels offrant une gratification rapide, ce qui leur vaut l’admiration, alors même que ces logiciels génèrent des addictions et des dépressions chroniques chez les jeunes.
Les narcissiques savent ce qu’ils font, mais ils restent inconscients du fait qu’ils sont psychologiquement brisés. Ainsi, leur besoin d’attention, d’admiration et de provision narcissique l’emporte sur la solidarité humaine, l’équilibre planétaire ou la santé physique et mentale des autres.
L’attention négative
Les narcissiques attirent l’attention négative en générant de la peur. Ils aiment être craints, mais détestent être haïs. Le fait d’être craints ravive leur sentiment enivrant de toute-puissance, surtout lorsqu’ils voient l’expression d’horreur ou de répulsion sur le visage de ceux qui savent qu’ils sont capables de tout.
Les patriarches narcissiques, par exemple, instaurent la terreur au sein de leur famille. Leur besoin de susciter la crainte est comparable à celui des tueurs en série. C’est ainsi qu’ils se sentent vainqueurs, tout-puissants, omniscients et émotionnellement équilibrés.
La plupart des narcissiques aiment faire souffrir les autres, car cela leur procure une provision narcissique sadique. Ils sont ingénieux, durs, capricieux, insondables et dépourvus de scrupules. Ils manipulent les gens pour les amener à agir contre leur volonté, à l’instar des escrocs, ainsi que de certains politiciens et chefs d’État narcissiques.
Ils dissimulent leur faible estime de soi
Les narcissiques dépendent d’une évaluation externe pour renforcer leur estime personnelle. Ils ont besoin de l’attention et de l’adulation des autres pour maintenir un équilibre précaire, grâce auquel ils se sentent supérieurs, uniques, omniscients et tout-puissants.
Ils ont besoin que les autres leur disent qu’ils sont des génies, qu’ils sont parfaits, beaux, admirables, extraordinaires, intelligents et omniscients, et qu’ils ne se trompent jamais sur eux-mêmes. Lorsqu’ils transforment ces messages en provision narcissique, ils confirment de manière décisive la réalité de leur « faux self ».
Leur faux self représente le dieu qu’ils ont imaginé dans leur enfance pour se protéger de leurs parents et d’autres figures menaçantes.
Si les narcissiques n’obtiennent pas leur provision, que ce soit par l’adulation ou par la crainte qu’ils inspirent, ils s’effondrent totalement ou partiellement.
L’effondrement total des narcissiques
S’ils sont privés de provision narcissique, ils s’effondrent, souffrent d’un déséquilibre intérieur, voire d’une dépression.
L’effondrement total correspond à la désactivation de leur « faux self ».
Lorsque ce faux self se désactive, les narcissiques ne peuvent plus fonctionner, car ils ne ressentent plus d’amour-propre, qui n’est en réalité que de l’amour pour leur image.
Leur capacité à recevoir des stimuli externes se bloque, les rendant indifférents.
Ils souffrent alors d’une inhibition de l’action, car en se sentant anéantis, ils perdent tout contact avec leurs objectifs.
Ils perdent également leur « cathexis », c’est-à-dire leur capacité à s’investir dans quelque chose, puisque leur énergie libidinale n’est plus dirigée vers eux-mêmes ni vers leur image grandiose.
Les autres n’ont plus aucune importance pour eux.
En cas d’agression, ils ne se défendent pas et ne posent aucune limite de respect, sombrant ainsi dans un vide intérieur.
Si, en plus, ils se sentent mortifiés, humiliés ou honteux, ils peuvent en arriver au suicide.
Ils se désintègrent comme des vampires ou des zombies dans les films d’horreur.
Cette désintégration est terrifiante pour eux, c’est pourquoi ils font tout pour éviter l’effondrement. Ainsi, ils deviennent comme des toxicomanes, mais leur « drogue » est leur provision narcissique, qui alimente leur autoévaluation délirante et leur auto-adulation.
L’effondrement partiel chronique
Les mêmes symptômes peuvent apparaître lors d’un effondrement partiel, mais de manière atténuée et temporaire. L’effondrement partiel conduit souvent à une transition vers un autre sous-type de narcissisme.
Par exemple, un narcissique somatique peut adopter temporairement un comportement de narcissique caché, tout en essayant de devenir un narcissique cérébral. De son côté, un narcissique cérébral peut devenir somatique lorsqu’il est en quête d’une partenaire intime. C’est ainsi que les narcissiques classiques tentent de gérer leur effondrement.
Les narcissiques cachés, eux, vivent dans un état d’effondrement partiel chronique. Pour comprendre leur fonctionnement, lisez l’article intitulé : Les narcissiques cachés.
Pourquoi les narcissiques s’effondrent-ils ?
Les narcissiques s’effondrent parce qu’ils souffrent d’une insécurité extrême, car, enfants, leurs parents ne les ont jamais vus tels qu’ils étaient et les ont souvent maltraités. Ils les ont fait se sentir comme des « objets mauvais », qui ne méritaient pas d’être aimés.
L’amour qu’ils recevaient était conditionné à leurs performances ou à un rôle qui leur avait été imposé.
Mais ils n’ont jamais ressenti de véritable amour, et cela leur a brisé le cœur.
Ils se sont donc réfugiés dans leur monde imaginaire, où une divinité parfaite les protégeait. Peu à peu, cette divinité grandiose a pris leur place pour devenir leur « faux self ». C’est ainsi qu’ils se sont oubliés et ont renié leur être authentique.
Si leur « faux self » est remis en cause, ils éprouvent soit une blessure narcissique, soit une mortification narcissique.
La mortification narcissique
La blessure narcissique est simplement une attaque, un jugement que le narcissique attend et qu’il peut gérer. La mortification narcissique, en revanche, est complètement inattendue, abrupte et bien plus traumatisante qu’une simple blessure narcissique.
Il s’agit d’une humiliation et d’une honte systémiques, qui englobe la totalité du narcissique, la totalité de son récit grandiose et de tous ses aspects. C’est une honte toxique extrême, omniprésente et généralisée. L’humiliation devient insupportable et intolérable, car elle contredit les prétentions et l’existence même de son « faux self » grandiose.
Les conséquences de la mortification narcissique
Les conséquences de la blessure narcissique et de la mortification narcissique sont très différentes. La blessure narcissique est généralement surmontée en quelques minutes ou heures, principalement par la dévalorisation de la source de l’attaque. En revanche, la mortification narcissique constitue un défi si profond pour la narration que le narcissique entretient à son sujet, qu’elle génère un état connu sous le nom de décompensation. Toutes les défenses du narcissique s’effondrent les unes après les autres, le laissant sans défense, sans ‘peau’, comme un borderline, émotionnellement déréglé et susceptible de développer des idées suicidaires.
Les solutions du narcissique à sa mortification
Le narcissique peut choisir deux solutions : le blâme, qui est attribué aux autres, et le contrôle imaginaire, qui est une solution interne.
Par le blâme, il se dit : « Ceux qui me mortifient sont mauvais et malveillants. Ils m’envient, donc ils conspirent contre moi. »
Par le contrôle imaginaire, il se dit : « Je suis le marionnettiste qui tire les fils ; ils sont mes prolongements, je les fais se comporter ainsi. » Cela lui permet de reprendre le contrôle et de retrouver le sens de sa grandeur.
L’état régressif : le narcissique n’est qu’un enfant
Le narcissique souffre des effets traumatiques de son enfance, mais il refuse la thérapie car, selon lui, la seule façon de soulager son anxiété chronique est d’obtenir sa dose quotidienne d’attention, pour compenser ses insuffisances et affirmer son sentiment de supériorité et de perfection divine.
Pour cette raison, il évite les jugements, l’humiliation et le dénigrement en construisant une image parfaite, unique, spéciale, omnisciente, toute-puissante, adéquate et compétente, digne d’être aimée. Cependant, même dans ce cas, son besoin de provision narcissique persiste, car il est essentiellement vide. Dépourvu de la pluspart de fonctions essentielles de l’ego, il transforme les autres en « objets internes » qu’il instrumentalise à sa guise.
Qu’est-ce que l’ego ?
L’ego est une instance psychologique définie par Sigmund Freud, dont les fonctions principales incluent l’examen ou vérification de la réalité, la distinction entre nos objets internes et externes, le contrôle de nos impulsions, la régulation de nos émotions, nos mécanismes de défense sains, la cognition, le jugement, le processus de synthèse, ainsi que le récit de notre vie.
L’ego nous empêche de confondre nos « objets internes », qui sont purement mentaux, avec les objets externes, c’est-à-dire les personnes situées dans la réalité extérieure.
Grâce à un ego fonctionnel, nous respectons nos limites psychoaffectives et reconnaissons l’altérité et les limites des autres.
Cependant, les narcissiques ne peuvent pas respecter l’altérité des autres, car leur ego est déficient, voire inexistant. Par conséquent, ils transforment les autres en « objets internes » qu’ils utilisent comme sources de provision narcissique.
Cela les rassure, car un « objet interne » ne peut ni les abandonner ni les trahir, étant donné qu’ils le contrôlent et le manipulent à leur guise.
Et justement parce qu’ils manquent d’un ego solide, leur besoin d’attention des autres devient une obsession compulsive. Lisez l’article intitulé Les fonctions cruciales de l’ego.
Voyons maintenant comment cela se manifeste.
La quête compulsive de provision narcissique
Tout comme l’alcool pour l’alcoolique ou la cocaïne pour le toxicomane, l’attention des autres est le besoin compulsif et obsessionnel du narcissique. Ainsi, sa principale activité devient la recherche incessante de sources de provision narcissique.
Le narcissique est un véritable drogué, et ses sources d’approvisionnement sont ses « revendeurs ».
Il est extrêmement habile pour extraire sa provision narcissique par tous les moyens, et dans toutes les circonstances.
Il peut la puiser aussi bien dans son entourage humain que dans ses possessions matérielles.
Par exemple, il peut rejoindre un groupe ou un club très respecté, se présentant dans une voiture de luxe. Même sa charité est ostentatoire, car il aime être perçu comme altruiste et vertueux. Sa charité devient alors une source supplémentaire de provision narcissique.
Les cibles des fantasmes inconscients
Chaque fois que le narcissique interagit avec une source d’approvisionnement, ses fantasmes deviennent virulents, pernicieux et abjects. Il ressemble alors à un psychopathe, se sentant tout-puissant, invincible, invulnérable et immunisé contre les conséquences de ses choix et de ses actions.
Son arrogance et son mépris révèlent sa prépotence, qu’il doit sans cesse confirmer en s’entourant de ceux qu’il considère comme insignifiants.
D’un côté, il se perçoit comme un dieu. De l’autre, pour maintenir son image grandiose, il dépend de manière humiliante des personnes qu’il juge insignifiantes.
Telle est la contradiction à laquelle il est confronté. Quelle est sa solution ?
Comment résout-il ce dilemme ?
L’idéalisation est la solution du narcissique à cette énigme.
Il se dit : « Si je suis Dieu, tous les autres humains sont des déchets. Mais s’ils le sont, je ne peux pas obtenir la provision narcissique qui me prouvera que je suis Dieu. Je dois donc isoler un groupe de personnes qui ne sont pas des déchets. Elles ne sont pas à ma hauteur, mais elles sont supérieures à toutes les autres. Elles sont mes sources d’approvisionnement. Je leur accorde la faveur de m’approvisionner. Maintenant, elles font partie de mon cercle intime, car ce sont des personnes que je peux contrôler. »
Ainsi, il cherche à soutirer sa provision narcissique de personnes qui lui paraissent un peu moins insignifiantes que le reste de l’humanité. Ces personnes deviennent le pivot autour duquel il construit son « fantasme partagé ».
Si le narcissique a besoin de ses sources d’approvisionnement, c’est parce qu’il vit dans un état permanent de paranoïa, cherchant à fuir une réalité perçue comme hostile. Voyons comment cette paranoïa influence son comportement.
L’évitement de la réalité : une paranoïa masquée
Le narcissique perçoit le monde comme hostile, capricieux, arbitraire et imprévisible, car durant son enfance, il a été exposé à des parents égocentriques, déprimés ou absents, qui l’ont contrôlé, parentifié et instrumentalisé. Ou bien, il a été victime de maltraitances de la part d’autres adultes. Il en a donc conclu que la réalité est meurtrière, effrayante et impitoyable, et qu’elle menace ses fantasmes de grandeur.
Pour fuir cette réalité, il recourt à sa provision narcissique, qui lui sert de défense contre le « mauvais objet interne » qu’il croit être, mais aussi contre la vie elle-même.
Cela devient sa manière de vivre par procuration, à travers le regard ou la perception d’une autre personne, qui lui sert de protection contre la dureté du monde.
Il se protège ainsi, car il anticipe constamment le pire, et sombre souvent dans le catastrophisme. C’est pourquoi la plupart des narcissiques développent une forme de paranoïa.
Cette paranoïa fait partie intégrante de leur survie en tant que narcissiques. Leur provision narcissique restaure l’ordre dans leur personnalité chaotique et ramène un sentiment de prévisibilité à leur folie. Une fois qu’ils ont « consommé » leur provision narcissique, ils se sentent restaurés. Ils estiment alors que le monde est tel qu’il devrait être, et qu’ils peuvent à nouveau compter sur leur fonctionnalité.
De ce fait, vous pouvez imaginer qu’ils sont constamment occupés à chercher de nouvelles sources d’approvisionnement.
La préoccupation des narcissiques
Le narcissique est préoccupé et obsédé par l’obtention de sa provision narcissique. Qui va la lui fournir ? Comment va-t-il la sécuriser ? Comment va-t-il éviter les interruptions dans sa chaîne d’approvisionnement ? Et ainsi de suite.
Il contrôle donc ses sources d’approvisionnement d’une manière ou d’une autre. Ces sources incluent essentiellement sa famille, ses enfants, son/sa partenaire intime, ses amis, ses collaborateurs, etc. Il existe également des sources sociales, comme les réseaux sociaux sur Internet.
Ces sources d’approvisionnement lui fournissent trois types d’attention. Voyons lesquelles…
L’attention dynamisante
Ce type d’attention renforce le faux self du narcissique, le propulse vers des sphères supérieures et lui permet d’obtenir sa véritable provision narcissique.
Les messages d’admiration qu’il reçoit doivent être formulés de manière convaincante pour qu’il en reconnaisse la véracité. Ils doivent provenir de personnes qu’il valorise.
Ou bien, ses messages doivent être en adéquation avec son image grandiose, sa mission cosmique, son omniscience ou sa perfection divine.
Par exemple, si un narcissique moralisateur se perçoit comme un éducateur aidant sa partenaire intime à évoluer vers la perfection divine, il reçoit indirectement une attention dynamisante, car il se sent omniscient.
L’attention sociale
Pour maintenir son équilibre, le narcissique a besoin d’une attention sociale, qui lui procure une réelle provision narcissique primaire. Celle-ci se présente sous deux formes : inanimée et animée.
L’attention sociale inanimée provient des réseaux sociaux comme Instagram.
Cependant, le narcissique a aussi besoin d’une attention sociale plus animée.
La célébrité, la notoriété et la publicité, qu’elles soient obtenues pour des raisons positives ou négatives, lui permettent d’attirer l’attention du public.
S’il est célèbre, il peut afficher sa notoriété dans les médias, son statut social ou ses compétences dans divers domaines (scientifiques, technologiques, artistiques, etc.). L’impression produite sur son public devient alors une source de réelle provision narcissique primaire.
C’est pourquoi, à l’exception des narcissiques cachés, la plupart des narcissiques sont sociaux et/ou communautaires. Seuls les autres peuvent leur fournir une réelle provision narcissique, les empêchant ainsi de connaître un effondrement douloureux.
L’attention personnelle
Ce type d’attention stimule le narcissique à travers les sources d’approvisionnement ancrées dans sa vie quotidienne : son/sa partenaire, sa famille, ses amis, ses associés, et les audiences qui l’écoutent dans le cadre de sa profession.
Il peut instrumentaliser sa famille pour renforcer son image. Ostensiblement afficher sa richesse, posséder des biens, avoir un sens de liberté anarchique, faire partie d’une affiliation, jouir d’une bonne réputation, arborer son statut ou évoluer dans un espace entrepreneurial qui nourrit son narcissisme, tout cela contribue à sa véritable provision narcissique secondaire.
Le narcissique déteste ses sources d’approvisionnement
Bien qu’il s’accroche aux personnes qui lui fournissent les types d’attention décrits, inconsciemment il les déteste et leur en veut, car il se méprise lui-même pour cette dépendance.
Devoir dépendre des autres pour se sentir exister est très humiliant pour lui.
Cela conduit à des alternances entre le rapprochement et l’évitement.
Les rôles émergents
Les narcissiques cherchent, inconsciemment, à détruire l’intégrité psychique de leurs victimes, en les transformant en objets internes qu’ils peuvent contrôler et exploiter, afin d’en extraire leur provision narcissique.
Ils avalent les autres, les consomment, les digèrent et les assimilent.
Ce qui correspond aux mécanismes connus en psychologie sous les termes d’introjection (avaler), d’incorporation (consommer), d’internalisation (digérer) et d’identification (assimiler).
Ils créent une fusion asymétrique avec leurs victimes, car ils abolissent leur existence indépendante en les convertissant en objets internes. De cette manière, ils peuvent les contrôler en toute sécurité, pour réduire leur angoisse de l’abandon.
La production théâtrale des narcissiques
Lorsqu’ils interagissent avec leurs sources d’approvisionnement, ils sont obsédés par leurs fantasmes pernicieux, souvent diaboliques.
Dans leur production théâtrale délirante, chaque narcissique joue un rôle et s’attend à ce que tout son entourage en joue également.
Le narcissique attribue des récits à son/sa partenaire, ses enfants, ses amis, ses collègues, ses associés ou ses employés, ainsi qu’à ses clients.
En fonction de leur caractère et de la place qu’ils occupent dans son « paracosme » ou monde imaginaire infantile, il leur impose un rôle qu’il ajuste à sa convenance.
De leur point de vue, leurs sources de provision narcissique devraient se sentir honorées d'interagir avec eux ou de vivre à leurs côtés, car ils se considèrent comme des êtres divins.
Voici un exemple frappant :
L’exemple suivant est inspiré du témoignage d’une de mes clientes, qui a été manipulée par une psychologue narcissique se présentant comme une « femme chamane ».
Cette dernière utilise des substances psychoactives pour garder un groupe sous son emprise, les convainquant qu’elle est une déesse omnisciente.
Elle idéalise certains membres du groupe, puis les dévalorise selon ses besoins compulsifs.
En administrant des plantes psychoactives telles que l’ayahuasca, elle maintient les participants dans un état de régression, les empêchant d'examiner la réalité de manière objective.
Les membres du groupe sont alors plongés dans un état de déréalisation et de dépersonnalisation, et finissent par croire aveuglément à tout ce qu’elle leur dit, comme s’ils étaient ses enfants.
Par exemple, elle affirme à l’une des participantes qu’elle était une ancienne Reine qui se réincarnait depuis des générations pour transmettre toujours le même message de paix entre les hommes.
À une autre femme, déjà déréalisée, elle a dit pendant la séance hallucinatoire : « J’aimerais mourir dans tes bras, mais c’est impossible, car tu es trop fragile et anxieuse. » La cliente a ainsi perdu le plus grand honneur : celui d’accompagner cette Déesse pendant son passage momentané vers l’au-delà.
Pour prouver son omniscience, cette psychologue affirme que son âme se réincarne depuis le début des temps à travers le monde, notamment en Égypte, et qu’elle se souvient de toutes ses vies passées, chacune plus extraordinaire que la précédente.
Ce type de manipulation, fondée sur la pensée magique, se poursuit, plongeant tous les participants dans un état de profonde confusion et d’épuisement psychologique.
Après deux ou trois ans à croire en ses fantasmes, issus de sa réalité virtuelle soi-disant « spirituelle », tous finissent par se sentir bien plus mal qu’au début de cette « thérapie » extraordinaire.
Les faux thérapeutes, se faisant passer pour des sauveurs altruistes et prétendant incarner la spiritualité et la bienfaisance, aggravent leur manipulation par l’usage de substances psychoactives.
Ils sont en réalité des narcissiques masqués de sous-type communautaire, extrêmement dangereux. Véritables prédateurs, ils exploitent leurs adeptes et les ré-traumatisent. Lisez l’article intitulé: Les narcissiques cachés.
Cet exemple n’est nullement exagéré. C’est exactement ce que certains narcissiques font avec leurs propres enfants, bien sûr sans recourir aux substances psychoactives.
Leur abus est extrêmement pernicieux : ils entraînent leurs enfants à ignorer leur réalité essentielle et à occuper l’espace illusoire qu’ils ont eux-mêmes créé.
Ce faisant, ils brisent les frontières psychoaffectives de leurs enfants, qui peinent ensuite à acquérir leur individualité et à évoluer vers leur autonomie.
Continuons maintenant avec mon résumé des enseignements de Sam Vaknin.
L’équation de la provision narcissique
Plus les narcissiques attirent l’attention, qu’elle soit positive ou négative, plus ils se sentent parfaits, vertueux, omniscients, uniques, supérieurs, tout-puissants et invincibles, comme des dieux. Ce sont leurs distorsions cognitives, par lesquelles ils compensent leur complexe d’infériorité et leurs insuffisances. Pour cette raison, le Professeur Sam Vaknin affirme que le narcissisme pathologique est compensatoire.
Si cela est le cas, comment votre narcissique vous instrumentalise-t-il ? Que vous demande-t-il ? Comment vous maltraite-t-il ? Voyons les réponses du Professeur.
Votre partenaire intime est narcissique ?
Si vous cohabitez avec un narcissique, tout ce que vous avez lu antérieurement s’applique à vos interactions.
Il ne s’intéresse pas à vos sentiments, à la manière dont s’est passée votre journée, ni à savoir si vous êtes déprimé(e) ou heureux(se), malade ou en bonne santé. Il se fiche de vos états d’âme.
Ce qui compte pour lui, ce sont les attentions qu’il reçoit de vous, car la provision narcissique qu’il en tire est son oxygène.
Il s’intéresse à la manière dont vous contribuez à renforcer son image à travers vos louanges, compliments et applaudissements, voire à la peur que vous pourriez éprouver à son égard.
Il concentre toute son attention sur la provision narcissique qu’il obtient de vos interactions, car il a besoin de confirmer l’existence de son image.
Son activité de contrôle est absolue
Qu’il soit un narcissique classique ou un narcissique caché passif-agressif, il anticipe toujours l’abandon. Il doit donc vous contrôler !
Il vous contrôle en vous transformant en objet interne, afin de vous absorber, vous digérer, vous consommer et vous assimiler en s’emparant de votre vie.
Il s’agit d’un contrôle hostile, car il abolit votre existence indépendante.
En détruisant votre intégrité psychique, il se sent rassuré et stable, car l’objet interne que vous devenez pour lui répond à ses besoins.
Il vous dérobe ainsi votre altérité, votre joie de vivre, le désir d’avoir des contacts sociaux, et même la capacité d’être efficace dans votre travail ou activité professionnelle.
Le narcissique veut votre mort
Dans le film Psychose réalisé par Alfred Hitchcock, un meurtrier tue sa mère et la momifie pour s’occuper d’elle pour toujours. C’est ce que fait votre narcissique :
Si vous êtes un(e) mort(e) vivant(e), vous ne risquez pas de rompre avec lui, de partir, de l’abandonner, de vous séparer de lui, ou de l’oublier.
Pour lui, vous n’êtes qu’un anxiolytique. En vous réduisant à l’état de zombie, l’anxiété qu'il ressent face à l’intimité que vous lui demandez s’apaise enfin, tout comme sa peur de l’abandon et de la séparation.
Pourquoi ? Parce que si vous ne lui demandez pas d’intimité, vous êtes devenu(e) un objet contrôlable à volonté, une sorte de mère de substitution.
De plus, vous devriez être reconnaissant(e) de cohabiter en tant que zombie avec une personne qui se croit semblable à Dieu !
Ses comportements sont donc proches de la psychose. Il a l’impression que la justice est rétablie lorsqu’il soutire sa provision narcissique de cette manière.
Pourquoi le narcissique se conduit-il ainsi ? Voyons la réponse de Sam Vaknin.
Les objets contrôlables des narcissiques
Les narcissiques ressentent un besoin constant d’être aimés, car ils souffrent d’une angoisse d’abandon.
Alors, pourquoi sont-ils si inconstants dans la préservation de leurs relations ?
La raison en est qu’ils ne supportent ni l’altérité, ni l’autonomie des autres, ni l’intimité, ni la séparation.
Par peur de l’abandon, ils transforment les autres en objets internes « contrôlables ».
Ainsi, leurs partenaires deviennent leurs otages.
De leur point de vue, ces objets internes ne pourront jamais les abandonner, les trahir, se détacher d’eux ou les laisser tomber.
Comme vous pouvez le constater, cela reflète le comportement d’un petit enfant effrayé, vivant dans un paradoxe déchirant :
D’un côté, votre narcissique a besoin d’être aimé ; et de l’autre, il aspire à s’individualiser et à se séparer de sa mère pour atteindre son autonomie et sa souveraineté.
Il fait ainsi de vous une figure maternelle dont il cherche à se détacher. C’est son « fantasme partagé ».
Ce fantasme découle de ses introjections.
Les introjections qui font les narcissiques
Les narcissiques classiques associent l’amour à la performance, car le peu d’amour qu’ils ont reçu de leurs parents était conditionné à leurs performances physiques ou intellectuelles.
Le message implicite d’une mère qui façonne l’enfant qui deviendra narcissique est : « Pour que je t’aime, tu dois me prouver que tu as quelque chose à m’offrir. »
Les messages des deux parents sont principalement négatifs et remplis de conditions.
Ainsi, l’enfant développe une perception dévalorisée de lui-même. En faisant l’introjection des messages négatifs qui le font se sentir mauvais, incompétent, indigne, inadéquat, nul et laid, il refoule la honte toxique qui le ronge de l’intérieur.
Malgré ses efforts pour progresser et s’intégrer au monde qui l’entoure, il croit qu’il ne sera jamais à la hauteur des attentes parentales. Il reste donc figé dans l’enfance et finit par confondre l’amour avec l’abus dont il était victime.
L’activité compensatoire de tout narcissique
Pour compenser sa honte toxique et son complexe d’infériorité à l’âge adulte, le narcissique doit absorber sa dose quotidienne d’attention et d’admiration, afin de se convaincre qu’il est parfait. Il a besoin d’être perçu comme un « bon objet » pour mériter l’amour.
Il se dit : « Grâce à mes compétences, je ne serai pas critiqué, analysé ou contredit. Je serai aimé parce que je suis parfait. »
Le narcissique compense le « mauvais objet » qu’il croit être par la provision narcissique, qui le rend extraordinaire, un « bon objet ». Son narcissisme est donc de nature compensatoire.
Son émotivité dépend de sa provision narcissique
Les émotions d’un narcissique dépendent de la présence ou de l’absence de provision narcissique.
Ses émotions négatives, comme la rage ou l’envie corrosive, sont déclenchées par un manque de cette provision.
En revanche, une véritable provision narcissique génère de l’euphorie.
Lorsqu’il reçoit sa dose, surtout de la part de quelqu’un qu’il considère comme son avatar idéalisé ou son modèle, il éprouve une euphorie narcissique comparable à la réaction neurologique des cocaïnomanes face à la cocaïne.
D’ailleurs, il est important de noter que les accros à la cocaïne développent également des tendances grandioses similaires à celles des narcissiques. Plus leur consommation est prolongée et régulière, plus ils deviennent narcissiques.
La consommation régulière de leur drogue
Qu’ils soient narcissiques classiques ou cachés passifs-agressifs, les narcissiques consomment régulièrement l’attention des autres pour ressentir de l’euphorie.
Après avoir récolté, absorbé, amassé et emmagasiné leur provision narcissique, ils deviennent maniaques, et leur délire de grandeur s’amplifie.
Ils se disent : « Je peux faire tout ce que je veux. Il n’y a rien au-delà de mes capacités, de ma force, de mes ressources, de mes atouts, de mes compétences, de mes talents, de mes dons et de mon intelligence. Je suis si spécial que personne ne peut atteindre mon niveau. Je suis absolument divin. »
Il s’agit donc d’une véritable dépendance à l’exaltation qu’ils ressentent en voyant leur image reconnue.
De l’hypomanie à l’exaltation maniaque
Le narcissique devient hypomaniaque en l’absence de provision narcissique, ou maniaque lorsqu’il en reçoit. Cela rappelle le trouble bipolaire explique Sam Vaknin.
Lors de ses épisodes maniaques, il croit que tout lui est possible, qu’il n’y a aucune limite à sa capacité d’accomplir des projets extraordinaires, comme devenir riche rapidement, presque par magie.
S’il est écrivain, musicien ou artiste, sa perception de la qualité de ses créations devient délirante, car il évalue mal la profondeur de son engagement ou de son travail. Pour lui, l’échec et la défaite ne sont pas des options.
Comme il a besoin de se rassurer sur son succès, le narcissique développe une distorsion cognitive concernant ses capacités. Il pourrait par exemple vous dire qu’il vient d’avoir un coup de génie et qu’il est sur le point de révolutionner la science ou de réaliser un projet extraordinaire.
Sa perception est alors gravement altérée, car il évalue mal sa propre valeur et sa place dans le monde. Ce phénomène est connu sous le nom de « psychotisme ».
En raison de ce psychotisme, le narcissique se sent divin, atteignant l’apothéose, car il se perçoit comme un être parfait, sans défaut, immaculé et admirable.
La présence ou l’absence de ce psychotisme est liée à ses cycles de cathexis.
Ses cycles de cathexis
La cathexis représente l’énergie libidinale et psycho-émotionnelle que le narcissique investit exclusivement en lui-même. C’est pourquoi il est autoérotique : il privilégie l’autosatisfaction aux relations adultes multidimensionnelles, matures, interactives et empreintes d’émotions.
Il traverse donc les cycles de cathexis suivants : l’hyper-cathexis, l’hypo-cathexis et la décathexis.
L’hyper-cathexis : lorsque son attention est dirigée vers l’obtention de sources de provision narcissique, il entre en phase d’hyper-cathexis. Il devient alors hyperémotif et intensément investi dans l’« objet interne » ou l’avatar qu’il crée de la personne, qu'il voit comme une potentielle proie pour son « fantasme partagé ». Il cherche à séduire cette personne et à l’idéaliser, dans le but de s’idéaliser lui-même.
L’hypo-cathexis : durant la phase de dévalorisation de l’« objet interne » ou de l’avatar, ainsi que de la personne qu’il avait initialement idéalisée, il devient émotionnellement distant. Il entre alors dans un état d’hypo-cathexis et traite l’objet de sa dévalorisation avec une froideur très cruelle.
La décathexis : à ce stade, il ne ressent plus aucun attachement ni intérêt. Il devient totalement absent et rejette la personne qu’il avait autrefois idéalisée.
Ainsi, ses sources de provision narcissique sont soumises à ces cycles de cathexis.
La transformation des louanges
Lorsqu’un narcissique reçoit des louanges, il les transforme ou les falsifie. Il recadre les messages qu’il reçoit de la famille, de ses enfants, de ses amis, des voisins ou des collègues afin de confirmer ses fantasmes, qui deviennent des distorsions cognitives.
Son divorce d’avec la réalité est une manifestation de cette distorsion cognitive. Tout cela a pour but de convaincre le narcissique qu’il n’est pas un « mauvais objet ».
Grâce à sa provision narcissique, il devient un « bon objet », un objet parfait, divin, adorable, impeccable et immaculé.
Ce type d’objet fonctionne parfaitement et ne commet aucune erreur, méritant ainsi d’être aimé. C’est alors qu’il se sent dynamisé.
Ses voix positives internes
Les compliments des autres sont transformés en voix encourageantes dans l’esprit du narcissique, surtout après qu’il les a falsifiés pour les intégrer à ses fantasmes.
Une voix lui dit : « Tu es génial, parfait, moralement supérieur et divin. »
Une deuxième voix lui dit : « Tu n’es pas un mauvais objet. Tu es un bon objet, car tu es très performant. »
Une troisième voix lui dit : « Puisque tes capacités surpassent la médiocrité des insignifiants, tu mérites d’être aimé et idolâtré. »
Ses voix mortifères
En revanche, lorsque le narcissique ne parvient pas à obtenir sa provision narcissique, il s’effondre. Il ne peut plus se convaincre qu’il est un « bon objet », car d’autres voix, cette fois mortifères, menacent sa survie en confirmant qu’il est un « mauvais objet ».
Il s’identifie alors à ces voix qui lui font honte, ainsi qu’au « mauvais objet » qu’il croit être. Il entre ainsi dans l’état de décathexis.
La provision narcissique est le pare-feu qui sépare le « bon objet » fantasmatique qu’il croit être, du « mauvais objet » tout aussi fantasmatique.
La provision narcissique est la seule chose qui l’empêche de s’effondrer.
Sa recherche constante d’autorégulation
Comme vous pouvez le constater, le narcissique pathologique n’est pas simplement un idiot en quête de louanges pour obtenir sa provision narcissique.
Il s’agit en réalité d’une recherche d’autorégulation par le biais de sources externes.
Cette autorégulation, ou « économie interne », est ce qui génère son équilibre.
C’est pourquoi il recherche divers types d’attention – positive, négative, dynamisante, sociale et personnelle – décrits précédemment, afin d'obtenir une véritable provision narcissique primaire et secondaire.
Si le narcissique ne reçoit qu’une attention déficiente, il s’effondre. Voyons donc les types d’attention déficiente.
L’attention statique
L’attention statique est déficiente parce qu’elle ne propulse pas le narcissique vers de nouveaux sommets ni ne le regonfle lorsqu’il est au plus bas.
Bien qu’elle soit positive et fiable, elle ne renforce pas le faux self du narcissique.
Par exemple, si l’attention d’une grand-mère est prévisible et ennuyeuse aux yeux du narcissique, cette source d’approvisionnement ne lui permet pas de se surévaluer ni d’éprouver une euphorie narcissique.
L’attention de bas niveau
L’attention de bas niveau est déficiente parce qu’elle provient de sources que le narcissique méprise.
Par exemple, si une personne jugée peu intelligente complimente un narcissique cérébral sur sa brillance, celui-ci sera indifférent à ce compliment, car cette personne n’est pas à son niveau.
Cela ne deviendrait un éloge dynamisant que si la personne en question était à la hauteur de ses standards.
L’attention dévalorisante
L’attention dévalorisante est déficiente parce qu’elle remet en question l’image du narcissique. Grâce à l’attention négative, il peut parfois se surévaluer, notamment lorsqu’il est craint. Mais lorsqu’il se dévalue, c’est que l’attention reçue déclenche chez lui un sentiment de honte toxique.
Par exemple, lorsqu’on lui expose ses comportements en privé, ou pire encore, en public, il s’effondre, car l’attention qu’il reçoit le fait se sentir humilié et dénigré.
C’est pourquoi, si un thérapeute amène un narcissique à reconnaître son dysfonctionnement, ses mécanismes de défense, ses fantasmes inconscients, son vide abyssal ou son doute ontologique, il peut s’effondrer sous le poids de la honte.
L’attention détournée
L’attention détournée est la plus déficiente, car elle est fournie par quelqu’un avec des intentions cachées.
Par exemple, si un escroc flatte un narcissique, c’est souvent dans le but d’obtenir de l’argent. Cependant, le narcissique possède une empathie cognitive, qui lui permet de comprendre les intentions cachées de cette personne.
Mais il existe un autre type d’attention déficiente aux yeux des narcissiques : celle d’une personne autonome qui respecte ses propres limites et celles des autres. Voyons pourquoi.
L’auto-idéalisation du narcissique et de ses objets internes
Le narcissique s’idéalise lui-même autant qu’il idéalise ses objets internes. Si l’autre est une personne autonome, indépendante, sceptique et forte, cela devient très menaçant pour lui, car cette personne confronte son insécurité, lui donnant ainsi l’impression d’être dévalorisé et dénigré. L’attention fournie par cette personne est donc perçue comme déficiente.
Le narcissique idéalise uniquement les « bons objets » externes, c’est-à-dire ceux qui lui apportent une attention dynamisante et lui donnent l’impression qu’il ne sera ni confronté ni abandonné.
Il crée ainsi un point de rencontre entre sa provision narcissique et la gestion de son espace intérieur.
Cependant, cette provision narcissique est fondée sur des mensonges, car il l’intègre dans ses fantasmes et les récits qu’il se raconte à propos des autres.
Cela génère des frustrations, voire de terribles traumatismes, pour ses sources de provision narcissique.
Le Professeur Vaknin va plus loin dans ses enseignements au sujet de la provision narcissique. Voici ce qu’il explique à propos des croyances des narcissiques au sujet de la justice.
La justice de l’univers
Pour le narcissique, la justice cosmique se manifeste à travers sa provision narcissique. Sa pensée magique lui fait croire que l’univers lui-même est sa source de provision, car il lui envoie des signes de justice.
L’univers reconnaît enfin sa valeur, à quel point il est précieux, unique et incroyable.
Il reconnaît également sa contribution révolutionnaire, transformatrice, inégalable et sans précédent.
Grâce à cela, il se sent chez lui dans un univers qui célèbre sa différence, sa supériorité, sa divinité, sa perfection, sa toute-puissance, son omniscience, son éclat et son génie. Cet univers devient pour lui un lieu fiable et bien construit, sur lequel il peut compter.
Il se sent enfin rassuré, stable, et ancré dans un cadre familier.
Cependant, ces croyances mènent inévitablement à une position de supériorité, à l’orgueil et au mépris. Il est impossible de se percevoir comme l’élu de l’univers sans sous-entendre, implicitement ou ouvertement, que les autres sont inférieurs.
Le narcissique vous dira implicitement : « J’ai besoin de te dévaloriser, de te rendre inférieur(e), pour prouver que je suis supérieur. »
Se voyant parfait, brillant et bien pourvu, il se perçoit comme un être semblable à Dieu, tandis que les autres ne le sont pas. Sa survie repose sur cette comparaison, car il est profondément compétitif.
Son illusion concentrique
Comme vous le voyez, le narcissisme pathologique repose sur une illusion concentrique et autoréférentielle.
D’un côté se trouve le narcissique, unique en son genre.
De l’autre côté se trouve un cercle restreint de personnes idéales, très proches de la perfection.
Ces personnes ne sont pas aussi intelligentes que lui, mais elles ne sont pas loin non plus. Elles ont la capacité de fournir au narcissique sa réelle provision narcissique par le type d’attention qu’elles lui accordent.
Il les incorpore dans son esprit et en fait ses objets internes, de sorte qu’elles le rendent parfait.
Ainsi, il les idéalise tout en les possédant.
Le narcissisme ne consiste pas à être possédé, mais à posséder les autres.
Les narcissiques ne peuvent briser ce cercle illusoire, car leur besoin addictif de provision narcissique génère en eux une obsession compulsive.
Le narcissique, peut-il guérir de sa compulsion de répétition ?
Non, sa dépendance à l’attention ne guérit jamais, parce que le narcissique est vide et éprouve un besoin urgent de se ravitailler en provision narcissique.
Dès que sa provision narcissique est interrompue pour quelque raison que ce soit, il s’écroule et doit recommencer à remonter la pente.
Il a donc besoin d’obtenir, pour quelques minutes ou pour quelques heures par jour, une provision narcissique abondante et, si possible, durable.
Cela lui permet de se sentir chez lui dans le monde. Il éprouve enfin un sentiment de familiarité, car il se trouve dans sa zone de confort.
Il se dit : « Je connais les ficelles du métier maintenant. Je suis tellement supérieur que je ne suis jamais en danger parce que je suis comme Dieu. »
Son trouble de la personnalité narcissique perdure jusqu’à ce que, grâce à un événement marquant et percutant, il prenne conscience de son trouble de stress post-traumatique (TSPT).
C’est la seule opportunité qu’il a pour débuter l’exploration de sa dynamique interne et pour remettre en question le « personnage » ou « faux self », afin de commencer à écouter la voix de son être authentique.
Maintenant que nous avons abordé la dynamique interne des narcissiques, liée à leur « drogue », voyons les déclarations du Professeur Sam Vaknin sur le narcissisme à l’échelle mondiale.
Les escrocs psychopathes
La provision narcissique est une drogue universelle. Les escrocs, ainsi que certains coachs ou gourous autoproclamés, en sont les propulseurs. Ils initient leur public au narcissisme. Des idées comme « réveiller son géant intérieur » ou « la loi de l’attraction » promeuvent ce narcissisme. Ils vous proposent des milliers d’idées fallacieuses.
La provision narcissique est également renforcée par la technologie et par une humanité composée à 99 % de personnes qui compensent leurs insuffisances par des délires de grandeur et un sentiment de victimisation.
C’est un terrain fertile pour les escrocs. Ils sont partout, même dans les banques. Ils vous font sentir unique, supérieur, parfait et irréprochable. Ils vous flattent, vous faisant croire que vous êtes intelligent, alors que vous ne l’êtes peut-être pas, car, entre autres choses, vous leur donnez l’occasion de voler votre argent.
Les personnes vraiment intelligentes constituent le 1 % restant.
Mais dans un monde où le narcissisme est le principe organisateur et une véritable religion, ces individus dotés de capacités de génie finissent par devenir méprisants et hautains. Donc, ils s’isolent.
Pourtant, cette attitude est autodestructrice, car on ne peut rien accomplir seul. Il est essentiel de travailler, de collaborer et de coopérer avec les autres pour survivre et réussir.
Notre société divisée
Nous vivons dans une société divisée, où la majorité des gens sont manipulés par une poignée d’escrocs psychopathes qui leur fournissent une provision narcissique.
Ces escrocs donnent l’illusion qu’il est possible d’accomplir n’importe quoi sans effort. Même certaines technologies, perfectionnées grâce à l’intelligence artificielle, sont conçues pour fournir ce type d’approvisionnement.
L’autre groupe, une infime minorité, composé de personnes intelligentes et créatives, s’isole du reste, devenant hautain, arrogant et méprisant. Il y a donc une guerre en cours pour l’obtention de la provision narcissique :
D’un côté, se trouvent les « stupides », et de l’autre, les véritables génies.
Ces deux catégories sombrent dans le délire, car leur perception de la réalité est altérée.
La stupidité est le manque d’intelligence, de conscience, de jugement ou de bon sens. Les gens stupides ne se reconnaissent pas comme tels, car les escrocs psychopathes leur fournissent une provision narcissique fondée uniquement sur des fantasmes.
Les gens intelligents, quant à eux, se séparent des stupides, sans comprendre que ce jugement est profondément destructeur et voué à l’échec. Ils agissent de manière indépendante, alors que l’interdépendance avec les autres est primordiale. Malheureusement, cette division ne fait que commencer.
Conclusion
J’espère, conclut Sam Vaknin, que vous comprenez à quel point la provision narcissique est décisive dans le narcissisme pathologique. Les psychopathes sont orientés vers des objectifs précis : ils veulent du sexe, de l’argent, des contacts et, surtout, du pouvoir.
Le narcissique, en revanche, ne cherche qu’à obtenir sa provision narcissique. Ce n’est pas un but en soi, mais la drogue dont il dépend.
Toute défaillance dans l’obtention de l’attention des autres, ou de leur véritable provision narcissique dynamisante, entraîne l’effondrement partiel ou total des narcissiques. S’ils ne reçoivent que des attentions déficientes, ils s’effondrent.
Pour cette raison, vous devriez voir les narcissiques comme des toxicomanes, plutôt que de les considérer comme des psychopathes cherchant à vous détruire. Bien qu’ils soient pathétiques et pitoyables, les psychopathes, eux, sont bien plus dangereux.